Émouvant, passionnant, intelligent et bouleversant Baudelaire et Jeanne dans l’amour fou

C’est ma première grande émotion littéraire de l’année. Un sentiment de plénitude et d’avoir approché la beauté. Quelque chose qui s’inscrit durablement dans le corps et l’esprit, qui laissera son empreinte et embellit la vie. Parce qu’avec cette biographie romancée, Brigitte Kernel a réussi là où d’autres m’ont laissé dans les accotements. Une découverte de Baudelaire par la petite porte de sa vie, une ouverture qui met parfaitement en lumière et en compréhension ses textes, ses strophes, ses vers. Une découverte qui m’a bouleversée et sans doute pour longtemps.

« Quand, en 1842, Charles Baudelaire rencontre Jeanne Duval, comédienne au Théâtre de la Porte-Saint-Antoine qui peine à se faire un nom, le jeune homme âgé de vingt et un an entame tout juste la rédaction des poèmes qui constitueront Les fleurs du Mal. Si la relation passionnelle qui se noue lui inspire certains de ses plus beaux poèmes (« Le serpent qui danse », « Les Bijoux », « La chevelure »…), elle est mal accueillie par ses contemporains. Jeanne est en effet une « mulâtresse ». La couleur de sa peau dérange autant que ses origines populaires, sa gouaille, son goût pour les faubourgs et les guinguettes. S’ils sont jaloux, se disputent, se déchirent, se trompent, en viennent même aux mains… les amants demeurent indéfectiblement liés. Cette biographie romanesque restitue les tumultes de cet amour, en s’appuyant notamment sur la riche correspondance de Baudelaire. »

La maîtresse de Baudelaire peinte par Eduard Manet

Comment vous décrire la sensation qui m’a habitée tout au long de ces pages et qui m’habite encore ? Peut-être devrais-je emprunter les mots de Stendhal pour décrire cette émotion puissante qui l’a envahi lors de la découverte d’une oeuvre artistique en Italie.

« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »

Avant cette biographie, Baudelaire était pour moi cet être mélancolique, dépressif qui écrivait des vers et des poèmes, des phrases dont les ombres ne s’éclaircissaient pas souvent. Un inintérêt total pour ces écrits que je connaissais bien peu et qui ne m’émouvaient aucunement.

Mais voilà que Brigitte Kernel nous plonge entièrement dans sa vie, dans ses amours, dans ses tumultes. L’artiste est passionnant, sa vie est riche de rencontres et d’amitiés avec des artistes et des personnages connus. Ainsi, on croise la route de Gérard de Nerval, Édouard Manet, d’Apolline Sabatier, de Théophile Gauthier, de Victor Hugo et de bien d’autres.

Femme piquée par un serpent d’Auguste Clesinger . Le modèle est Apolline Sabatier, une des maîtresses de Baudelaire

Bien sûr, Baudelaire était un homme torturé, dépressif, couard par certains aspects, totalement dépendant de sa relation peu saine avec sa mère, méchant par certains aspects, dandy, dépensier, alcoolique, malade, syphilitique et instable. Mais son génie est admirablement décrit, le processus créatif qui se faisait dans la douleur et le travail également. Et cette explication de sa vie, mise en perspective par des lettres de l’auteur et par ses poèmes, m’a emportée dans la découverte de son oeuvre.

Malgré quelques répétitions dans l’écriture de Brigitte Kernel, malgré parfois quelques phrases qui auraient pu être plus riches, elle réussit le pari de rendre Baudelaire aussi réel que s’il vivait au XXIe siècle. Le climat de l’époque, le Paris du 19e, les artistes, les rencontres, les quartiers insalubres, sont totalement vivants. Et les putains alpaguant Baudelaire au détour d’un café, on les entend crier.

La Vénus noire, dessin de Charles Baudelaire représentant Jeanne Duval

Mais sa passion avec Jeanne reste le fil rouge. Jeanne Duval, cette comédienne que certains décrivent noire, que d’autre qualifient de mulâtresse et qui restera le seul et unique amour du poète. Ils se sont aimés, dévorés, déchirés, trompés, séparés, réconciliés encore et encore pendant plus de 20 ans. Une femme libre de son corps, de ses besoins, de ses envies. Mais une femme au destin tragique.

Ce récit biographique est passionnant. Sans compter que les derniers instants lucides et autonomes du poète ont eu lieu sur les marches de cette église Saint-Loup de Namur. Namur qui abrite de si jolis trésors et qui pourtant se fait discrète, voire pudique sur ses richesses et ses beautés. Une ville qui mérite amplement le temps de la découverte ou de la redécouverte, lorsque les heures seront apaisées. (NB, pour ceux qui n’auraient pas compris, Namur est la plus belle ville du monde… normal, c’est la mienne 😉 )

Eglise Saint-Loup de Namur

C’est un récit biographique à découvrir absolument. Pour les amoureux de Baudelaire, évidemment. Mais aussi pour tous ceux qui, comme moi, avaient classé l’artiste et ne pensaient pas spécialement grand bien de lui. 

Au départ, les strophes du poète déposées par Brigitte Kernel pour illustrer son propos, je les survolais. L’artiste m’intéressait plus que l’oeuvre. De la poésie, pfuuut, très peu pour moi. Puis, au fil des pages et de l’attachement à Baudelaire que provoquent les écrits de l’auteure, je me suis surprise à les attendre de plus en plus avidement, pour les dévorer dès qu’une page se tournait. Nul doute que je vais poursuivre ma découverte et cette émotion violente dont j’ai fait l’expérience en lisant les vers d’Une femme trop gaie :

« Ta tête, ton geste et ton air
Sont beaux comme un beau paysage,
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est éclairé par la santé,
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs
Dont tu parsèmes tes toilettes
Jettent dans l’âme des poètes
L’image d’un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l’emblème
De ton esprit bariolé ;
Folle dont je suis affolé,
Je te hais autant que je t’aime !

Quelquefois dans un beau jardin
Où je traînais mon atonie,
J’ai senti comme une ironie
Le soleil déchirer mon sein.

Et le printemps et la verdure
Ont tant humilié mon cœur
Que j’ai puni sur une fleur
L’insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les splendeurs de ta personne
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,

Et, délicieuse douceur,
A travers ces lèvres nouvelles
Plus éclatantes et plus belles
T’infuser mon venin, ma Sœur,

Auteure : Brigitte Kernel

Titre :  Baudelaire et Jeanne – L’amour fou

Editions : L’Archipel

Sort le 11 mars 2021

Nbre de pages : 300 pages

Prix : 21 euros

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