Frédéric Nietzche disait : « Il faut du chaos en soi pour enfanter une étoile qui danse ». Ça, c’était la citation qui balisait le premier tome de Thérapie de Groupe. Pour le deuxième, place à Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. » Et c’est peu dire que le Manu Larcenet saison 2020-2021 boit l’eau. De mer, qui plus est. Larcenet ou plutôt Jean-Eudes de Cageot-Goujon. Avec ses ailes d’Albatros bien trop longues que pour ne pas trébucher dessus, en plein spleen baudelairien, l’auteur d’un combat plus que jamais ordinaire perd pied dans une série hybride, intime et intense.
Résumé de l’éditeur : Après ses échecs répétés il est désormais hébergé par la Clinique des Petits Oiseaux Joyeux (« Clinique Psychiatrique pour fous, gros et demi-gros. »). Il y expérimente la vie en communauté et va donc participer, ou non, aux animations proposées : sport (« De vous à moi, c’est pas pour critiquer, mais on ne fait pas une équipe de foot potable avec des sociopathes. »), atelier de dessin, rencontre avec le psychiatre (« J’aime bien les psychiatres, ce sont les seuls à écouter sérieusement les fous… », distribution de médicaments («la drogue y est gratuite et en plus – et je n’ai jamais vu ça ailleurs – il y a toujours quelqu’un pour s’assurer qu’on prenne bien toute notre drogue. C’est bien simple, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas plus de monde.»). En décrivant un Manu Larcenet en manque d’idées, l’auteur ouvre des dizaines de pistes qu’il explore avant de les refermer et démontre paradoxalement une imagination débordante.

Fini. Oui, vous avez bien entendu : FINI ! Manu Larcenet est un artiste fini, dépassé par ses émotions, au point mort de l’inspiration. Comment pourrait-on tenir un crayon en main quand on arrive à peine à serrer ses poings face à ses démons intérieurs. Oh, sur papier, il n’a rien perdu de sa maestria, mais c’est bien le chemin du papier qu’il doit retrouver. Ça ne sert à rien de dessiner n’importe quoi, sans conviction ni queue ni tête.

Oh, dans un premier album, à la recherche de l’étoile qui danse, l’auteur a bien tenté de retrouver l’inspiration, au long cours et fertile, sans succès. Il a tenté de vivre une vie normale, mine et semblant de rien, se faisant aider par des livres et des concepts, de la psychanalyse autant que l’histoire de l’art, mais rien n’y a fait. Tentant une thérapie de groupe tout seul, il n’a fait que s’isoler plus. Alors que, sous ses pieds, le sol s’effritait en un abysse face auquel on ne peut que se faire aspirer à un moment. Et ce moment est venu.

Dans ce deuxième tome, entre pilules et délires, notre (?) Manu Larcenet ne cherche plus l’inspiration mais l’idée de génie qui le relancera sur une page ou quelques cases. Il avance à court terme. Il a quitté son chez lui pour atterrir dans un home où il fait vieux avant l’âge à voir la population grabataire de cette résidence. Grabataires, peut-être, mais sachant mieux que lui ce qu’ils veulent faire de leur vie. En plus, quand ils se mettent à crayonner à l’atelier de dessin, ils sont plus souvent encouragés par le personnel soignant qu’à son propre tour. Lui, la méga-star, qui en connaît un rayon.

Alors que la thérapie de groupe, la vraie cette fois, ne porte pas ses fruits et invite à la concurrence, Larcenet décide, une nouvelle fois, de se soigner avec ses références, picturales ou pas. Quitte à faire le grand mélange entre Baudelaire et les super-héros de comics (face aux grands méchants de la BD que sont Popeye, Haddock ou Maltese), par exemple; ou à fusionner Pikachu avec la tragédie de Fukushima.

L’auteur tente de se projeter dans de joyeux délires pour oublier sa profonde dépression. Mais peu importe son univers tourbillonnant, impossible de se canaliser sur l’idée de génie qu’il attend tant, ses élans ont toujours vite fait de se fracasser sur le mur de sa morosité. Il n’y arrive plus. Aussi caméléon soit-il (Larcenet s’immisce ainsi dans le style des grands peintres, la BD répétitive telle que peut la concevoir un Fabcaro ou les westerns jaunis d’antan sans parler de ses enluminures médiévales), il ne se fond plus dans le décor, il existe désormais en tant que has-been.

Naviguant entre réalité et autofiction, entre les genres, Manu Larcenet est parfois difficile à suivre dans ses raisonnements. Mais aussi usé puisse-t-il se dire, la manière dont il jongle avec les graphismes et références est impeccable. Portrait d’un auteur en feu intérieur, Thérapie de Groupe, c’est un peu l’Art Visible transcendé par l’invisible, les états d’âme et d’esprit qui traversent ceux qui font la BD, de l’art. Des états qui traversent et restent plus ou moins longtemps. En tout cas, un troisième tome est déjà prévu.

Série : Thérapie de groupe
Tome : 2 – Ce qui se conçoit bien
Scénario, dessin et couleurs : Manu Larcenet
Genre : Autobiographie, Autofiction, Histoire de l’Art et de la BD, Psychologique
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 56
Prix : 15€
Date de sortie : le 22/01/2021
Extraits :