Jeune auteure française, comme son nom ne le dit pas forcément, Sweeney Boo s’est illustrée aux couleurs de différentes séries avant de présider aux destinées de Captain Marvel le temps de six épisodes. C’est aussi aux États-Unis (chez Boom! Studios, excusez du peu!), que Sweeney a laissé de côté les collants et les super-pouvoirs pour se porter au chevet de Mindy dans Eat, and love yourself qui la fait revenir en France (traduite!). Mindy n’a rien d’une Super-Woman, ankylosées dans un quotidien morne et portant mal ses kilos en trop. Une destinée sans échappatoire, prisonnière du regard des autres et des souvenirs peu réconfortants. Jusqu’à ce qu’une nouvelle tablette de chocolat se présente à elle, prétendant résoudre tous les problèmes d’amour-propre.
Résumé de l’éditeur : Mindy a 27 ans et travaille dans un café de Montréal. Timide et mal dans sa peau, elle souffre d’un trouble du comportement alimentaire depuis l’enfance. Un soir, dans son épicerie de quartier, elle achète une tablette de chocolat qui va lui permettre de revisiter son passé et lui offrir une chance de reprendre sa vie en main. Mais sera-t-elle capable de retrouver le chemin vers son présent, pour enfin s’accepter avec amour et bienveillance ?
Sous une couverture intrigante, toute en courbes, Sweeney Boo met le doigt sur le destin de Mindy, mal dans sa peau et avec aucun point de repère auquel se raccrocher, ni dans le passé, ni dans le présent. Le futur, n’en parlons pas, prenons la vie au jour le jour, au goutte-à-goutte du dégoût. On n’a que le bien qu’on se fait, même s’il fait mal quelques minutes plus tard, qu’il nourrit les regrets d’avoir aidé la graisse à prendre un peu plus le pouvoir sur son corps et le dessus sur les émotions. C’est incroyable comme la bouffe peut être source de réconfort un instant, et d’écoeurement, ensuite. La musique sur le dancing peine à faire oublier à Mindy sa condition, ou son peu de condition, elle n’est bien que chez elle (et encore…), avec son chat, dans sa bulle où personne ne la regarde ni la juge, après une journée à servir dans le tea-room où elle a trouvé un job alimentaire.
Le métro-bobo-boulot-dodo se traînait là jusqu’à ce qu’au détour d’un dépanneur, Mindy mette la main sur une nouvelle marque de chocolat, habillage sexy de mise, prétendant pouvoir à chaque bouchée dégager l’emprise du mal-être, de la peur, et insinuer la pensée positive : You are… beautiful, …brave, …yourself, …unique. Achetant sa barre chocolatée plutôt pour soutenir l’entreprise locale qui la produit que pour en faire un quelconque remède, Mindy va être prise de malaise, revoir le fantôme de sa jeunesse l’entraîner à comprendre d’où vient sa non-acceptation d’elle-même.
Il faut toujours se méfier des arguments marketings, des slogans. Et sous l’aspect feeling good qui enrobe ces carrés d’or brun sur lesquels Mindy a mis la main se cache le fantastique. Celui qui s’invite sans prévenir vous entraîne dans les vertiges d’expériences horribles. Oh, ici, ce n’est pas dans l’antre du diable que Mindy est projetée mais peut-être bien pire, son enfer personnel, ses propres ténèbres. Quand la honte de soi s’installait sans qu’elle en prenne conscience. Dans les non-dits de ses parents qui, avant elle, accordaient de l’importance à ses bourrelets, par exemple. Revisitant ses jeunes années, pourtant déterminantes, Mindy rencontre son double et veut le sortir de cette galère.
Album des temps qui courent, sur une thématique qui prend toujours plus d’importance à l’heure où certaines marques montrent des mannequins grande taille ayant pourtant tout ce qu’il faut là où il faut et n’ayant pas grand-chose à envier à d’autres, Eat and love yourself participe à la volonté de s’accepter qui qu’on soit et tel qu’on est. Par un procédé magique léger, aidant juste la mémoire de son héroïne à se rappeler ce qu’elle a traversé, Sweeney Boo livre un portrait dur et doux à la fois d’un personnage arrivé au point de non-retour, laissant ses amis sur le carreau, pour prendre elle-même le taureau par les cornes. Pas de régime minceur, ici, juste, on l’a dit, le besoin de s’accepter et de s’incarner. De ne plus laisser personne, y compris soi-même, dire qu’on est trop… ou pas assez…
Malgré un dessin un peu moins fascinant que la couverture (les couleurs de Joanna Lafuente auraient-elles rendu plus gras et moins immédiat le trait de l’auteure?, je me pose la question et je le crains), au fil des pages, Sweeney Boo réussit à installer une ambiance intimiste, rosée mais pas girly, et une gestion de la position des cases et des blancs dynamique et maîtrisée, aidant le lecteur a puisé dans ce qui n’est pas dit et à insuffler de lui. Pourtant, dans cette lecture assez addictive, encourageant en tout cas à tourner les pages et à être pressé de voir la fin, reste un sentiment d’inabouti. Non que le final soit attendu, il reste en certains points ouvert et l’auteure n’a pas choisi la simplicité, car l’histoire continue et il n’appartient plus à Sweeney (pas plus qu’au lecteur) d’être maître de son héroïne, mais qu’il laisse un goût de trop peu malgré un message puissant et la naissance d’une raconteuse d’histoire de talent et de force pour porter des sujets délicats mais importants et éminemment touchants. Et si on essayait de trouver l’équilibre ailleurs que sur la balance?
Titre : Eat and love yourself
Récit complet
Scénario et dessin : Sweeney Boo
Couleurs : Joanna Lafuente
Traduction : Margot Negroni
Genre : Drame, Fantastique, Psychologique
Éditeur : Ankama
Éditeur VO : Boom! Studios
Nbre de pages : 160
Prix : 19,90€
Date de sortie : le 05/02/2020
Extraits :
