Déconstruire et reconstruire, c’est toujours avancer. À l’heure où un satané virus s’attaque à nos corps et nos esprits, le clivage est accentué entre les politiciens et le peuple, entre les experts et les contre-experts (des réseaux sociaux, par exemple), entre la pratique et la théorie du complot, la rumeur et le discours officiel. C’est dans cet air (un peu vicié et suffocant) du temps, présent bien avant le Covid, que s’inscrit le diptyque proposé par Jean-Christophe Tixier et Rodolphe « Ohazar » Lupano qui, lui, fait sa révolution avec des jeunes tout en leur tendant des pièges. Car l’enfer est pavé de bonnes intentions et rien n’est jamais simple quand on veut construire une société idéale.

Résumé de l’éditeur : Ni date pour cette histoire. Ni lieu précis pour ce pays. Une dictature militaire dirigée par un despote arrivé au pouvoir huit ans plus tôt, à la faveur d’un terrible coup d’état. Luna, Miguel, Alex et Antoine, quatre adolescents épris de liberté qui ne peuvent se résigner à se soumettre au joug du tyran. Au nom de leurs idéaux, ils vont faire acte de résistance. Par quels moyens s’opposeront-ils à ce régime totalitaire ? Resteront-ils unis tout au long de la lutte ? Un long chemin personnel et collectif les attend…

Résumé de l’éditeur : Ni date pour cette histoire. Ni lieu précis pour ce pays. La chute d’une terrible dictature a laissé la possibilité à un rêve nouveau d’émerger : une société où la voix de chacun compterait, une utopie. Mais ce système qui semble idéal, présente des failles, et se retrouve menacé. Luana et Antoine vont mettre tout en œuvre pour sauver cette utopie. Mais les voies qu’ils empruntent diffèrent et, très vite, ils se retrouvent dans des camps opposés qui vont s’affronter.

Au premier temps du monde et de son alphabet, était le A. Bienvenue dans une république inconnue et moderne qui a pris le pouvoir dans un pays qui pourrait être le nôtre, ou le vôtre. Ici, c’est marche avec le pouvoir ou crève contre lui. Car le sinistre Kommandeur Averamiane règne en maître avec ses sbires. Des gens comme vous et moi qui ont choisi de se placer, de mettre leur cerveau de côté, de se laisser pousser la moustache et d’obéir aux ordres et à faire respecter un couvre-feu.

Couvre-feu. Tiens, tiens, direz-vous. Sauf que la menace est visible, ici: des activistes, terroristes qui veulent sortir du joug drapé de rouge et d’un vilain symbole. Luna, elle, veut s’engager, prise en étau entre une grand-mère qui ne mâche pas ses mots à l’égard du système autoritaire qui ne la fera pas plier et un père qui, lui, est un haut gradé dans l’état-major d’Averamiane.

Mais, d’ailleurs, d’Averamiane à Vermine, n’y aurait-il pas qu’un pas, un A, qui le sauve de la médiocrité et lui donne son effrayante prestance. Si la violence est vaine et ne fait que rentrer dans le jeu des « mauvais », cette découverte met la puce à l’oreille de Luna et ses amis d’une résistance avec un A privatif mais constructive et risquant beaucoup moins la vie des innocents. Parce qu’exploser la première voyelle de l’lphbet c’est beaucoup mieux que d’exploser des bâtiments. D’abord discrète, l’ A-révolution prend son essor mais les chiens du pouvoir s’activent à faire disparaître… ou réapparaître les traces des méfaits.


Dans le lâcher-prise mais pas le lâcher-conviction, comme dans le récent tome du Château des Animaux, l’écrivain Jean-Christophe Tixier réussit un très chouette scénario, didactique et dynamique. Si l’idée a germé dans la tête d’Ohazar, les deux auteurs font la paire dans un univers graphique qui convient bien aux adolescents, avec du peps et une envie d’aller de l’avant, pas de jouer du violon. Même si des drames, il y en a. Ohazar réussit un album inspiré et inspirant, créatif dans la simplicité mais aussi l’efficacité. Brvo.

De quoi donner l’envie aux lecteurs de ne pas quitter si vite la bande des quatre héros. Vœu exaucé puisqu’en cette année particulière, le même duo remet le couvert dans le monde d’A-près. La démocratie est revenue, soucieuse de respecter les communautés et de les représenter. Son nom ? L’hutopie, symbolisée par un grand bâtiment en H sur la grand-place de la ville. Mais, tout ne tourne pas rond pour autant et les belles idées sont malheureusement faites pour être récupérée. Le H qui exprime tant le système trouvé pour sortir de la crise est désormais galvaudé, rendu superficiel à mesure que des communicants, investisseurs et marchands de tout et de rien s’approprie le H dans leurs titres et qualités. Là, ça dévie.

Parce que Luana, en pleine heure de gloire depuis ses précédents exploits, personnalité médiatique, veut à nouveau supprimer la lettre qui pose problème, le H, cette fois. Luna est charismatique, faire accepter cette idée dans les bureaux de vote ne doit être qu’une formalité. Mais Antoine et les autres (l’équipe est un peu renouvelée) trouvent le chemin choisi, répété même, un brin hasardeux, pas mesuré. Parce que se priver du H, d’humanité par exemple, ce n’est peut-être pas résoudre le problème. Ce serait même l’accentuer puisque l’État s’abrogera le droit d’homologuer ou pas les sociétés pouvant utiliser le H. Et leur crédibilité, leur puissance pour mettre hors-délai tous leurs concurrents. Alors, Luana fait son chemin seule mais avec le peuple qui la soutient tandis qu’Antoine et quelques autres tentent, à contre-courant, de faire changer l’opinion. Mais les fantômes d’hier peuvent aussi resurgir.

Avec le chouette concept qu’ils ont trouvé, Tixier et Ohazar font ici le chemin à l’envers tout en évitant de se répéter et en amenant de nouveaux thèmes brûlants : ce camp qu’il nous est souvent demandé de choisir (H ou pas H, vaccin ou anti-vaccin, masque ou air libre, gauche ou droite, Hanounakamura ou Kardatrumpshian, féministe ou anti-féministe, mouton ou aigle, entre milliers d’autres). En fonction des modes, certains n’attendent qu’un pas de travers pour nous mettre dans les rangs clivants, encore plus quand certaines émissions peu scrupuleuses sont là pour vous écouter dire ce qu’elle veut entendre, quitte à couper au montage pour mieux déformer vos propos. Dans l’album, il y a même de la place pour les élections contestées et le souhait de certains de voir les bulletins de vote recompter. Ça aussi, ça nous dit quelque chose.

Aujourd’hui, dans nos sociétés, à l’heure des réseaux sociaux, tout fonctionne par raccourcis, il n’y a plus de temps pour les débats d’idées et de moins en moins pour les enquêtes approfondies. On nage en surface et on nous demande de choisir avant même de nous poser la question qui fâche. Là où nos avis ne devraient parfois ne regarder que nous. Majorité contre minorité, machine de guerre contre anonyme de Tian-an-Men, le choix est parfois muri simplement par la volonté de ne pas être isolés.


Mais c’est le choix de notre petite équipe qui se désolidarise de son ex-leader. Au début, la cohabitation est sereine, on prend les no-men pour de joyeux lurons, inoffensifs. Peut-être, mais ils ont des idées, une tactique payante qui leur fait grapiller des pourcentages dans les sondages. Et là, la foule que ne contrôle plus Luna fait monter la tension et les frictions. Les élans « gestapo » resurgissent, et certains partisans du non font aussi des hooligans. Mais, au-delà de la mêlée, il y a aussi des marionnettistes qui regardent ça le regard amusé et en espérant que le vent tournera bien pour eux.

De la tentation et du piège de l’utopie et l’idéal, le duo d’auteurs réussit un album différent du premier. Plaçant les idées bavardes au-dessus de l’action, Tixier laisse la place à Ohazar pour rythmer cette soixantaine de pages avec un découpage incisif, plus à l’horizontal. Il y a de la place pour le feu et la passion, dans la course-poursuite d’une société moins idéale peut-être mais plus juste. Bon, les auteurs font un doux rêve à la fin de l’album qu’on suivra ou pas mais qu’on se doit de respecter. Clair et précis, le binôme livre un docu-fiction éclairé et bien dans ses baskets, attrayant (plus que la couverture qui trompe, en mal peut-être, le candidat lecteur) et tout public. Du beau boulot intelligent.

Titre : L’A Révolution
Récit complet
Scénario : Jean-Christophe Tixier
Dessin et couleurs : Ohazar
Genre : Anticipation, Drame sociétal
Éditeur : Michel Lafon
Nbre de pages : 86
Prix : 20 €
Date de sortie : le 25/04/2019
Extraits :
Titre : L’Hutopie
Récit complet
Scénario : Jean-Christophe Tixier
Dessin et couleurs : Ohazar
Genre : Anticipation, Drame sociétal
Éditeur : Michel Lafon
Nbre de pages : 64
Prix : 17,95 €
Date de sortie : le 08/10/2020
Extraits :