Allez dire seulement au monde que vous avez vu des animaux qui parlent (des chats, des biquettes mais aussi des lions et des crocodiles) et il vous prendra pour fou. Pourtant, s’il y a bien un endroit où les bêtes domestiques ou sauvages peuvent s’exprimer sans être jugées, à un public jeunesse ou adulte, c’est bien la BD. L’anthropomorphisme est devenu un genre en soi. J’en veux pour preuve, cette fois, deux séries qui paraissent chez Casterman dans des esprits radicalement différents: les tomes 2 du Château des Animaux et de Zibeline.

Le château des animaux: les crocs retenus, la morsure du froid aidant

Résumé de l’éditeur : L’hiver a gagné le château. Le climat est rude pour ses habitants, d’autant que le Président Silvio continue de faire régner la terreur… Mais Miss B et ses amis, le lapin César et le rat Azélar, n’ont pas dit leur dernier mot. Baptisé « les Marguerites », leur mouvement, continue les outrances au taureau dictateur, refusant le port de collier à grelots et exigeant la gratuité du bois pour tous les animaux. Pour être mieux entendus, ces courageux compagnons bravent le froid chaque nuit pour faire un sit-in sous les fenêtres de Silvio. Mais pour Miss B, vaincre la dictature ne peut se faire qu’en évitant le plus redoutable des pièges : la tentation de la violence. Parviendra-t-elle à convaincre ses amis de résister pacifiquement ? Le défi semble bien difficile…
À lire aussi | Big Brother nous regarde toujours mais le Neuvième Art redécouvre Orwell et son aura transcende le dessin

Après un premier tome qui avait mis la barre haut, tant au niveau de la violence que de la puissance émotionnelle, Xavier Dorison s’appuie un peu plus sur Félix Delep pour livrer la suite de cette adaptation BD de George Orwell en retenue et sous forme de guerre de nerfs. En effet, après les événements sanglants du précédent tome, le petit peuple de la ferme, soumis au taureau Silvio et à ses sbires canins trop contents d’être du bon côté pour abuser de leurs crocs, doit se résoudre à faire profil bas.

L’opposition frontale leur a fait plus perdre que gagner, alors il faut que la résistance s’organise mais autrement. Au quitte ou double. Placé sous la direction de Miss Bengalore, si la position du passage en force était la plus facilement envisageable, tout ne peut désormais se faire que par essais-erreurs. Pour faire pression sur le roi dédaigneux qui ne se montre même pas à la fenêtre pour faire face à ses sujets, il y a la symbolique, le sit-in… Mais, là où ça fait le plus, c’est toujours le portefeuille. Pauvre et las d’un labeur qui rend riche la cour du taureau et qu’elle doit finalement payé deux fois, la basse-cour décide de ne plus acheter le bois qu’elle ramène chaque jour de la forêt. Naturellement, l’action prend sens parce que c’est l’hiver, qu’il neige à pierre fendre et nos animaux téméraires vont devoir se transcender, se tenir fort les uns contre les autres pour espérer survivre et gagner du terrain sur l’oppresseur.

Clairement, tout cet album aurait pu être ramené sur quelques pages d’un one-shot. Sauf que Le château des animaux n’est pas un one-shot et a été prévu sur quatre épisodes. C’est ainsi que Xavier Dorison et Delep ont eu la bonne idée, après la déflagration du premier tome qui a laissé bien des cicatrices et meurtrissures où s’engouffre le froid maintenant, d’approfondir le volet psychologique de leurs nombreux héros. Après l’intensité des actions, place à celle des inactions, des refus. La violence est contenue, ça parle beaucoup mais il y a l’importance aussi des silences, quand on sent le souffle du vent, le gel des flocons. Et tous ses états d’esprits qui passent dans les yeux, dans les bouches des animaux. Dans les pattes aussi, quand il devient dur de se relever, engourdi par le manteau de neige, moins douillet que dangereux.

C’est incroyable, dans ce climat, qui devient de plus en plus blanc, ce que fait passer ce prodige de Delep. Contenant l’instinct de survie jusqu’à l’explosion, à nouveau, sur le fil, les deux auteurs bâtissent là une rampe de lancement pour la suite. On n’est qu’à la moitié de leur histoire, mais on en ressort tremblants.

Zibeline, safari dans un parc d’attractions

Résumé de l’éditeur : Poursuivis par un inquisiteur et une armée de 12 singes, Zibeline et ses amis se réfugient dans les ruines d’un ancien parc d’attractions. Ils l’ignorent mais cet endroit, réputé maudit, n’abrite pas seulement les restes de vieux manèges délabrés. La végétation luxuriante qui l’a envahi recouvre de nombreux secrets, jalousement gardés par les silhouettes inquiétantes qui observent discrètement le petit groupe de fuyards. Elle cache aussi la clé qui permettra peut-être à Zibeline de retrouver son village…

Clairement, Le château des animaux n’est pas pour les enfants. Mais, ne partez pas, voilà de quoi se retrouver parents comme enfants à passer un bon moment. Après un premier album qui voyait Zibeline être enlevée et se réveiller dans un monde inconnu, d’où l’humain semble totalement absent. Pas grave, certains animaux se sont chargés d’adopter ses plus vils côtés. Le pire d’entre eux, une sorte de Rafiki qui aurait viré de bord et ferait son Scar. Bon, du cinéma, il y en a dans cet album, mais ça lorgne plutôt du côté des Tontons Flingueurs (hé oui, il y a un Raoul dans l’affaire).

Bon, heureusement, au-delà de l’armée de singes qui ont appris à faire la grimace, les gros durs et les méchants; il y a un lion, une crocodile, un rat, un chameau et même bientôt une dame hippopotame vont se révéler être des crèmes (même si l’instinct et l’appétit reviennent au galop, il faut raison garder) pour accompagner l’étrange créature, une petite fille comme elle se présente, qui leur est tombée sur le coin du crâne.

Malgré toutes les questions qui restent sans réponse (mais espérons tout de même qu’une suite soit prévue, même si l’histoire est annoncée complète en deux tomes), Régis Hautière, Régis Goddyn, Mohamed Aouamri (finalement pas si loin de l’univers auquel il a participé: Avant la quête de l’oiseau de feu) et David Périmory se concentrent sur la fuite de leurs héros. La meute est à leurs trousses et le décor sauvage qui se déroule sous leurs yeux (torrents, liane et ronces) n’est pas forcément pour les aider. Mais, curieusement, c’est quand ils s’aventurent dans un coin plus urbanisé de ce monde que les embûches vont se succéder.

Mener tambour battant, macaques hurlant, voilà un deuxième acte trépidant, renouant avec Indiana Jones dans un monde pas forcément innovant mais qui brille à créer le mystère et à être habité par de curieux personnages dont ceux qui paraissent les plus inoffensifs sont peut-être les plus nocifs. Aouamri est totalement dans son élément, avec les capacités graphiques d’en faire voir de toutes les couleurs (enfin, ces dernières, c’est David Périmory qui s’en occupe avec brio) à ses personnages. Dommage, pourtant, les 54 planches de cet album laissent beaucoup trop d’énigmes non résolues que pour se contenter d’une fin tellement trop ouverte. Ceci n’est pas une fin et on ose espérer une suite. Si pas, tout aura sans doute été trop sacrifié au tout-à-l’action.

Série: Le château des animaux
Tome : 2 – Les Marguerites de l’hiver
D’après l’oeuvre de George Orwell
Scénario : Xavier Dorison
Dessin et couleurs : Félix Delep
Genre: Anthropomorphe, Drame, Société
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 56
Prix: 14,95 €
Date de sortie: le 04/11/2020
Extraits:
Série : Zibeline
Tome : 2 – Retour à Tikiland
Scénario : Régis Hautière et Régis Goddyn
Dessin : Mohamed Aouamri
Couleurs : David Périmony
Genre : Aventure, Fantastique, Jeunesse
Éditeur : Casterman
Nbre de pages : 56
Prix : 14€
Date de sortie : le 23/09/2020