Tu t’es vu quand Zabus…? Oui, j’ai le visage marqué de mille expressions, d’un sentiment de vie et de poésie tant cet auteur-là, avec ses multiples facettes, a le don de choisir les mots justes et de susciter les images inoubliables. Celles de Thomas Campi mais aussi celles d’Hippolyte avec qui, par-delà les mers et les océans, la symbiose, totale, continue de plus belle. De sa Réunion, l’auteur est toujours aussi doué pour faire sonner la vraie vie dans ses interprétations artistiques généreuses et oniriques qu’il en donne, pour parler des petites choses de la vie et de ses grands drames d’un monde qui ne tourne plus rond. Dargaud a ainsi remis la main sur Les Ombres, en même temps que l’éditeur publiait ce petit trésor qu’est Incroyable.

Incroyable, la piste aux étoiles était royale pour Jean-Loup, à mi-chemin entre le Petit Prince et le Petit Nicolas

Résumé de l’éditeur : En Belgique, dans les années 1980, Jean-Loup vit en compagnie de son père. Le petit garçon souffre de TOC liés à un cruel manque de confiance en lui et à une certaine solitude due à l’absence de sa mère. Doté d’une grande imagination, doué d’un talent de conteur, il se construit pourtant son propre univers avec beaucoup de fantaisie… Mais comment raconter des histoires aux autres quand on est hypocondriaque ? Comment peut-on tout simplement trouver sa place dans la société alors qu’on est différent des autres ?

Quelque part entre le Petit Prince et le Petit Nicolas, Jean-Loup a gardé du petit chaperon rouge une grosse écharpe de la même couleur. Ça tient chaud dans la froideur ambiante mais ça n’en fait pas moins un oiseau pour le loup. Jean-Loup, c’est un inadapté social comme on en voit dans les films de Dupontel. Il ne lui manque pas grand-chose, un grain de confiance, pour accomplir des exploits et surtout s’accomplir. Pourtant, il n’y arrive pas. Il pourrait mal tourner. Ce ne sont pas ses parents qui vont l’aider. Maman est en haut, elle ne fait plus de cacao, et Papa n’est pas là. Jamais. Est-ce le boulot ou une fuite ?

Toujours est-il que quand Jean-Loup doit se déplacer, du moins plus loin que son itinéraire habituel (la zone de confort sur laquelle il s’astreint un programme de normalité, avec un nombre de point acquis pour chaque chose banale qu’il accomplit), c’est à son parrain que le blondinet le doit. Dans une Simca 1000 qui manque de tempérament pour tenir la route. C’est la Bohème pour ce petit bonhomme qui veut à tout prix régler son dérèglement. « Mal en campagne et mal en ville, peut-être un petit peu trop fragile… », chanterait le poète (heureusement, le parrain, juke-box vivant, a d’autres chansons en stock beaucoup plus entraînante). Mais Souchon du bois, rien ne peut aller pire.

Sait-on jamais, les éclaircies qui se produisent dans la chambre du bonhomme, le seul endroit où il est bien et où ses amis jouets s’animent, se reproduiront peut-être ailleurs ? De Toy Story en Boy Story ? Toujours est-il que le petit Baudoin qui vit dans la tête de Jean-Loup tente de l’encourager, plutôt dans sa curiosité que dans sa bizarrerie. Car Jean-Loup, il n’est pas bête, il emmagasine beaucoup de choses. Le problème, c’est de le restituer, il s’emmêle, il trébuche sur les mots. Mais si un coup de pouce du destin le pousse sur le devant de la scène, que le challenge est plus excitant que paralysant, Jean-Loup peut se révéler. Et c’est l’occasion qui se présente avec un concours d’exposé. Jean-Loup va même réquisitionner l’aide du roi, super-héros à ses heures, pour être sûr de gagner. En confiance d’abord.

Dans ces près de 200 planches dont on pousse la porte dès les pages de garde, Vincent Zabus et Hippolyte explorent la Belgique so eighties mais font le bond d’un siècle un autre. Leur histoire est tellement universelle, qu’ils éclairent nos temps actuels avec la dose d’insouciance et de fantaisie dont nous avons cruellement manqué ces derniers mois. Heureusement, dans les théâtres de papier, les places ne sont pas limitées. Et la distance de sécurité pas d’application, on peut se pencher, s’épancher, être happé par la beauté et la poésie fulgurante que porte ce petit bonhomme blond qui lutte pour faire éclater sa lumière dans les planches d’une grisaille toute belge. Se questionnant, lui et la société, l’histoire de la Terre, Jean-Loup est le parfait remède à tout. Hippolyte le fait éclore comme personne, avec des effets spéciaux restant à hauteur de petit d’homme, dont le cerveau est en ébullition. Big Bang, Big album !


De part et d’ombres d’un périple de migrants arrêtés aux portes du « nouveau » monde par des hommes qui n’ont plus rien d’humain

Résumé de l’éditeur : Une salle d’interrogatoire à la lumière crue. Une chaise, un bureau. C’est dans ce décor dépouillé que l’exilé n° 214 voit son destin se sceller. Au terme d’un long périple, tête baissée, dos voûté, il demande l’asile. Poussé à l’aveu, il doit, pour obtenir le précieux sésame, revenir sur son passé et sur les raisons qui l’ont contraint à l’errance. Lui et sa sœur n’avaient d’autre choix que de fuir leur terre natale mise à feu et à sang par des cavaliers sanguinaires. Effrayés et sans repères, ils ont traversé les forêts, les déserts, les villes et les mers : une véritable épopée peuplée d’êtres aussi mystérieux qu’effrayants, de l’ogre capitaliste au serpent-passeur, des sirènes trompeuses à ces ombres frémissantes et omniprésentes, comme des voix venues de l’au-delà. L’odyssée de deux enfants érigés malgré eux en symboles des minorités opprimées luttant pour leur survie et leur liberté.

On remonte le temps pour arriver en 2013, date de la rencontre, du moins sur papier publié, du fabuleux duo qui nous occupe aujourd’hui. Le thème n’en est pas moins brûlant, aujourd’hui, cela dit. Parce que des personnes, des humains, qui traversent un désert aride, ou une masse d’eau trempante, ça ne s’est pas arrêté. De même que les guerres. Même si les actualités à mémoire sélective trouvent d’autres sujets plus proches mais pas plus tragiques pour nous occuper l’esprit. Toujours, tout le temps, des gens meurent de fuir un pays qui ne les respecte plus, les met à mort même. Des enfants, même. Parfois, c’est aussi l’océan, la mer terrible, qui finit le sinistre travail. Rappelez-vous Aylan.

Mais quand on touche terre, sauf plutôt que sain (qui en réchappe ?), tout reste à faire. On vous met dans des cases, on vous colle un numéro. Au petit bonheur la chance, peut-être votre exil sera accepté ? Mais derrière les chiffres, il y a des vies. Et c’est à rebrousse-chemin que Zabus et Hippolyte partent en quête d’un destin mis en fuite. Partant de la déshumanisation institutionnalisée par des vieux sages ronchons, mettant tout en doute, les deux auteurs vont chercher l’humain, l’émotion. Comme dans Maus, sans doute les choses auraient-elles été insoutenables à montrer si le merveilleux (l’enferveilleux en fait) ne s’en était pas mêlé.

Attention, ce récit est dur, émouvant, éreintant, on ne fait pas de l’horreur quotidienne une bluette. Il y a ici des monstres d’ici et d’ailleurs, des fantômes aussi, des alliés providentiels et d’autres par intérêt. Ce qui ne tue pas nous rend plus fort mais il faut parfois mourir plusieurs fois, soi-même ou en voyant des proches tomber. Dans cette fuite en avant qui ne s’interdit pas de regarder en arrière, d’être épuisée et dégoûtée, il y a aussi du nihilisme, de l’absurde. Et si le monde à traverser ne vous ramenait que dans une situation tout aussi inextricable? Il ne pleut plus des bombes mais les coups de massues ne manquent pas dans le dédale administratif. Il y a des minotaures derrière et devant.

Tendant des pièges à leurs héros, à contre-coeur, le duo, sous les dehors mignons, signe une véritable histoire d’horreur moderne, glaçante, qui va jusqu’au bout de son horrible horreur. Pas la leur, celle d’une société inadaptée au besoin humanitaire de populations desquelles on doit réaliser le rêve de vivre mieux, en sécurité. Ils ne demandent pas la Lune. Spectaculaire de minimalisme, Les Ombres est un album incroyable, d’une puissance dévastatrice mais évoca-triste, Un conte noir, désespéré, mais dont on espère encore et toujours que le livre qui lui sert d’écueil tombe dans les mains du plus grand nombre, éveille les consciences. Fasse qu’on ne considère plus l’étranger comme l’ennemi, mais plutôt notre monde comme l’ennemi de notre monde.

Titre : Incroyable !
Récit complet
Scénario : Vincent Zabus
Dessin et couleurs : Hippolyte
Genre : Comédie dramatique, Initiatique
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 184
Prix : 18€
Date de sortie : le 12/06/2020
Extraits :
Titre : Les ombres
Récit complet
Scénario : Vincent Zabus
Dessin et couleurs : Hippolyte
Genre : Drame, Fable, Fantastique
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 200
Prix : 21€
Date de sortie : le 12/06/2020
Extraits :