Pendant quelques mois, il va encore falloir avaler de la coronavinasse, pas le choix. Sans doute, les salons du vin, qui émaillent pourtant l’actualité tout au long de l’année, seront-ils réduits à leur plus simple expression. Et les vacances itinérantes trouvant leur chemin jamais très loin des bons domaines ? C’est sûr, les amoureux du bon vin vont devoir se rabattre sur leur propre cave pour tenir. On peut boire pour oublier bien sûr. Mais on peut lire pour s’enrichir aussi. Chassez les pulsions suicidaires, chers oenophiles, Jean-Benoit Meybeck vous emmène en balade dans l’univers du vin, dans ses arcanes secrets et jusqu’à ses penchants raisonnés jusqu’à être irrationnels et surnaturels. Cosmobacchus, c’est un documentaire qui pousse les curseurs du thriller ésotérique mais aussi humoristique. Bio-dynamique.
Résumé de l’éditeur : Un caviste et un auteur de bandes dessinées nous embarquent dans un road trip à la découverte des domaines viticoles, et nous font partager leurs découvertes stupéfiantes. La biodynamie est à la mode dans la viticulture et certains vignerons se révèlent de fervents adeptes de la pensée « steinerienne », l’anthroposophie, aux pratiques ritualisées, parfois étranges et inattendues, souvent occultes. Mais nos deux compères, abasourdis par leurs explorations, n’en perdent pas pour autant de vue leurs multiples dégustations !

Il doit tirer une drôle de tête ce petit comte qui voyageait dans le monde des vignes, il y a bientôt trente ans sous l’inspiration de Louis Parent et Claude Gilsoul (avant Frédéric Thiry et Jean Pécheur). Les temps changent, des modes en chassent d’autres et à la télé comme à la BD, le vin est devenu un univers lucratif pour la fiction, filmée ou dessinée. Entre autres parutions livresques. Ainsi, on ne compte plus les histoires signées Corbeyran, notamment, et les aventuriers du vin sous toutes les formes. Au moment où le filon semble pas mal s’épuiser, tiré jusqu’à la lie, voilà que Jean-Benoit Meybeck arrive avec une trilogie folle dont deux tomes sont parus jusqu’à présent.
Avec Jean-Marie Lebris, caviste armoricain, irréductible descendant d’Obélix pourrait-on croire (JB le croit), notre auteur de BD s’est lancé sur les traces et les origines de la biodynamie. Oui, mais, attendez, un auteur de BD et un artisan du vin, y’a pas comme un effet de déjà-vu ? Bien sûr, sur le résumé, on pense forcément au chef-d’oeuvre d’Étienne Davodeau, Les Ignorants. Mais donnez sa chance à Cosmobacchus. Si le ton est documentaire et autobiographique, Meybeck et son alcoolyte naviguent dans les profondeurs de la Terre et des mythes pour faire éclore un sujet tout à fait étonnant et ne manquant pas de puissance en bouche et dans les yeux. Visez les couvertures de ces albums au format comics, seulement, pauvres mortels!

À la suite d’une rencontre impromptue, le duo bien trouvé par le hasard se lance ainsi dans un périple dont il ne ressortira pas indemne. Dans le premier tome, les pages sont rougeoyantes, comme imbibées de vin rouge. Dans le deuxième, le jaune, comme les grains de raisins blancs à point, prend le pouvoir. Autant que l’imagination des deux compères, dont les nez sont de plus en plus rouges (quelle que soit la couleur prédominante d’ailleurs), face aux révélations qu’ils vont cueillir à travers les cépages de France: Bourgogne, Côtes du Rhône, Bordeaux… Des petits producteurs aux tout-puissants, sans oublier les vins de salon (et quel salon! Vinexpo !), le couple interroge la pratique alternative mais bien plus soucieuse de la nature que d’autres qu’est la biodynamie.

Un concept qui est désormais répandu, et accepté, chez de plus en plus de viticulteurs en quête de sens mais dont les prémisses valent le détour. Car si Jean-Marie a des airs d’Obélix, c’est que Panoramix n’est pas loin. En effet, la biodynamie tire ses préceptes de l’enseignement d’un Allemand Rudolf Steiner, il y a un siècle. Celui-là même qui, borderline, a mis sur pied l’anthroposophie, science ésotérique, pour ne pas dire occulte. Plusieurs fois, nos auteurs croiront d’ailleurs voir le Diable ou ses créatures, des farfadets aussi.

Plus loin que les gags et les cauchemars, au fil des quatre-vingts pages que compte chaque album, JB et JM dressent surtout l’incroyable état des lieux d’une France des vins qui s’affranchit des produits nocifs et écoute la nature, les planètes et même quelques dieux. Doux rêveurs ou durs acharnés, les spécialistes du vin s’enchaînent face au crachoir dessiné que leur offrent les deux apôtres de la vigne, entre confidences et envolées lyriques, entre secrets et mots qui fâchent. Le tout ponctué des réflexions plus terre à terre des deux amis rigolards. Il y a des dialogues de haute volée et des causeries alcooliques, Jean-Benoît Meybeck ne met pas de frein et la lecture s’écoule, sans qu’on ne comprenne toujours tout de la folie de monde sous-terrain, sous-vigneron (pas de quoi donner envie de mettre une aspirine dans notre verre de bon rouge, tout de même), fascinée.

Puisqu’il est question de naturel dans son plus simple appareil, Meybeck ne donne pas l’impression de construire son histoire vraie mais la fait vivre comme ils l’ont vécue. Et, franchement, à force d’aligner les rencontres et les discussions à bâtons rompus, on se demande si le dessinateur n’a pas emprunté un peu de magie à ses interlocuteurs tant tout est fluide, léger et très créatif. Les métaphores entre les mondes, l’appel à la force du dessin et à sa manière de matérialiser les thèses défendues tout au long de cette épopée sont diaboliques. Santé !

Le troisième tome vient d’arriver pour conclure, on le pressent, en beauté cette infernale et riche enquête.
Série : Cosmobacchus
Tomes : 1/3 – Lucifer et 2/3 – Ahriman
Scénario, dessin et couleurs : Jean-Benoît Meybeck
Genre : Documentaire, Enquête, Fantastique
Éditeur : Eidola
Nbre de pages : 86
Prix : 15€
Date de sortie : le 02/02/2018 et le 07/02/2019
Extraits :