Initialement prévues en mars, en exclusivité sur la Foire du Livre, les Soeurs Grémillet, tendres et impétueuses, ont finalement déboulé en ce mois de juin, à l’orée des vacances. Et si elles amènent avec elles d’étranges et douces méduses qui ne piquent pas si ce n’est les yeux, ce n’est pas le seul ingrédient fantastique de cette nouvelle série poétique, dramatique mais aussi réconfortante. Aux côtés de Giovanni Di Gregorio, Alessandro Barbucci déploie toute l’étendue de son art pour offrir un bien joli monde aux plus jeunes. Interview.

Bonjour Alessandro, nous vous retrouvons sur une nouvelle série. Cela faisait longtemps que nous ne vous avions plus vu dans un autre univers que ceux que vous déployez depuis des années. Ça change la donne ?
Une nouvelle série, forcément, ça crée des angoisses, des pressions. On a peur de décevoir. Mais, au bout du moment, cet album, je l’avais assez vu, c’est au public de décider, maintenant. Mais, en amont, je peux dire que je me suis retrouvé chez un éditeur sympathique.
Avec Les Soeurs Grémillet, vous formez un binôme avec Giovanni Di Gregorio qu’on avait déjà vu sur une autre de vos séries, Monster Allergy.
C’est-à-dire qu’au moment où il est arrivé sur cette série, j’officiais comme directeur artistique, nous n’avions pas vraiment collaboré. Auparavant, il avait scénarisé un roman graphique sur la mafia à Palerme. Il a aussi travaillé pour le cinéma, la télévision. Jusqu’au jour où, au cours d’un repas, il m’a soumis son idée.


Un projet très féminin – j’ai l’habitude des héroïnes et j’aime le fait qu’elles puissent plaire aux femmes, pas qu’aux garçons – mais peut-être plus personnel. Il est question de psychologie, c’est assez indépendant dans le genre. Bien sûr, Witch a fonctionné du tonnerre mais Les soeurs Grémillet me permettait, peut-être pour la première fois, de faire une BD de fille pour… humains. Dans le sens où ce n’était pas décérébré, ni rose bonbon.

Pourquoi pas des garçons ?
Parce que ça ne change pas grand-chose. En tout cas à la manière dont se comportent mes héros.
Parlez-nous en, du coup ?
Les soeurs Grémillet sont trois, dans une famille assez matriarcale. À l’image du Sud de l’Italie, très ouvert aux sentiments. C’est rare quand tout va parfaitement bien et on ne le cache pas, on se parle. On s’appelle ou on se retrouve autour d’une bière, j’aime assez cette mentalité. Cette série, je l’ai aussi faite pour ma fille.

La première chose qu’on voit de cette série, c’est sa première couverture.
Et je dois bien admettre que les couvertures, c’est mon talon d’Achille. J’ai fait beaucoup de recherches, au moins mille. La fatigue s’installant, avec mon éditeur Frédéric Niffle, nous avons procédé pas à pas. Nous avons réfléchi à l’ambiance de cette couverture, il fallait éviter tout risque de malentendu, éviter d’emmener le lecteur ailleurs que dans l’univers du livre. J’ai tenu à garder la silhouette de la ville pour bien situer l’action.

Nous avons l’impression que les trois héroïnes sont dans une sorte de jungle. Oui, c’est pour ça que j’ai voulu imposer la ville pour donner plus d’informations au lecteur. Non, les soeurs ne sont pas à l’écart de toute urbanisation.
Le contraste y est déjà présent. Entre magie et réalité, monde d’enfants et monde de grands.
C’est la règle de base, celle qui résume ce bouquin, avec l’aspect magique, rêvé. Il y a aussi cet écart entre le quotidien banal et l’enquête qui l’emmène ailleurs. L’album se dispute aussi entre la nuit et ses lumières bleues et le jour, ensoleillé.

Un monde d’enfants, avant tout, mais où germent les problèmes d’adultes. Leur maman leur cache-t-elle quelque chose ?
Je tenais à ce qu’il y ait ce genre de scènes dans lesquelles la mère passe du temps avec ses copines. Donner cette impression que les adultes croient tout savoir, ou du moins font semblant. Je voulais faire éclore les doutes.
De quoi donner une histoire complète. Il y aura un deuxième tome mais il pourra se lire indépendamment ?
En tout cas, je n’aime pas couper les histoires. Je serais plus dans une logique de roman graphique.


Comment sont nées graphiquement ces trois soeurs ?
Autant la cadette, Lucille, et l' »intermédiaire », Cassiopée, sont arrivées tout de suite, autant j’ai eu énormément de mal à créer Sarah, la plus grande. C’est une adolescente et je n’avais pas de références chez moi pour cet âge. Du coup, j’ai cherché? Je l’ai imaginée punk, dans un premier temps. Entre-temps, j’ai vu ma propre fille grandir. Je m’en suis inspirée, ainsi que des filles qu’on voit aujourd’hui dans la rue.
Cassiopée est arrivée graphiquement de manière assez directe. J’ai voulu tout de même déformer mon style habituel pour en trouver un nouveau, adapté à un public jeunesse. Bien plus que celui que j’avais créé il y a vingt ans, déjà. La consigne était que je sois moi-même, je devais dessiner mes émotions. Quant aux couleurs, je me suis servi de mes expériences, notamment de ce que j’observe sur les réseaux, sur Instagram. Ça me donne des idées.

Au final, votre histoire n’est pas si magique que ça, si ?
La magie s’est éteinte, en réalité. Elle était très présente dans une première mouture du scénario. Les héroïnes avaient même des pouvoirs magiques ! Mais, en creusant ce que nous voulions raconter, Giovanni et moi. L’histoire a gagné en épaisseur et nous avons été à l’économie de la magie. Elle n’était plus utile, elle parasitait notre propos.
Mais le paranormal est resté…
Oui, tout à fait. Notamment via les méduses qui ont été introduites dans l’histoire. Ce sont des animaux magnifiques, elles me fascinent énormément. Dans la première phase du projet que nous souhaitions raconter, il était question de fantômes. Mais comment dessiner de fantômes ? Nous en avons tellement vus. Je voulais trouver une nouvelle manière de faire. À force de dessiner, j’ai commencé à faire des méduses.

Qu’elles sont jolies, vous réconcilierez ceux qu’elles ont piqués avec ces animaux marins fantasmagoriques ! Quel projet avez-vous pour ces trois soeurs ?
Nous devrions les suivre durant l’été qu’elles passeront chez leur grand-mère. J’adore le Loth, donc il n’est pas impossible que nous les y retrouvions. Il sera question d’une église de village hantée par un fantôme.
De quoi nous mettre en appétit, merci Alessandro et passez un excellent été.
Série : Les soeurs Grémillet
Tome : 1 – Le rêve de Sarah
Scénario : Giovanni Di Gregorio
Dessin et couleurs : Alessandro Barbucci
Genre : Drame, Fantastique
Éditeur : Dupuis
Nbre de pages : 72
Prix : 13,95€
Date de sortie : le 12/06/2020
Extraits :