Sorti peu avant le confinement total et la fermeture des librairies, La Chute de Jared Muralt (publié dès 2018 en langue allemande) a dans ses gênes l’ADN de la crise actuelle. Parce qu’il ne fallait pas être devin pour prédire ce qui tôt ou tard allait nous tomber sur la tête. Mais qu’il fallait être doué pour le dépeindre sans cliché. Ce que l’auteur suisse fait avec du souffle et de l’émotion, la peur chevillée au corps mais l’instinct de survie trouvant les ressources pour tenir encore un peu.

Résumé de l’éditeur : Dans un futur proche, le monde est en crise. Sans pour autant rejoindre le clan des « Alarmistes », essayant de vivre le plus normalement possible, Liam voit son quotidien bousculé. Le virus de la grippe emporte son épouse infirmière. Il va devoir affronter seul avec ses deux enfants, Sophia et Max, ce monde en chute libre. La violence s’installe peu à peu à Berne, provoquant des hordes de pillards et, en retour, des répressions policières. La ville est peu à peu désertée, Liam aura-t-il d’autre choix que de la quitter à son tour ?

Des champs et des antennes à perte de vue, une voiture seule au monde sous le soleil rasant, son occupant interloqué devant une colonne de chars. C’est sûr, dans les premières planches de ce premier épisode, Liam a le décor pour se prendre pour Robert Neville, le personnage de Will Smith dans Je suis une légende.


Pourtant, il n’en est rien, la crise n’est pas encore installée, et Liam rejoint paisiblement ses enfants, l’ami Thierry et quelques bières. Le survival ne se déroulera pas en solo à l’heure où des avions de chasse franchissent le mur du son. Un bruit moins terrifiant que les quelques mots prononcés au téléphone et répercutés sans y croire : « Maman est malade ». De quoi rompre le silence de l’aube bienveillante et installer l’air de la peur, l’heure des sueurs, des larmes et des armes trouvées dans le Système D.

Jamais la petite famille ne reverra cette mère et épouse qui croyait en son métier: sauver des vies. Une grippe estivale d’une ampleur sans précédent fait des milliers de victimes, les hôpitaux et leurs postes médicaux avancés sont surbookés, assiégés par des centaines de personnes qui veulent se frayer un chemin dans ces couloirs qui se révèlent être ceux de la mort plus que de la vie. Et la réalité confinée que nous vivons actuellement semble être calquée sur le scénario de Jared Muralt. C’est troublant mais force est de constater que quand le désespoir sanitaire s’installe, il n’y a pas trente-six solutions. L’important n’est pas ce qui est mais ce que Jared en fait. Avec un héros aux traits pas très amène, auquel le lecteur n’a pas trop le choix, il doit s’attacher pour survivre à son tour. Liam, cet homme semblant si fermé, va devoir se transcender. Pour ses enfants, puisqu’il ne lui reste plus qu’eux.

Alors que la situation économique et sociale se dégrade, la petite famille va devoir subsister, trouver les bons plans: vivre caché pour vivre heureux n’est plus une option. Il n’y a plus rien dans le frigo et les ravitaillements sont les repères de salauds dont l’opinel vous invite à leur laisser ce que vous êtes parvenu à emporter et qui ne fera même pas un festin. Il faut aussi résister à ceux que la faim rend fou, se méfier.

En 58 planches sous un ciel et dans une nature qui continuent de vivre et rappellent que nous ne sommes que de passage, Jared Muralt plante un décor et une réalité que nous redoutons que trop bien. Ne brûlant pas les étapes, il ne sacrifie rien à l’action mais plutôt aux interactions pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans la tête des « héros » ou plutôt de ces hommes et femmes qui n’étaient pas destinés à en être. Avec les premiers dérapages et la pluie des dernières planches qui permet de souligner que le pire n’est pas passé.

Sur un cruel doute, Jared Muralt nous laisse là, sans parapluie, trempé par une situation qui, on l’espère de tout coeur, ne nous arrivera pas dans les prochaines semaines. Mais c’est amer, puisque ça se passe déjà ailleurs, peut-être dans d’autres circonstances, et que c’est effrayant, cauchemardant. Luxueux aussi, dans la perfection de l’art de Jared Muralt.
Série : La chute
Tome : 1
Scénario, dessin et couleurs : Jared Muralt
Traduction : Hélène Dauniol- Remaud
Genre : Anticipation, Drame, Société
Éditeur : Futuropolis
Nbre de pages: 58 (+10 pages de bonus)
Prix : 15€
Date de sortie : 04/03/2020
Extraits :