Le coup de semonce de Glauque à votre confinement: « On est tous voués à vivre »

Nous ne nous laisserons pas abattre. S’il faut rester à la maison, que c’est un devoir pour la santé publique et celle de nos proches, il ne sera pas dit que ce confinement ne sera pas marqué par des événements qui permettront de mieux passer à travers cette drôle de période. Des événements qui mettront du baume au coeur, frapperont par leur audace, forgeront les découvertes durables. L’un d’entre eux, c’est le premier EP de Glauque, groupe sacré révélation de l’année lors des derniers D6Bels Awards. Entre la dernière édition d’Esperanzah et la parution des 6 premiers titres studio – entre les deux dates, les choses ont évolué -, double-interview avec Louis Lemage, le chanteur de cette formation principalement namuroise.

© Maily Sterkendries

Bonjour Louis, avant de parler de l’actualité, revenons sur l’été dernier. Nous nous étions rencontrés à Esperanzah!, quelques jours après le BlueBird. Vous étiez les régionaux de l’étape.

Ce sont des festivals qui ressemblent à la région dans laquelle ils s’implantent. Esperanzah!, nous y étions venus l’année passée, en tant que festivaliers pour voir La Meute, incroyable, et Roméo Elvis.

C’est drôle, j’avais l’impression d’être déjà venu sur ces lieux. Et, en effet, je me suis souvenu que j’avais pris part à une retraite pour ma grande communion, ici. Le contexte était tout autre.

Maintenant, c’est toi le gourou de ses foules.

(Il rit) À vrai dire, je vais très peu en festivals et en concerts, je n’aime pas la foule. En général, je me mets tout à l’arrière. J’ai de la chance, je suis grand.

Et pour chanter, pas de problème?

Ah non, c’est plus facile quand on est au-dessus des gens. En fait, je n’aime pas être physiquement entouré. Je n’ai pas peur de l’impression de foule, par contre.

Es-tu timide?

À mort! Je ne suis pas la même personne sur scène. Tu peux y être sincère tout en étant en représentation, mettre de la distance. Il faut, sinon tu ne t’en sors pas.

Et si l’on en croit le magazine les Inrockuptibles, vous vous en sortez très bien. Pour eux, vous êtes «le groupe que le monde entier attendait».

Je pense que ça ne nous a pas aidés. Oui, ça fait plaisir, sur le coup. Mais après, ils ont une réserve de dizaines de groupes par année sur lesquels ils font des articles dithyrambiques et exagérés. Pour dire, quand ce groupe explose, «on l’avait dit». Mais c’est à double tranchant. Les commentaires laissés sous cet article n’étaient pas tendres. Genre: pourquoi seraient-ils les nouveaux rois du monde si personne ne les connaît. Et à raison. Remarquez, après, on a donné aux Inrocks une interview, c’était différent.

Qu’est-ce qui vous a propulsés alors?

Notre participation aux concours. Du F dans le texte et surtout le Concours Circuit. Nous avons reçu plein de prix de festivals qui nous ont invités à jouer. Et des pros nous ont repérés. Leurs retours nous ont permis de progresser beaucoup plus vite. Grâce au concours des Beautés Soniques, nous avons gagné un an de résidence aux Abattoirs de Bomel. Nous y allions quand nous voulions.

Les lieux musicaux namurois, vous y êtes habitués, non?

Oui, mon frère, Lucas, et Baptiste Lo Manto ont fait des études de piano à l’IMEP, à Salzinnes. Lucas est professeur de piano au conservatoire de Jambes.

Du classique donc qui, avec Glauque, se mue en electro-rap.

C’est marrant de voir des élèves de Lucas venir à nos concerts. Je l’ai eu comme grand-frère, j’ai une petite idée du professeur qu’il est. Il doit être moins extravagant en cours qu’entouré de Glauque.

«Des états d’âme poétiques plongés dans l’électronique», dites-vous pour décrire votre musique.

Tout le monde a besoin de les sortir. Le faire de cette façon est la manière la plus saine pour nous. Je comprends que ça puisse déranger.

Nos chansons ne sont pas faites pour heurter, cela dit. Un jour, peut-être, ferons-nous un album de blagues. Mais la démarche actuelle est celle-là. Et ce n’est pas un calcul. Nous savons qu’il est plus facile de faire des chansons tristes que des joyeuses.

Revenons en mars 2020, période de confinement pour repousser les assauts du Covid-19. Quelle période particulière pour sortir un EP. Comment vous occupez-vous, les membres du groupe, pendant cette période.

Oui, c’est un moment particulier. Avec les autres membres du groupe, nous avons la chance, vu la musique que nous pratiquons, de pouvoir créer à distance. Chacun s’enregistre, partage son matériel avec les autres. Nous nous échangeons des dossiers. Nous ferions du rock, ce serait une autre histoire… Mais, notre style de musique s’adapte bien au confinement. Nous sommes donc en train de créer de nouvelles chansons.

© Maily Sterkendries

Ce qui n’était pas prévu ?

Non, du tout. Nous sommes là dans un processus créatif fleuve, nous écrivons des dizaines de morceaux, nous verrons ce qu’il en reste.

Quand le confinement a commencé, nous avions encore des choses à finaliser pour la sortie de ce premier EP. Nous préparions notre nouveau live, nos résidences. La tournure qu’ont pris les événements, et cette épidémie, n’était pas prévue. Dans l’absolu, je dirais même que durant cette longue période qui s’offre finalement, nous n’avions pas dans l’idée d’avancer sur ce projet. Certains sont aux études, d’autres ont du travail, comme professeurs de musique, chacun a vu certaines de ses échéances tomber. Ça nous accorde plus de temps.

Toi, tu es encore aux études, aussi, non ?

Non, justement, j’ai transité vers un temps plein dans la musique.

Et ton confinement à toi ?

Je m’enferme chez moi, je vis la nuit, j’en profite pour écrire. Ce confinement n’est pas un grand bouleversement dans la mesure où c’est déjà mon processus de base au quotidien. Si ce n’est que je n’ai plus de liberté à le faire ou à ne pas le faire, je n’ai pas le choix, ce n’est plus moi qui décide : il n’y a rien d’autre à faire.

Sinon, comme tout le monde, je prends le temps que je ne trouvais ou ne prenais plus. Je vis comme un adolescent qui a trop de temps à perdre. On peut décaler son rythme de vie, pas besoin d’être en top forme le lendemain. Je fais des choses que je ne faisais plus, je lis, je rejoue à des jeux vidéo.

Cette période de confinement a aussi pu bénéficier de l’énergie positive d’un dernier concert avant longtemps. À Grasnapolsky, c’est ça ?

Oui, début mars. À ce moment, nous ne prenions pas encore trop au sérieux cette épidémie. Nous n’aurions jamais pu imaginer que quelques jours plus tard tout serait annulé et nous serions tous enfermés dans notre coin. Tout est arrivé si rapidement.

À Grasnapolsky, nous avons terminé sur une bonne note, c’est beaucoup mieux que de finir sur un concert qui se serait mal déroulé et qu’on retournerait dans tous les sens dans nos têtes. Nous étions face à un public néerlandais qui, de base, ne comprend pas le français. Mais réactif, avec de bonnes ondes.

Cela ne s’explique-t-il pas par le fait que dans ce que vous apportez, cet EP en est la preuve, la musique est aussi importante que le texte.

Et ça a toujours été le but. Cela marque l’identité de notre groupe, ce n’est pas le projet d’un rappeur qui laisse peu de place à l’instrumental. Non, cette importance de la composition est à la base de notre démarche de création : texte et instrumentation doivent se servir l’un l’autre, se renforcer… tout en existant indépendamment. Quitte à ce qu’une partie prenne parfois le dessus sur l’autre.

Sur la pochette de votre EP, les deux définitions du mot « glauque ». Parce qu’entre les deux, votre coeur balance ?

Les deux méritent d’être là. C’était l’occasion de replacer le mot dans son contexte, ses significations tout en marquant une identité visuelle avec cette touche de couleur.

En guise d’identité visuelle, c’est assez vierge.

Nous sommes assez fans des visuels simplistes.

Sur votre EP, chaque titre se délimite en un mot. Hasard ou volonté ?

Au bout de deux-trois morceaux retenus, nous nous sommes rendu compte que seulement un mot constituait ces titres. Ça nous aurait torturé psychologiquement qu’un autre déroge à cette règle. Donc, la raison est plus esthétique qu’un quelconque sens caché. C’est une optique minimaliste. Puis, en ce qui me concerne, je galère toujours à trouver les titres.

Pour l’anecdote, nous n’avons jamais réussi à renommé ID8. C’est le nom du fichier de base, de la maquette, sur notre ordinateur : idée 8.

Simpliste, ce n’est pas le cas de votre nouveau clip mash-up, Vivre. Bourré de sens pour ce qui est sans doute la chanson la plus forte de cet EP.

À la base, l’idée du clip est pourtant simple. Le concept devait traverser la vidéo, nous devions nous y tenir tout en nous offrant une liberté. C’est du fait-maison, comme Robot, ID8…

Vous avez ainsi amassé un nombre incalculable de vidéos, cette prospection a du prendre du temps, non ?

Oui, nous nous disions que ça nous prendrait un temps infini. Sauf que ce fut assez rapide. Nous sommes cinq dans le groupe et quand plein de personnes rassemblent ce qu’elles ont vu à droit ou à gauche, ça donne facilement matière à faire trois clips.

Et tout ça renforce encore cette chanson incontournable. Loin des clips qui ne sont que des faire-valoir.

C’était l’objectif. Encore une fois, texte et musique se répondent. L’objectif, si on décide de donner un support visuel à un de nos titres, c’est d’ajouter de la substance.

« On est tous voués à vivre », c’est en correspondance avec la situation que nous vivons, en ces jours confinés, non ? Quand vous chantez « On ne se prépare qu’à ce qui va bien (…) On se prépare très souvent pour une fête, on se prépare pas au pire ».

Exactement. Mais il n’y a aucun moyen de se préparer au pire. C’est facile d’élever la voix, de dire après-coup, on aurait pu faire ça, dû faire comme ça. Il y a toujours des choses à faire dans l’absolu, mais personne ne pouvait s’y préparer à cette situation. Que fait-on alors ? Plutôt que de revenir à des hypothèses, ne faut-il pas avancer ?

Comment as-tu créé le texte de cette chanson ?

Tout est né du refrain. J’avais cette phrase « On est tous voués à vivre » en tête depuis un moment. Peut-être un an avant que ce morceau ne germe. Je savais que je l’utiliserais. Je ne suis pas un fan de refrains mais force est de constater que c’est lui qui a mené la chanson. Les couplets étaient des prétextes, chacun aurait pu écrire le sien. Si bien que de concert en concert, les couplets étaient modifiés. Nous les avons réécrits après le Concours Circuit et ils n’ont plus bougé.

Il y a des différences entre les morceaux publiés sous forme de singles et ceux de cet EP ?

Robot a été remixé et ne sonne pas du tout pareil. Ce n’est pas la même chanson. Pour le reste, tout a été masterisé ailleurs, chez Dan D’Ascenzo. Les puristes qui ont une vraie attention à la manière dont sont faits les morceaux, trouveront les différences.

En tout cas, on sent toute votre énergie live dans cet EP qui a mis un moment à sortir.

Parce que nous sommes un groupe de live, avant tout… Enfin, un groupe de confinement, en ce moment. La scène nous a accaparés. Cet EP, nous aurions aimé le sortir avant mais nous avons eu tellement de concerts que nous n’avons pas eu le temps. D’autant plus que nous avons d’autres activités. Au final, ce n’est pas plus mal, cet EP conclut notre best-of des chansons que nous jouons en live.

Mais n’était-il pas question d’un album, à la base ?

Si, nous y avons pensé. Mais au moment de nous mettre au travail, nous nous sommes rendu compte que nous prenions diverses directions.

Cela veut dire que pas mal des chansons que vous interprétez en concert sont vouées à disparaître ?

À mon avis, oui. Dans les premières années de cette aventure, nous n’avons jamais eu le temps de nous permettre d’ajouter deux chansons dans notre setlist, d’en enlever deux autres. Non, nous composions pour les concerts, les concours. Parce qu’à un moment, nous passions de trente minutes de scène à quarante. Nous n’avions pas encore eu la possibilité d’aller plus loin dans le processus créatif. Nos chansons restaient finalement des premiers jets, des premières idées. Nous allions à gauche ou à droite. Maintenant que nous nous reconcentrons sur une direction, elle amène de la cohérence, une vraie identité. Peut-être le public ne s’en apercevra-t-il pas et dira que c’est dans la lignée de ce que nous faisions. Mais, pour nous, ça change la donne. En même temps, nous n’avons pas le recul nécessaire pour le dire.

Donc, a priori, certaines chansons n’auront eu qu’une vie en live. Elles resteront sur un disque dur ou dans la tête des gens qui les ont entendues lors de nos concerts.

Vous avez quand même imaginé un album, fait une maquette ?

Dans nos têtes, nous avons songé aux possibilités de squelettes. Nous voulions un concept fort, qui tienne la longueur. Un album, mine de rien, c’est très compliqué à faire tenir de A à Z. La cohérence revient à la mode. Notamment dans le format des albums de rap. On sent une vraie importance de l’album.

Dès la première année, nous avons évoqué l’idée d’un album. Sans jamais la concrétiser. Pour l’EP, ça a par contre été très vite, six mois. Et là nous embrayons.

Quelle est cette nouvelle direction alors ?

Nous partons dans un registre moins codifié, tant dans l’approche de la musique que des paroles. Au début, il y avait mes envies de rap, à moi, et les envies de faire quelque chose ensemble, des musiciens. Nous n’avons jamais suivi des influences, nous jouions de compromis, d’éléments nous permettant de nous raccrocher aux autres.

Aujourd’hui, nous nous permettons plus de choses. Bon, nous n’allons pas faire du rock anglais. Mais, dans le processus, nous nous sommes plus libérés, nous assumons plus notre côté electro pur. Les textes laissent, je crois, encore plus de place à l’émotion. Je me débarrasse de mes tics.

Votre musique est une affaire de contraste aussi, entre l’intimité et l’explosion.

Clairement, notre musique est cathartique, il faut laisser la place à la libération. Avant que ne viennent des questions comme pourquoi on veut faire de la musique et dans quel genre, il y avait cette idée qui s’est imposée: se libérer. C’est cathartique pour tout le groupe.

Il y a aussi de la place pour les doutes mais aussi les injonctions. Comme quand vous criez « plane » à vos auditeurs.

Ce que nous assumons totalement, dans notre subjectivité. Dans l’époque actuelle, ce qui est consensuel, passe-partout, pour que rien ne dérange, m’ennuie, ne m’intéresse pas, même. J’aime les choses plus clivantes. Plane est l’occasion d’aborder un personnage qui se place entre le « tu », le « je », elle parle à soi-même tout en faisant intervenir une espèce d’observateur omniscient qui prétend avoir la vérité universelle mais n’est que subjectivité. Le côté interpellant m’intéresse et je n’ai pas de problème à déranger, à ne pas plaire.

Vous deviez jouer en différents endroits, ces prochaines semaines, tout est annulé. Comment le vivez-vous ?

Tout le mois de mars est passé à la trappe. Nous avions de belles dates, Les nuits Botanique en Belgique, Le Printemps de Bourge, Paris… À force de mails nous annonçant telle annulation ou tel report, j’ai arrêté de suivre. Ce n’est pas chouette pour le moral. Je laisse couler, advienne que pourra. J’espère que tout l’été ne va pas tomber à l’eau, sinon, il n’y aura pas grand-chose à faire.

Naturellement, vous êtes entourés. Vous avez un manager.

Oui, Maxime Lhussier. Il était chez Jaune Orange puis il a créé sa propre structure, Odessa Maison d’artistes. Il nous a suivis rapidement, au tout début du Concours Tremplin, quand personne ne nous connaissait. Il nous a dragué durant des mois, avant que les autres n’approchent. Une relation de confiance s’est installée.

La nouvelle formule live, quelle forme prendra-t-elle ?

Nous nous serions entendus il y a deux-trois semaines j’aurais dit : « Comme l’année passée, avec juste les chansons qui changent ». Le confinement a changé nos perspectives. Des concerts ont été annulés. Si ça tombe, nous allons vraiment tout changer. Mais, si ça tombe aussi, quand les concerts reprendront, nous n’aurons pas le temps de tout changer. La question est : quand pourra-t-on s’y remettre ? Répéter ? En tout cas, l’idée est de changer un maximum de choses.

Naturellement, difficile de fêter la sortie de cet EP avec vos fans. Comme d’autres artistes, réfléchissez-vous à proposer un concert en streaming ? Bon, en groupe, c’est plus compliqué…

… mais nous avons la chance que deux musiciens du groupe vivent ensemble, comme moi et mon frère. Nous réfléchissons aux options. Toujours est-il que nous n’avons pas envie de faire quelque chose d’inconscient. Pas question de se regrouper pour le faire. Nous avons envie de partager du contenu mais pas de surfer une vague et de nous mettre en danger. Comme pour la nouvelle formule live, je ne sais donc pas répondre pour le moment.

Merci beaucoup et bon succès avec cet EP qui frappe fort ! 

 

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