Lize Spit, la « soeur Dardenne » de la littérature : Débâcle

Débâcle est à la littérature belge ce que Rosetta est au cinéma. Lize Spit nous conte une histoire se déroulant sur deux époques : l’adolescence du personnage en 2002 et son retour dans son village aujourd’hui. C’est de la littérature réaliste, du « cinéma d’auteur sur papier ». C’est poignant d’une vérité qu’on a généralement l’habitude d’éviter. Et c’est l’occasion de découvrir Lize Spit, auteure néerlandophone bruxelloise qui est d’abord scénariste… Et cela se lit dans son écriture. Tout à la fois malaisant et détonnant.

Photo de couverture :Frieke Janssens, série Smoking Kids

« À Bovenmeer, un petit village flamand, seuls trois bébés sont nés en 1988 : Laurens, Pim et Eva. Enfants, les “Trois Mousquetaires” sont inséparables, mais à l’adolescence leurs rapports, insidieusement, se fissurent. Un été de canicule, le deux garçons conçoivent un plan : faire se déshabiller devant eux, et plus si possible, les plus jolies filles du village. Pour cela, ils imaginent un stratagème : la candidate devra résoudre une énigme en posant des questions; à chaque erreur, il lui faudra enlever un vêtement. Eva doit fournir l’énigme et servir d’arbitre si elle veut rester dans la bande. Elle accepte, sans savoir encore que cet “été meurtrier” la marquera à jamais.

Treize ans plus tard, devenue adulte, Eva retourne pour la première fois dans son village natal. Cette fois, c’est elle qui a un plan. »

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Les trois mousquetaires, c’est un trio constitué de Eva, Laurens et Pim. Eva est la narratrice de cette histoire. Elle nous replonge dans son enfance, dans son adolescence sous forme de flash back alors qu’elle fait la route pour Bovenmeer. Une invitation pour la fête du souvenir du frère de Pim lui est parvenue et elle a décidé de s’y rendre…en compagnie d’un énorme morceau de glace qu’elle a déposé à l’arrière de sa voiture dans un Curver. Ça tombe bien, la neige commence à tomber dru.

Il y a Laurens, le fils de la seule boucherie du village de Bovenmeer, comme il n’y a qu’une seule épicerie où les articles non vendus sont régulièrement nouvellement étiquetés pour reculer la date de péremption. Laurens est un peu le suiveur du groupe mais aussi celui qui doit rentrer tous les soirs à la maison, même quand il demande pour aller camper avec ses amis.

Puis, il y a Pim, qui vient de perdre son frère. Ils travaillaient ensemble dans la ferme de leurs parents, pour donner un coup de main. Depuis, une paire de bottes attend à côté de l’étable… mais plus personne ne glisse ses pieds à l’intérieur. Pim est secret et le plus éveillé de la bande.

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Eva habite une petite maison avec des dépendances que son père avait promis de rénover mais qui sont laissées à l’état de projet et de délabrement. Les appareils hors d’usage attendent à l’extérieur et un T-shirt est abandonné en hauteur dans un sapin. Sa mère sort toutes les heures pour vérifier si les poules ont pondu et en profite pour avaler plusieurs gorgées aux bouteilles qu’elle a planqué sur le chemin.

Le père est tellement désœuvré que certains jours Eva se demande comment l’aider dans ses projets de suicide ouvertement affichés. Puis il y a Jolan, le grand frère qui s’évade dans les champs, le plus loin possible et enfin Tessie, dont les TOC envahissent chaque instant de l’existence. Mais elle est tellement touchante Tessie.

Eva, elle est froide et distante. Elle raconte les événement de son passé avec un détachement et pourtant beaucoup de justesse. C’est cela d’ailleurs qui met mal à l’aise à la lecture de Débâcle. Parce que sous ses yeux d’enfant, elle nous dévoile des scènes qui mériteraient plus d’intervention.

Mais elle reste comme spectatrice de ce qui lui arrive. Et plus on en apprend sur elle, plus on comprend ce qu’elle est devenue.

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Bien que ce climat lourd persiste, Eva reste une enfant – adolescente et l’on rit de ses anecdotes, de ses réflexions, de ses croyances et de ses bêtises. Parce qu’ils font échos à ceux de notre enfance, sans doute plus riche que celle de la narratrice. Et puis Lize Spit excelle dans la capacité à nous replonger dans ces temps où la force du groupe, la peur de décevoir et le besoin d’appartenance pouvaient dicter notre conduite et nous révolter en même temps.

C’est un drame que nous raconte Eva, un drame que l’on pressent, dont on voit les prémices se mettre en place tout au long du roman et que l’on ne peut arrêter. Il y a un fort sentiment de paralysie et d’inaction qui habite la lecture. Et on voudrait tellement intervenir.

C’est une écriture crue, vraie, sincère, juste. C’est un film écrit, avec cette efficacité implacable. C’est l’univers des frères Dardenne repris tout au long des pages.

Cette Belgique des villages, des gens miséreux qui n’en ont pas conscience. C’est du brut. Impossible de vous dire si j’ai aimé mais ce décor poisseux persiste encore un moment après la lecture.

Auteure : Lize Spit

Titre : Débâcle

Editions : Babel (Actes Sud)

Sorti le 5 février 2020 (2018)

564 pages

Prix : 10,80 €

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