Au début, Fabien Toulmé ne pensait partir que pour une aventure de quelques dizaines de planches, tout au plus. Il voulait toucher du crayon et de son coeur d’humain la réalité de ceux que les médias ont réduits à l’étiquette de migrants. Comme si toutes les expériences devaient coller à une seule et même expérience de la route qui mène à l’Europe. Prenons par hasard celle d’Hakim, laissons les liens du reportage tisser ceux de l’amitié et c’est une autre expérience de l’exil et de ses enfers qui s’offre à nous. Dans une trilogie dont les deux premiers tomes sont parus. Un peu plus loin, en fin d’article, vous découvrirez comment Toulmé explore aussi l’autre côté, dans la peau d’un dictateur en perdition.

Résumé de l’éditeur pour le tome 1: L’histoire vraie d’un homme qui a dû tout quitter : sa famille, ses amis, sa propre entreprise… parce que la guerre éclatait, parce qu’on l’avait torturé, parce que le pays voisin semblait pouvoir lui offrir un avenir et la sécurité. Un récit du réel, entre espoir et violence, qui raconte comment la guerre vous force à abandonner votre terre, ceux que vous aimez et fait de vous un réfugié.

Résumé de l’éditeur pour le tome 2 : En exil loin de son pays natal, Hakim trouve un peu d’espoir dans la naissance d’un fils. Mais de petits boulots en difficultés, la complexité du monde le rattrape une nouvelle fois et sépare sa famille. Livré à lui-même avec son enfant, Hakim va tenter de survivre, malgré les obstacles et la précarité, jusqu’à envisager le pire : monter sur un canot de fortune pour trouver un salut…

De la Syrie à la Turquie, de la Turquie à la Grèce, c’est ainsi que se répartissent les deux premiers tomes, 260 pages chacun.

C’est à partir d’une théorie simple et pourtant dégueulasse du journalisme que l’idée a germé dans la tête et l’art de Toulmé de se pencher sur le sort des milliers de personnes qui bravent la Méditerranée pour tenter de trouver refuge là où on voudra bien les accueillir. Cette loi journalistique c’est le mort-kilomètre qui veut que le lecteur/auditeur/téléspectateur se sente plus proche des victimes à proximité ou lui ressemblant que de celles à des centaines de kilomètres. Et ça marche: la preuve, Fabien Toulmé s’était projeté et avait ressenti le crash d’un avion de la Germanwing, résultat de la dépression d’un pilote, que des frèles esquifs sur le gros dos de la Méditerranée. D’un côté, quelques dizaines de malheureuses victimes; de l’autre, des centaines, série en cours.

Prenant conscience de ce qui se tramait à l’insu de son humanisme, Fabien Toulmé a voulu se rapprocher des seconds, en trouver un témoin. Au petit bonheur la chance, contre-balancer la tendance. Se déculpabiliser en comprenant mieux et en faisant comprendre. L’exercice court qu’il prévoyait s’est transformé en long effort de plusieurs années. Il avait en face de lui une famille syrienne, riche d’une expérience et d’un parcours qui devaient être racontés. Oui, il en fallut du temps. Dans l’écoute, la retranscription puis la transmission. D’avance, Fabien Toulmé s’excuse des libertés qu’il a du prendre. Mais la liberté n’est-elle pas la pièce centrale de l’épopée dont il se fait le passeur (bienveillant, une fois n’est pas coutume sur le trajet d’Hakim)?

Dans son premier tome, sans voir la mer, Fabien nous invite dans l’appartement qu’Hakim partage avec sa petite famille Najmeh et Hadi et parcourt, au fil des séances, les souvenirs et les périples de cet homme qui ne partait pas si mal dans la vie. C’était sans compter l’avenir. Hakim était à la tête d’une petite pépinière, suffisante pour faire bouillir la marmite. C’était sans compter la révolte d’un peuple qui s’était trop longtemps tu face à un pouvoir autoritaire qui allait se faire sentir encore plus, face à l’insurrection. Victime collatérale, Hakim va vouloir aider des manifestants blessés et sa descente aux enfers va commencer. Dans les geôles d’une prison, sous le coup de la torture puis de la réquisition de son magasin. Hakim était bien dans son pays, il n’a jamais été question de le quitter… avant ces événements. Et encore, pendant longtemps et de longs passages de cette biographie dessinée, il émet le souhait de rentrer chez lui, quand les temps auront changé.

En attendant, par le bouche-à-oreille et des contacts avec des compatriotes exilés, Hakim va tenter de se reconstruire au Liban, puis en Turquie. Du moins tant que le loup n’y est pas, et que le sentiment anti-syrien ne s’invite pas dans les recherches d’emploi et d’une vie décente. Avant d’être poussé vers la mer, comme une sortie à un cercle toujours plus vicieux. Hakim connaîtra quelques réjouissances tout de même – peut-on vivre sans avancer (le leitmotiv qu’il s’est donné)? – et l’entraide, parfois; un mariage avec Najmeh aussi. De leur union naîtra Hadi, un fils qui met du baume au coeur mais qui restera en Turquie avec Hakim pendant que Najmeh et ses parents tenteront de se construire un futur en France. De quoi compliquer encore un peu plus la vie du jeune père, émotionnellement et pratiquement. Comment gagner de l’argent ? Rien ne se passe jamais comme prévu, encore moins quand il faut attendre du papier. Les mots s’envolent, les écrits restent ? Pas forcément. Ils tardent en tout cas à acter qu’Hakim peut espérer un peu de répit ailleurs, avec sa famille. Et quand ils arrivent, les faux-espoirs ne sont jamais loin.

En retraçant son odyssée (le terme n’est pas usurpé ni gonflé), Fabien Toulmé lui donne ses papiers dans une reconstruction juste et évocatrice d’une vie d’exil loin des clichés. Du pathos aussi. Même si en quatre cases, le dessinateur a la puissance et le trait de nous ébranler pour annoncer une mauvaise nouvelle venue du pays, par exemple. Fabien Toulmé s’implique dans cette saga du réel, on sent que ça le travaille au-delà des rendez-vous dispersés qu’il obtient auprès d’un Hakim souvent pris. L’auteur de BD emmène même sa fille Louise, qui l’assaille de questions et meurt d’envie de rencontrer celui qui occupe tant ses planches de BD. Signe que la transmission a déjà commencé avant parution. C’est fort ce que Fabien Toulmé a réussi.

Le dernier et troisième tome arrive en avril.
Cher Dictateur… qui ne fait plus peur

Résumé de l’éditeur : La France vue par les yeux d’un dictateur aussi idiot que colérique En deux mots : Yevgeni Ier, chef suprême du Zaboulistan règne d’une poigne de fer sur son pays. C’est alors que la foule se soulève et décide de prendre les armes pour mettre fin à son règne. Pour protéger son maître et éviter un bain de sang, Bogdan, son assistant décide qu’il est temps pour eux deux de partir en exil, à l’insu de Yevgeni qui pense partir en vacances. Et c’est en France qu’ils posent leur valise. Ils découvrent alors qu’entre la France et le Zaboulistan, les choses ne sont pas si différentes que ça.

Dans un tout autre genre, est-ce L’odyssée d’Hakim qui a donné l’envie à Fabien Toulmé de dire tout le mal qu’il pensait de Yevgeni Ier, illustre dictateur du Zaboulistan ? Toujours est-il qu’en compagnie de Caloucalou, Toulmé fomente un complot qui a presque abouti.

Un vent de révolte souffle sur la capitale et Yevgeni ne pense qu’à fêter son anniversaire. Dans son pays des merveilles, de toute façon, celui qui n’est pas d’accord, on n’aura qu’à lui couper la tête. Il est comme ça, Yevgeni, sans compromis. D’ailleurs, Bogdan est dans ses petits souliers. Le conseiller n’ose pas avouer à son patron la débâcle qui se présage. Alors, ils prennent la fuite et tombent pour la France. Le début de péripéties dans un monde où les pouvoirs se sont inversés.

Dans cette fable politique et satirique, Toulmé évacue toutes les frustrations face aux grands tortionnaires de l’humanité. Caloucalou, lui, a publié deux albums en 2019, et fait valoir un style gros nez et enfantin auquel le lecteur doit se faire avant de se laisser embarquer dans cette aventure insolite. Les couleurs, elles, pétantes, sont de Philippe Ory. Ah si Vladimir, Donald, Bashar et les autres pouvaient être sur le même bateau! Ce serait bingo ! En attendant, les deux auteurs ont gagné le Prix Schlingo.

Tome : 1 – De la Syrie à la Turquie et 2 – De la Turquie à la Grèce
Scénario, dessin et couleurs : Fabien Toulmé
Genre: Biopic, Documentaire, Drame
Éditeur: Delcourt
Collection : Mirages
Nbre de pages: 260
Prix: 24,95€
Date de sortie: le 29/08/2018 et le 05/06/2019
Extraits :
Récit complet
Scénario : Fabien Toulmé
Dessin : Caloucalou
Couleurs : Philippe Ory
Genre: Humour, Satire
Éditeur: Fluide Glacial
Nbre de pages: 48
Prix: 10,95€
Date de sortie: le 21/08/2019
Extraits :