Après s’être révélé un peu plus parolier pour d’autres, avec quelques flamboyants morceaux offerts à Diane Dufresne sur son dernier album, et avoir rendu un vibrant hommage à Leprest en compagnie de quelques amis, Cyril Mokaiesh nous embarque dans un nouveau voyage. Après avoir parlé de la mer qui noie les réfugiés et de la terre hostile qui pourrait (ne pas) les accueillir, après avoir ressuscité les formidables Naufragés et s’être fait héritier de l’argentique en Argentine, c’est une nouvelle fois en croisière qu’il nous emmène. Mais attention, ça chahute entre Beyrouth et Paris.
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« J’étais un enfant de la balle, qui collectionnait les coupes, un mini-gendre idéal, mèche au vent et vent en poupe. À mon cou, pendait une croix… (…) J’étais le jour, pas la nuit, dans le regard des amis. Qu’il est proche et loin ce temps-là. » Pas de doute, dans ce souffle épique, avec ces sonorités nouvelles dans l’univers de Cyril Mokaiesh et intemporelles à l’échelle musicale du monde, c’est bien un retour aux sources, à l’origine, qui motive l’auteur-compositeur-interprète enfiévré dans ce nouvel album.
Mais s’il faut partir au Liban, on ne lambinera pas en chemin. Si on rejoint Cyril Mokaiesh, ce n’est pas via des posts clinquants sur Instagram, le chanteur n’a rien perdu de sa plume cinglante. Pour les attractions attrape-touristes, on repassera. Ici, on est dans le vrai. Et même si je n’ai jamais mis les pieds à Beyrouth, je ressens, dans les mots et la musique de ces onze titres, toute son intensité. Celle de sa fièvre, de ses doutes, de ses quêtes.
Cyril est comme elle, il a pris « le train du chagrin », après « l’ivresse évanouie » et la « bonne étoile qui vous quitte ». Il a eu besoin de se retrouver ailleurs, de se reconstruire, sans larmoiement mais en s’ouvrant à une partie de lui-même, plus enfouie que les autres. Et c’est bien plus prenant que le pathétique voyage de Carlos Ghosn qui hante les actualités et les seuls mots qui nous parviennent du Liban. Sans transiger, Cyril Mokaiesh ne ramène pas des clichés de son voyage, il ramène du vrai, au-delà des polémiques et pas pour autant aveuglé par la beauté de ce pays retrouvé, tout de même torturé et pris entre les feux de l’Orient et de l’Occident. « Je sais qu’ici rien est exemplaire, rien sauf la Terre » chante Cyril entre Paris et Beyrouth, sans oublier que le Grand Changement . « Au nom du père, du fils qui créchait par ici », un ange passe sur le tribal Au nom du père en compagnie de Razane Jammal.
Cet album, aussi personnel soit-il (ils le sont toujours plus, ai-je l’impression, y compris quand Mokaiesh reprend des chansons d’autres), a aussi été fait de rencontres et de collaborations, comme avec le pianiste Bachar Mar-Khalifé ou l’actrice Sòphia Moüssa qui fait percer le rap dans cet album qui ne s’enferme dans rien, ni à Paris (et le bouleversant Pardon qu’il lui adresse), ni à Beyrouth, ni dans le verbe ni dans la musique (avec des traces de classique et d’autres d’électro, oriental par-dessus-tout), ni dans le chant ni dans le parlé. C’est déconcertant au premier abord, mais Cyril Mokaiesh en a fait sa marque de fabrique, celle qui le transcende et l’amène à ne jamais faire la même chose. Même s’il y a toujours un certain parfum de révolte au détour de ses chansons.
S’il s’égosille toujours moins qu’à la grande époque de Mokaiesh (sans prénom), se surprenant même à chuchoter sur Près de vous, les textes, eux, non rien perdu de leur précision chirurgicale, de leur capacité à évoquer, à faire bouillonner le coeur, les sentiments et les sensations. S’il livre un album de 39 minutes, notre migrateur propose un ensemble tellement riche qu’il y en a bien pour des heures d’écoute. Des années sans se lasser. Jusqu’à l’incroyable Mater Vitae qui conclut l’album.

Avec ce sixième essai, toujours plus réussi, Cyril ne propose pas un catalogue de voyage. Mais un reportage musical, mené dans des conditions météorologiqes pas forcément optimales, laissant parler la subjectivité et les élans personnels mais aussi des constats économico-politiques qui gangrènent la situation sur place. D’ailleurs, on sent qu’il a résisté à ce pays qui était en lui mais lui était tellement étranger, qu’il n’y a pas succombé illico, et que si la fougue et la passion sont bien du voyage, elles se répandent comme l’odeur du jasmin (pas toujours rose) avec des milliers d’autres sentiments . Et la poésie d’un visionnaire pour les unir.
Résolument, une phrase de la chanson d’ouverture de cet album revient en mémoire (celle que Mokaiesh frappe à chaque fois fort): « c’est pas l’heure des regrets ! » Le cèdre lui a donné de la sève, son sang a imbibé son encre: quel album, mes amis, qui se dévoile dans un album-livre aux photos superbes !
En concert au Trianon, le 3 mars 2020, avant, espérons-le, un passage en Belgique.
Paris-Beyrouth
De Cyril Mokaiesh
11 titres
39 minutes
Un plan simple
Sorti le 10/01/2019