C’est toujours une joie de retrouver Alain Kokor. Après une excursion marine ou une exploration d’une vie à ras-de-terre d’un aristocrate démodé et désargenté, Kokor découvre les hautes sphères de la société artistique en compagnie d’un ours, d’une imposture cocasse et poétique. À la recherche du succès ou de son absurdité.

Résumé de l’éditeur : Ayant découvert un manuscrit caché sous un arbre au fin fond de la forêt du Maine (son auteur, Arthur Bramhall, craignait de voir son manuscrit partir en fumée comme son roman précédent), un plantigrade comprend qu’il a sous la patte le sésame susceptible de lui ouvrir les portes du monde humain – et de ses supermarchés aux linéaires débordants de sucreries…

Jurant que l’on ne l’y reprendrait plus, après un incendie qui consuma ce qu’il tenait pour un chef d’oeuvre (en ayant fait, il est vrai, le patchwork d’autres ouvrages de ce rang), Arthur Bramhall s’en alla enfuir sous un arbre marqué d’une neige blanche son trésor. Une mallette. Pas la malletta du Parrain, remplie de billets. Une mallette remplie des billets de son nouveau livre, Désir et Destinée. Et il alla boire chez Betsie et Gladys, les Soeurs Prescott. Jurant que le mauvais sort ne l’empêcherait pas de trouver la lumière du ciel littéraire des grands auteurs.

C’était sans compter un ours affamé qui n’avait rien loupé de la manigance et qui s’empara du trésor livresque, se disant qu’il pourrait le troquer contre quelques menus pots de miel. Plus malin que la moyenne, le plantigrade, il prit le premier train pour la ville, profitant du trajet pour falsifier le manuscrit et se trouver un nom de plume, lui, l’être de poils. Désormais, on l’appellerait Dan Flakes. Comme les Corn… des cornes que ce dépressif d’Arthur ne manquerait pas d’avoir face à cette nouvelle infidélité du destin.

Faisant sien et dessins les mots de William Kotzwinkle (The bear went over the mountain), Alain Kokor trouve là un sujet que lui seul pouvait adapter. Ça lui colle tellement bien cet univers à deux pas de la réalité sans l’être vraiment. Parce qu’un ours dans la ville, ça choque beaucoup moins qu’un Indien. Et que Dan Flakes va peu à peu se civiliser, devenir un peu mondain mais pas de trop e fricoter avec des jazzmen. Du miel pour les oreilles. Le plantigrade mettra même une plantureuse créature dans son lit. Et à l’interview, son charisme va directement faire mouche. Quoi de plus normal pour un ours.

Absurde et surréaliste, dans un traitement de couleur ocre rougeâtre, Alain Kokor livre une fable à contre-courant et qui fait sens dans toute sa splendeur iconoclaste. Dans cette inversion de rôle, l’ours réussissant à être un homme comme vous (oh oupidou), jamais Arthur ne le retrouvera. Mais le cherchera-t-il. À fort impact psychologique sur ses deux héros, cet album fait progresser, se détache du désir pour atteindre la destinée. Kokor se révèle une nouvelle fois en maître pour créer une histoire qui emporte l’adhésion dès le départ. Son traitement de l’ours est fascinant, du bestial à l’humanisation (sans devenir anthropomorphe), du grognement au vocabulaire. C’est cette évolution de langage qui est la plus marquante.

À la fin de cette lecture, je me dis, sans avoir lu le roman original, qu’il était fait pour connaître les images de cet auteur de talent qui ne résiste pourtant pas à donner envie de lire l’original. Comme quoi, deux mêmes récits traités différemment, entre l’original et l’adaptation, peuvent se renforcer. Ce n’est pas courant.
Titre: L’ours est un écrivain comme les autres
Récit complet
D’après The bear went over the mountain de William Kotzwinkle
Scénario, dessin et couleurs: Alain Kokor
Genre: Fable sociale
Éditeur: Futuropolis
Nbre de pages: 128
Prix: 21€
Sortie: le 09/10/2019
Extraits: