Santeboutique : les gâteaux de sable d’Arno, septuagénaire chamboulé et bouleversant

Si la vieillesse est un naufrage, comme certains le disent, au loin de la digue d’Ostende (bonsoir), cet animal qu’est Arno a du en être témoin. Certains s’abîment en mer, ici, c’est un album terrien que le plus que jamais Tom Waits belge propose pour fêter ses septante ans. Santé, Boutique, à fond !

© Danny Willems

Dans Santéboutique, son treizième album solo (et ça ne nous étonnerait pas que le 13 lui porte chance, l’album étant sorti un vendredi 13, en septembre), le pas si abominable homme des mers à la tignasse ébouriffante propose 10 nouveaux titres qui partent dans toutes les directions, portés par une voix toujours aussi éraillées et que Arno n’a jamais tenté de camoufler.

Ça commence en force, sur la première des mélodies que Mirko Banovic a quasiment exclusivement composées (ici avec Laurens Smagghe), l’urgent They are coming. Les premières sonorités évoquent des sonorités industrielles, qui font penser aux bruits d’un port quelconque dont Arno s’extirpe. C’est d’une incroyable intensité, dès le début.

Puis, vient très vite la plage titulaire de l’album, Santé Boutique. C’est presque devenu Santa dans la prononciation arnosienne. Pourtant y’a pas de cadeau dans cette vie par procuration new generation. « Comme deux animaux domestiques, ils regardent la télé sans faire de bruit ». Et Santeboutique, ce n’est pas la pharmacie la plus proche, c’est le bazar, une passade monotone et triste, en mode survie, du couple. Un peu désespérant mais qui swingue quand même. Rock et électro, encrant un peu plus la sonorité de cet album, quatre ans après le précédent. Taillé pour le live, ici.

Au naturel, comme le titre suivant du même nom, dans laquelle on retrouve le chanteur qui miaule presque, en perdition, Naturel(lement) con. Mais optimiste malgré les soucis. Puis, avec une bonne saucisse de Maurice, la vie passe tout de suite mieux. Issue du pur bestiaire d’Arno, de son vocabulaire tellement éloquent, voilà une chanson qui pourrait paraître ridicule mais qui fait le boulot. Jouer de la guitare avec des tripes, ça marche. Avec la chanson comme issue au désespoir.

Puis, c’est le moment phare, briquet tremblotant aussi, de l’album. Celui avec lequel Arno a fait son grand retour sur les ondes. Oostende Bonsoir, c’est un très émouvant périple de bar en bar, traînant la mélancolie dans ses filets. Le verre à marée basse. Ce texte, c’est Sophie Dewulf qui l’a écrit, sur une partition minimaliste de Arno, Bruno Fevery et Mirko Banovic (un trio qui fonctionne bien puisqu’il compose trois chansons sur cet album). C’est bouleversant. C’est le Arno, au verso de la pochette, qui tente de téléphoner avec une banane – façon Allo maman bobo ou Le téléphone pleure, au choix – (en espérant tout de même qu’il l’ait mangé après le shooting).

Après ce moment de latence, l’électricité reprend du jus avec Ça chante… « les couilles, ouïe ouïe ouïe » et sa somme d’interrogations, ce texte archaïque qui sonne comme un règlement de comptes. Avec les politiciens frustrés, notamment « mais bien payés ». Cette fois, c’est le Arno, recto, recta, qui, sur la plage, shoote dans une grosse motte de sable. « Donne la Victoire de la musique à une chanteuse conservatrice. Elle chante l’Internationale quand elle jouit avec une mélodie. »

Et en terme de mélodie, ce qui suit nous fait penser à un début de Nirvana. De sa voix quasi d’outre-tombe pour marquer la dark side of the man. Lady Alcohol, ses tunnels et les déperditions d’énergie. C’est la chanson la plus désespérée de l’album, celle à laquelle le personnage semble ne pas trouver d’échappatoire. Si ce n’est la musique.

© Danny Willems

Suite logique… ou pas, voilà Court-circuit dans mon esprit. Façon robot, Arno fait son SOS, « save me, save me » sur une mélodie démolie sur un piano patraque, métallique plus que mécanique. Et cette question, encore une, « est-ce que l’anarchie est de la nostalgie. » Et cette affirmation: « J’ai perdu ma jeunesse, mais j’aime encore Elvis ». Et s’il paie les conneries du passé, Arno semble les assumer. Émotionnellement, c’est riche.

Tjip, c’est fini, mais ce n’est pas encore la fin de l’album. Avec des hommes comme des oiseaux, et une muse qui hante le texte de l’Ostendais et qui s’amuse à nouveau, retrouve le tempo et le rock, à cheval entre hier et demain. Futur Vintage, Arno l’est toujours.

Et le tout se clôture sur un harmonica habité qui nous emmène dans le Flashback Blues, minimaliste textuellement (huit mots répétés à l’envi) mais idéal pour faire parler la poudre let les instruments. Un titre qui risque de faire des émules en live.

Pour terminer, que retenir de cet album ? Arno, ses albums ne se tiennent pas, ils sont à son image, hirsute, généreux, fait de roc et d’une certaine poésie. D’une poésie certaine. Foutraque. Non, la vieillesse n’est pas un naufrage. Oui, la vieillesse est un autre âge.

Ah oui, et pour terminer dans le plaisir, vous avez vu passer cette reprise incataloguable de J’aime la vie par Arno et Ruben Block (de Triggerfinger)? C’est cadeau pour inciter à boire de manière responsable.

Arno est en grande tournée entre France, Pays-Bas et, forcément, Belgique. Ses prochaines dates chez nous seront : le 27 décembre au Zebrawoods de Gand; les 23, 24 et 25 janvier à l’Ancienne Belgique; les 1er et 2 mai au Het Depot de Leuven; le 7 mai au Muziekodroom d’Hasselt; le 8 mai à De Roma à Borgerhout; le 9 mai au Cactus à Bruges; le 14 mai à De Kreun à Courtrai; le 20 mai au Vooruit à Gand et le 27 mai au Manège de la Caserne Fonck à Liège.

Santeboutique

Arno

10 titres

36 min

Naïve

Sorti le 13/09/2019

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