Vincent Delerm, entre ciné et CD : « 3 minutes de télé, ça peut créer un malentendu, c’est sur 1h30 de spectacle qu’on jauge vraiment l’artiste. »

C’est avec deux oeuvres indépendantes et se répondant que Vincent Delerm fait son retour cet automne tout en comptant bien prolonger l’aventure au fil des prochaines saisons. Avec un premier film réalisé comme un essai sur le sens de la vie, ce qu’on en fait, et un nouvel album très cinématographique, le garçon de 1976 qui a 43 ans (palapala) réussit toujours autant, plus même, à toucher les coeurs, à rassembler les destins, les portraits et à nous faire entrer dans son univers. À s’y sentir tellement bien. Interview.

© Julien Mignot

Bonjour Vincent, à l’écoute de votre dernier fabuleux album, je me demandais, chanteriez-vous pareil si le temps ne passait pas ?

C’est difficile à dire. Je pense faire avant tout du spectacle. J’aime l’idée de convoquer des moments. Préparer les choses dans mon coin, puis revenir : Ça y est, c’est prêt. C’est de l’ordre de la fabrication, il faut refaire les choses parfois. C’est sûr, il est aussi question d’un palier de vie supplémentaire.

Votre album est sorti le même jour que celui d’Alain Souchon, Âme sixties. Ça met la pression ?

Non. La rentrée musicale en France a été celle des gros retours. Son nouvel album n’y est pas étranger. Il m’apporte tellement. Mais il y a aussi eu l’album d’Alex Beaupain, celui de Jeanne Cherhal. C’est chouette cette diversité. Vous savez, il y a plus de gens dans les rues qui comptent plein de restaurants que dans celle qui n’en compte qu’un.

Sur votre album, vous chantez une vie Varda.

J’ai écrit une scène pour Agnès Varda dans mon film. Je la lui ai proposée. Mais elle savait que son temps était compté, elle triait sur le volet les projets auxquels elle voulait se consacrer. Cette chanson a été une manière de compenser ce que le film lui devait. S’il a débouché, c’est un peu grâce à elle.

Une vie hors-compétition, c’est joli, ça.

C’est un sentier qu’elle a choisi, c’est encore plus beau.

Votre album, vous en avez confié chaque morceau à un réalisateur différent. Au cinéma, on parle souvent des réalisateurs et des acteurs. En chanson, on ne parle souvent que des chanteurs. Mais un réalisateur, ça compte, non ?

Je suis assez prêt à penser que ce qui touche l’auditeur c’est la couleur, l’atmosphère d’une chanson. Le travail du réalisateur, en fait. Mais on a pris l’habitude d’en parler comme de la personne qui aurait mis le disque sous plastique.

L’idée de la couleur, c’est une question qui se posait moins, avant. J’ai donc eu l’idée de me tourner vers des gens de la jeune génération.  Cela dit, il y avait une part de chance, leur travail sur mes chansons aurait pu ne pas me plaire, me correspondre. Ce fut tout l’inverse. Bon, il y avait tout de même un deal : je me réservais le droit de rajouter une ou deux lignes de synthé.

Vous chantez également un duo avec Rufus Wainwright, en french dans le texte.

Rufus, je l’avais déjà vu chanter en français. Du Jane Birkin, je crois. L’origine de cette chanson, Les enfants pâles, remonte à 2006. J’étais en Suède avec Peter Von Poehl pour préparer mon album de l’époque et, dans la maison où nous logions, j’étais tombé sur un dvd documentaire sur Rufus Wainwright et le début de son succès. La fièvre. On l’y voyait marcher à Montréal. Je me suis beaucoup retrouvé.

Les chansons que je décide de faire en duo, je ne peux pas les chanter seul. Avec Rufus, peut-être encore moins.

Dans vos chansons, vous avez de plus en plus pris l’habitude d’interrompre le chant pour parler.

C’est l’idée de donner au texte une teneur différente. Ça permet de jouer sur la durée.

Il y a cet album, mais aussi ce film qui sonne comme une évidence.

Pourtant, j’aurais pu ne pas le faire. Je ne crois pas que ce soit une sorte de fatalité. Je ne savais pas si ça serait forcément très bon ce que je pouvais proposer derrière la caméra. Je suis moins de ce côté-là. En spectacle, je procède par intuition, je fais peu vérifier mes idées. Peut-être ne passeraient-elles pas à froid, sur papier. Ce n’est pas rassurant. En fait, tout prend sens quand c’est partagé. Pour mon film, je me suis retrouvé seul à devoir en convaincre plusieurs. Avec un film qui était… indéfendable. Ce n’est pas un vrai film, c’est un objet, un esprit, une construction avec le spectateur. Ce qui a touché ou pas mes producteurs ne tient sans doute qu’au petit charme qu’on espère, qui sera causé par la juxtaposition des tableaux, en télescopant des morceaux de vie.

Cet album n’est pas la BO de votre film, en tout cas.

Non, l’album et le film sont des choses indépendantes. J’ai réalisé la bande originale de Je ne sais pas si c’est tout le monde au naturel. J’ai repris des choses que j’avais arrangées pour mon précédent album, À présent. Puis, il y a le travail de Rémy Galichet. À la base, il y avait aussi le projet d’un autre film, cousin. Nous travaillerons plus tard sur la BO du film.

Qui contient aussi une reprise de William Sheller. À l’écran, il y a d’un côté le dernier film du « Colonel » Jean Rochefort et de l’autre le premier rôle depuis très longtemps d’Alain Souchon.

Alain ne voulait plus jouer, il ne se pense pas très bon au cinéma. Du coup, je le fais témoigner sur ses chansons, ça me semblait beaucoup plus fort, plus personnel. Alain, il ne cherche pas la lumière pour la lumière. Cela dit, ici, il ne joue pas alors que je le crois vraiment capable de jouer à n’importe quel moment. Son témoignage est graphique, émotionnel. Ce n’était pas écrit. J’ai voulu saisir un moment de vie réel. Enfin, pas dans le sens vrai, mais plutôt dans une connotation authentique.

Quant à Jean, il a tellement compté pour moi, ça faisait sens. C’était lui qui s’appelait le colonel. Ce sont deux personnes que j’ai toujours admirées, tellement bienveillantes.

Jean Rochefort avait pourtant mis un terme à sa carrière avant votre film.

Oui. Mais ce ne fut pas si difficile de le convaincre dans l’absolu. La scène que je lui proposais, ça lui convenait. Sa dernière, à marcher dans une rue sombre, en comité réduit. Sans savoir quoi faire. C’est dans ces moments que les gens fonctionnent à l’instinct. Jean m’a fait une confiance aveugle.

J’imagine que dans le film, vous avez eu plus de matériel que ce qui est finalement montré.

Je ne sais pas s’il y en a tant que ça. Je sais qu’on a coupé une histoire drôle d’Albin de la Simone. Pour nous rendre compte que ce n’était pas le sujet du film. Pour le reste, nous avons procédé séquence par séquence.

À la fin de votre film, vous faites le résumé, avec votre voix, de ce qui vient de s’accomplir devant les yeux des spectateurs. Vous reprenez des bribes des phrases que les différents personnages ont prononcées.

C’est une passerelle. Ça me vient du spectacle où c’est finalement assez naturel de procéder de la sorte. À la fin d’une représentation, les spectateurs ont presque oublié ce qui leur a été montré.

Dans La Chamade, quelques notes évoquent beaucoup la chanson de Chris Rea, Road to Hell. Ce que ne manquent pas de faire remarquer les commentaires sur Youtube.

On m’a dit ça. C’est laquelle dites-vous? (Il prend note). Il est possible que sans m’en rendre compte j’ai repris une suite d’accords. Ceux qu’on entend dans une boutique, par exemple. Ce n’est en rien volontaire. Sur le dernier album, j’ai composé une chanson que je trouvais superbe. Mais au fil des discussions, certains ne l’ont pas sentie. Elle n’est finalement pas sur cet album. Et, heureusement, parce que je me suis rendu compte qu’elle figurait bien sur le dernier album de… Stephan Eicher. Prisonnière.

Il y a quelques mois, il l’avait chantée sur France Inter. Une superbe mélodie que je n’avais entendue qu’une fois mais qui m’était restée dans un coin de la tête.

Ce n’est pas la première fois, avec Les piqûres d’araignée, je m’étais aperçu par après qu’elle ressemblait à une suite de notes d’une chanson de Florent Marchet. Que Julien Doré a ensuite repris dans une chanson parce qu’il aimait beaucoup Les piqûres d’araignée.  C’est comme ça que la musique vit.

Votre film va vous suivre en tournée, il n’est pas sorti à une date fixe en France.

Non, il n’y avait pas de nécessité à le sortir partout pour qu’ensuite il disparaisse. Par contre, je pense qu’il y a du sens à ce qu’il soit présenté simultanément à ma tournée. Dans une bulle. Pour Bruxelles, je n’ai pas encore de pistes. Mais, on étudie la question.

Dans votre film, le personnage le plus touchant est peut-être celui qui tient à jour un carnet par année et note ce qu’il fait de ses journées.

C’est François, je l’adore. Il n’est pas identifié, anonyme, mais il prend la main sur le thème. Il permet de nous recentrer sur le fonctionnement des gens, sur ce qu’on fait réellement de sa vie. Il résume les choses que je voulais dire dans ce film.

© Julien Mignot

C’est presque une thèse, non ?

Je l’ai pris comme ça, c’est vrai. « J’ai droit à un écran pendant une heure, que puis-je en faire, que dire ? » J’ai réalisé ce film comme un essai, essayant de prolonger les questions que je me posais sur ma vie à moi et celles des personnes que je conviais. Où on va ? Quel bilan tirer? Je ne suis pas là pour apporter des réponses, je préfère véhiculer des sensations, des vibrations, des émotions… En surface comme plus profond. Je crois que ce qu’on traverse au quotidien, ce n’est pas banal. J’avais à coeur de donner à sentir une présence.

Vous qui aimez la photo, vous donnez à ce film un éclairage et un cadre très personnel.

Je me suis entouré de trois cadreurs, des gars qui savaient ce que j’aimais. Nous ne nous sommes pas posés de question, préférant les schémas axiaux, de face.

Naturellement, cet album, il faut l’animer sur scène, non ?

J’aime jouer avec les envies des gens et je prends ça très au sérieux. Ce n’est pas anodin de prendre une soirée à des spectateurs qui ont renoncé à une raclette ou que sais-je pour venir me voit. Je veux proposer un vrai spectacle dont les albums sont les objets.

La scène, c’est viscéral pour moi. Je n’ai jamais annulé une date depuis 2002. Il faudrait que je ne puisse pas marcher pour m’y résoudre, et encore.

Que pourra-t-on voir à Bruxelles (et ailleurs)?

C’est donc un seul-en-scène suppléé par un écran de cinéma sur lequel je génère des tableaux grâce à des fichiers. Je veux faire sourire autant qu’émouvoir. Ce ne sera pas le même son que sur l’album mais ce sera ce que je perçois de ces chansons.

Quand on voit votre oeuvre, ce qu’elle devient, à quel point elle s’enrichit de manière universelle. On est loin de l’image de l’étiquette de bobo que les gens vous collaient et avec laquelle vous jouiez avec Renaud.

L’image de bobo, je n’ai pas surfé là-dessus. Quand on revoit les images de mes prestations télé d’il y a quelques années, c’est vrai que je véhiculais quelque chose de très nonchalant. Et comme la grande image qu’a le grand public d’un artiste est donnée par la télé, je me suis fait un peu croquer. On peut donner une image plus précise de nous à la radio, dans un journal papier. Sur les plateaux télé, je me suis demandé plusieurs fois ce que je faisais là. Il y a eu une sorte de délit de sale gueule dans l’esprit des gens : « pourquoi ça marche pour lui alors que c’est facile ce qu’il fait au piano ». Avec les années, ça s’est estompé.

Trois minutes de télé, ça peut créer un malentendu. Alors que c’est sur une heure trente de spectacle qu’on jauge vraiment l’artiste. Sur la durée, il faut prouver qu’on peut se remettre au travail. On a pensé que j’étais un branleur; de l’intérieur, je savais que ça ne me ressemblait pas.

© Julien Mignot

Est-ce que vous êtes heureux ? C’est une question qui se pose dans votre film, empruntée au fameux micro-trottoir de Marceline Loridan dans le film Chronique d’un été de Jean Rouch et Edgar Morin. Et vous, vous êtes heureux ?

J’ai pensé à ne pas mettre ce passage. Qui figurait déjà sur l’album À présent.

Cette question est délicate. Est-ce que vous êtes heureux ? C’est la question qui compte, que les gens se la pose. Marceline était surprise de voir que les gens ne s’interrogeaient pas là-dessus. Mais oui, je suis heureux. Je reviens à La Cigale jusqu’à la fin de l’année. Il y a une confiance qui s’est installée au fil des années. Les retours sur le dernier album sont plutôt bons. Le côté émotionnel est au centre des choses.

Merci Vincent. Et vivement Bruxelles, le 2 avril 2020.

Artiste : Vincent Delerm

Titre : Panorama

Label : Tôt ou tard / Pias Belgique

Nbre de titres : 10

Durée : 38 min

Date de sortie : le 18/10/2019

 

Titre : Je ne sais pas si c’est tout le monde

Réalisateur : Vincent Delerm

Acteurs : Jean Rochefort, Aloïse Sauvage, Alain Souchon, Vincent Dedienne, Eléonore Klarwein, Emmanuel Noblet, Alice Rohrwacher, Vincent Delerm…

Genre : Essai, Documentaire

Durée : 59 min

Date de sortie : le 23/10/2019

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