Le Mexique a Guillermo Del Toro, la France a Stan Manoukian. L’artiste tout-terrain et multi-formats s’est peu à peu imposé en roi des monstres à force de morceaux de bravoure dessinés et d’une imagination fertile, qui ne se répètent jamais. À un oeil ou à mille yeux, petits ou gros, malins ou bêtes, terrifiants ou loufoques, simplifiés ou architecturalement impressionnants, les monstres qui sortent de ses outils ont toujours de quoi toucher. Les adultes mais aussi les petits. Nous avions rencontré la moitié de Stan & Vince lors de la dernière Foire du Livre, en voilà enfin l’interview, tombant à pic pour Halloween. Même si sa série Monstre… chez Ptit’Glénat et l’encyclopédie Bêtes à faire peur chez Qilinn, tous deux en collaboration avec Séverine Gauthier, sont indémodables.

Bonjour Stan, vous nous revenez, coup sur coup, avec des albums consacrés aux monstres. Mais pourquoi les monstres ?
C’est un autre domaine que celui dans lequel j’ai l’habitude de m’illustrer en BD. Pour reprendre le titre d’un album dans l’air du temps : Moi, ce que j’aime, c’est les monstres. Vraiment, j’en raffole, ils ne m’ont jamais fait peur.
Puisqu’ils sont vos amis, il vous était naturel de les dessiner ?
La base, c’est un blog que j’alimente depuis douze ans. Comme petit exercice, chaque jour, pour me sortir de mes albums et autres travaux de commande, j’ai pris l’habitude de publier le dessin d’un monstre. Il en a fleuri partout. Des gens m’ont suivi, encouragé. Bon, comme c’était un travail quotidien, mes dessins restaient basiques. Au fur et à mesure, ils ont gagné des couleurs, se sont métamorphosés en gravure. Et force a été de constater que ce travail a construit mon univers.


Après trois ans à procéder de la sorte, je me suis aperçu que je n’allais pas très loin dans l’introspection, que cet univers était restreint. J’ai donc commencé à construire les alentours, les décors. Et, il y a 6 ans, des Américains ont pris contact avec moi, sont venus me voir à Paris et m’ont introduit dans des galeries américaines où j’expose depuis. Un effet boule de neige.
Les expos préexistaient aux livres ?
Tout à fait. Avec des sculptures qui se sont baladées au Japon, au Danemark, aussi. Et la Galerie Glénat qui m’a accueilli pour une exposition parisienne. Et ça me convenait très bien. Je n’éprouvais pas de frustration, je faisais de la BD par ailleurs. Mais, à un moment, ça m’a manqué. Je voulais raconter mes personnages, mon monde aux personnes qui ne visitent pas nécessairement les galeries. C’est ainsi que j’ai voulu m’auto-éiter avec Diary of Inhuman Species.
Comment Séverine Gauthier est-elle venue se greffer à votre projet.
Elle m’a contactée via Facebook, un peu poussée par son mari Thomas Labourot, avec qui elle réalise Aliénor Mandragore. Elle m’a dit qu’elle croyait qu’elle aimerait écrire pour mes dessins. J’ai visité sa bibliographie, lu ses livres, c’était super. Alors, on a essayé de collaborer. Pour voir si ça passait. Cela faisait quelques années que je faisais maturer cet univers. Privilégié que j’étais, j’avais du mal à y faire entrer quelqu’un. Mais le contact fut super, nous étions sur la même longueur d’onde et Séverine a vraiment enrichi mon univers avec sa vision. Un projet ambitieux qu’on n’avait pas encore présenté à des éditeurs.

Mais comme Séverine adorait écrire en Anglais, des poèmes, je lui ai dit : « fais-les moi lire ». Et nous avons associé le dessin et ces textes en nous disant, directement, que nous ne chercherions pas d’éditeur mais que nous les publierions directement sur internet. C’est ainsi qu’est né A monster a week. Bien avant qu’un hypothétique livre ne sorte.

Désormais, Monstre a peur des monstres est un livre jeunesse.
Ça nous semblait cool de parler de ce sujet pour des enfants. Ce fut appuyé par notre éditrice chez Glénat. Nous voulions adopter un concept à la Monsieur, Madame.
Que permettent les monstres ?
Tout, c’est un terrain de jeu infini. On peut faire accepter à tout le monde n’importe quoi. Bien plus que si on dessine des pin-ups ou des voitures. Je peux changer les formes, varier les milieux où mes créatures évoluent : la forêt, les marais. Un peu comme dans Chronokids où, avec Vince, on ne doit pas se caler sur un cadre. Si on a envie de faire du Poe ou du Verne, on peut. On ne doit pas s’ennuyer à être contraints. Et on peut dévier.

Avec des influences ?
Le Muppet Show que je regardais tout petit. Les livres anciens, Gustave Doré, mais aussi les illustrateurs des années 40’s, ceux qui illustraient les planches d’anatomie ou d’ornithologie. Puis les concept-designs de film. Je ne me suis pas forcément inspiré de tout ça mais ça m’a inspiré. Tout comme les mouvements associés au pop surréalisme, comme Mark Ryden pour n’en citer qu’un. Sans oublier les créatures de contes, d’Halloween ou de dessins animés.
Vous en avez eu peur, quand même, à un moment ?
Jamais. Mon grand souvenir, c’est L’Étrange Créature du lac noir que j’avais vu dans La dernière séance. Un film des années 50 en 3D. J’avais été fasciné. Je carbure aux films d’horreur des années 50, aux Gremlins aussi. Et ce qui est gore, j’adore.
La page Facebook A monster a week est devenu un livre, en France comme dans les pays anglophones.
En deux volets. Cernunnos qui s’occupe de la publication aux États-Unis de livres édités en France. Et Qilinn, département de Dargaud qui publie notamment les albums Lego. En anglais, A monster a week est devenu Bedtime Book of Bedroom Monsters. La parution a pris un peu plus de temps que prévu, pour cause de changement de distributeur.

En français comme en anglais, les rimes et la poésie sont au rendez-vous.
Oui, Séverine a étudié aux États-Unis, elle parle couramment anglais. Elle adore les poèmes, du coup, elle voulait essayer de faire rimer nos petites histoires. Et à raison, les personnes qui nous suivaient ont vraiment aimé cet aspect-là.

Sans oublier la poésie graphique.
Il serait presque bateau de le citer à chaque fois mais c’est évident qu’il a son rôle à jouer. On a les mêmes influences, lui et moi, c’est lui qui les a rendues populaires. Il avait d’ailleurs écrit un livre de poèmes, il y a plus de vingt ans : La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires.
Dans le cas qui nous occupe, Séverine écrit le poème au préalable et j’imagine ce que je peux en faire. De la forme du monstre aux décors qui l’entourent. En noir et blanc, comme un petit trésor qu’on aurait retrouvé. Tout doit fonctionner en une image. Là où la BD est répétitive et met le même personnage dans plusieurs positions. Et où la mise en page, le crayonné, l’encrage, la couleur restreignent la case.

C’est très rafraîchissant de se renouveler. D’autant plus que Séverine a essayé de me piéger. Avec un monstre invisible, un autre avec 99 oreilles. Le défi ? C’est de sortir de sa zone de confort, de pousser plus loin tout en sachant revenir à ce qu’on sait faire. Je suis incapable d’écrire aussi bien que Séverine, elle comprend tout.
Le monde entier peut voir vos oeuvres. C’est fou comme elles voyagent.
La puissance du réseau. Pour chaque post, il y a des Français et des anglophones mais aussi des Japonais, des Norvégiens…
En France, la culture est quand même moins underground. On bascule entre art contemporain et arts anciens. Alors que l’underground faire partie de la culture US. Montrer mon travail en France, c’est aussi une belle surprise.

Les enfants ne sont pas en reste, vous ne les oubliez pas.
On devait s’intéresser aux enfants, leur parler. Rien que pour le plaisir de les rencontrer en dédicaces et de voir ce qu’ils en pensent. C’est encore une autre narration. On sort des phylactères, des cases. Comme dans les livres anciens des années 50, le dessin doit raconter, apporter l’histoire. Il faut en retirer l’essentiel et synthétiser ce qu’on veut dire en 28 pages.
Et les humains ?
Il n’y en a pas de trace. C’est le même travail artistique. La base, c’est la nature, chaque plante, chaque insecte vivant. Je voulais mettre la nature au centre, pas forcément par esprit de vouloir passer un message de respect de l’environnement.

Un bon monstre, c’est quoi ?
Un monstre qui nous touche, même s’il est horrible. La base, c’est la peur mais au final, plein de gens les trouvent trop mignons. C’est le challenge, faire aimer nos monstres même s’ils sont moches ou bizarres.
Merci Stan et bonjour à tous ces monstres fascinants et magiques. Rappelons que le deuxième Monstre… (n’est pas bleu) vient de sortir, qu’il sera suivi, en janvier de Monstre est amoureux et que vous travaillez, entre mille autres projets sur une série Monsters Rocks avec des rockeurs bien connus, reconnaissables mais transformés.
Tome : 1 – … a peur des monstres
Scénario : Séverine Gauthier
Dessin et couleurs : Stan Manoukian
Genre: Jeunesse, Récit illustré
Éditeur: Glénat
Collection : ptitGlénat
Nbre de pages: 32
Prix: 12€
Date de sortie: le 06/02/2019
Extraits :
Scénario : Séverine Gauthier
Dessin et couleurs : Stan Manoukian
Genre: Encyclopédie, Horreur, Humour, Jeunesse
Éditeur: Qilinn
Collection : Les Grimoires
Nbre de pages: 136
Prix: 21,95€
Date de sortie: le 12/10/2018