Jean Chauvelot, explosif : « En supprimant la chute d’un gag en le divulgachant à tous les coups, l’intérêt de l’histoire doit se trouver ailleurs »

Qui n’a jamais rêvé de tout faire péter ? Joignant l’utile à l’agréable, au désagréable parfois, Jean Chauvelot est passé à l’acte. Ça lui a tellement plu qu’il est devenu un récidiviste du « badaboum », tellement présente dans le Neuvième Art. Mais, ce sont des explosions très personnelles que l’auteur décline inlassablement et de manière originale dans un recueil de 144 pages et presque autant de chroniques explosives. Cela valait bien une (longue) interview.

©Jean Chauvelot chez Rouquemoute

Bonjour Jean, la première chose qu’on voit d’un livre, c’est son titre et sa couverture. Comment s’est opéré le choix de l’un comme de l’autre ? Des évidences ou un vrai travail de peaufinage ?

Le titre a été une évidence. J’avais d’abord proposé à Maël, mon éditeur, un pdf qui s’appelait « les aventures de Jeanjean – Chroniques explosives et autres chroniques ». Il a immédiatement, à raison, manifesté le désir de n’éditer que ce qui explose, alors le titre était déjà là. On a fait un gros tri, dégagé plein de planches, j’en ai écrites de nouvelles, et réécrites d’autres, afin que (presque) tout explose.

La couverture aussi était une évidence dans ma tête, mais ce n’était pas évident pour tout le monde : Maël a d’abord milité très fort pour de la couleur, j’étais absolument contre. Je savais que j’aurais des chances de le convertir au noir et blanc si je parvenais à lui mettre ce dessin-là sous le nez, mais j’ai mis un temps fou à m’y atteler, et la deadline – impression & dossier à remettre au distributeur – approchant à grands pas alors que je travaillais sur un tas d’autres choses… On a failli avoir une autre couverture, avec de la couleur (un gros aplat rouge très violent), qui ne plaisait vraiment vraiment à personne, mais on s’était fait une raison, on l’avait validée entre nous à force de ménager la chèvre et le chou. La couverture actuelle a été livrée si tard que sur certains sites, on trouve la couverture provisoire qui avait eu le temps d’être envoyée à droite à gauche. En réalité (je viens de vérifier) j’ai 128 fichiers dans mon dossier « COUV ».

C’est au petit format, carré ou presque, que nous vous retrouvons. Un format que vous affectionnez ? C’était déjà le cas avec Le Pied et Va mourir, je pense. Au vu du découpage de vos planches, j’imagine qu’il ne pouvait en être autrement ?

Pour Le Pied et Va Mourir, c’était la volonté de l’éditeur (le Goûteur Chauve) d’aligner les format de sa collection « mise en bouche ». En réalité j’avais été mis au courant du format trop tard, et les dessins du Pied était déjà terminé… D’où ces drôles de marges blanches. Absolument pas une volonté de ma part, et une petite frustration à l’époque. Je chipoterais plus aujourd’hui, Le Pied et Va Mourir sont des cas d’école de pétouilles à ne jamais jamais faire, mais Le Goûteur Chauve et moi-même essuyions nos plâtres respectifs.

Pour les Chroniques Explosives, à vrai dire, elles n’avaient pas pour vocation d’être imprimées un jour, je les avais destinées à Instagram dans un premier temps, un endroit où je pouvais poster quotidiennement, créer une espèce de régularité et une espèce de (petite) communauté de lecteurs, ce qui impliquait de ma part de me tenir à cet exercice d’une planche par jour pendant 1000 jours (je n’ai pas tenu mille jours).

©Jean Chauvelot chez Rouquemoute

J’ai donc adapté mon découpage à ce format imposé par le support de diffusion : Instagram, donc, a été responsable du format carré. J’ai un peu honte d’avoir eu besoin de ce moteur là pour écrire et dessiner, mais c’est ainsi.

Le format d’impression a été décidé par l’éditeur en fonction de ce que son imprimeur pouvait lui proposer de la façon la plus « optimisable » possible. En effet, chez Rouquemoute on imprime en local, en Vendée, alors on essaye d’optimiser pour pas faire exploser le prix du livre, nous en sommes donc arrivés à ce format-là. Ma crainte était de vivre la même impression frustrantes que pour Le Pied, et faire avec de drôle de marges blanches, mais sur les chroniques explosives, je ne trouve pas ça « drôle », je trouve ça aéré, je trouve ça bien.

En quatrième de couverture, le résumé : « Bla bla bla bim bam boum ». Mais encore ?

J’ai pensé « épitaphe ». Je tenais à ce que l’accroche en 4 de couv soit la plus représentative de la simplicité du contenu du livre, de son systématisme, de son absurdité quasi-régressive. C’est un résumé enfantin, qui raconte en substance chacune des planche du bouquin (ou presque, car il y en a des muettes, et une *** spoiler alert *** qui n’explose pas).

Ce « blablablabimbamboum » était une volonté incompressible de ma part qui n’a pas séduit immédiatement l’éditeur, je ne sais plus comment j’ai fini par le convaincre (où à quel moment il s’est dit que c’était peine perdue d’argumenter).

Ici, chaque planche (ou récit en deux ou trois pages), parfois très ramassée (19 cases sur une seule planche) ou composée de quelques cases seulement, se termine sur une explosion. Comment vous est venu ce concept ?

L’histoire longue est la suivante : J’étais enseignant vacataire – contractuel précaire – à la Fac d’Arts Plastiques de Metz. J’encadrais le TD de dessin pour les premières années. L’un d’entre eux me demandait un jour « hé monsieur vous faites l’Inktober ? » j’ignorais ce que c’était, et mon ignorance me fit prendre conscience que d’une part, j’étais vraiment déconnecté et que, bon sang, je ne dessinais plus du tout. Pour un type censé encadrer un atelier de dessin auprès de ces bons jeunes, ce décalage et la prise de conscience que je ne dessinais plus du tout quotidiennement a mis un coup à la légitimité et fit gonflé mon syndrome de l’imposteur. Le jour même, je décidai de participer à l’Inktober. J’ai un peu honte d’avoir eu besoin de ça, encore, mais c’est ainsi. C’est ainsi que c’est installée la quotidienneté de mon dessin, et l’urgence du post Instagram. La quasi dépendance du like, c’est pathétique. MAIS je me suis remis à dessiner. (Par ailleurs, c’est aussi grâce à cette production quotidienne postée sur les réseaux sociaux que je me suis vu proposer de participer à Pandora).

« Des images de mes « dessins d’humains », qui sont un aperçu de ce que je cherche à approfondir dans ma pratique du dessin » © Jean Chauvelot
« Les détournement « photobomb » m’ont permis de créer un lien entre ces nouveaux dessins et les chroniques explosives. » © Jean Chauvelot
© Jean Chauvelot

De petites illustrations d’abord, puis je me suis mis à raconter de micro histoire, que je devais faire tenir dans un carré instagrammable… De fil en aiguille, les chroniques explosives sont apparues, d’abord ponctuant d’autres chroniques non explosives, puis elles ont englouti tout le reste

Pourquoi une explosion ? Que représente-t-elle pour vous ? Une fascination ?

L’explosion, donc, est apparue doucement. Très doucement, elle s’est imposée subrepticement comme la chute récurrente. Sans que je le décide vraiment, pour mille raisons supposées : Pèle-mêle, il y a mon plaisir à dessiner le motif, la violence absolue qu’elle implique, la table rase à tout les coups, et la promesse de repartir de zéro dès la prochaine histoire. Je ne sais plus quelle a été la première, peut-être une tentative de dessin politique, si ma mémoire est bonne, en réaction à la très grosse vague bleue marine qui avait englouti les élections régionales de fin 2016 peu après les attentats du 15 novembre qui avaient vachement ébranlé – au delà du traumatisme national- ma légitimité de dessinateur, je crois.

« La première explosion supposée. » ©Jean Chauvelot

Ou bien c’était avant ça, en racontant en bande dessinée un souvenir humiliant lors du tournage de Petit Paysan que j’ai voulu tourner en dérision (une planche que j’ai compressée puis redessinée depuis, afin qu’elle soit au bon format pour le livre), ou bien un clin d’oeil au schtroumpf farceur ?…

©Jean Chauvelot chez Rouquemoute

Je ne sais plus trop, mais en réalité, ce que j’aime par dessus tout avec le symbole de l’explosion, c’est la capacité qu’elle a à me faire aligner tous les petits et grands tracas à ce même niveau de catastrophe. Se cogner le petit orteil contre un bord de table, ou bien la guerre au Yemen. Car c’est aussi ça un des superpouvoir de l’angoisse, c’est qu’il rend tout assez catastrophique pour que tout soit une catastrophe insurmontable et définitive.

« Un champ contre champ de Petit Paysan, encore, qui n’a absolument pas servi à l’équipe du film, mais que j’avais dessiné pour me mettre dans l’ambiance, alors que j’apprenais mon texte. » © Jean Chauvelot

Voilà pour la fascination et le « pourquoi » symbolique de l’explosion, mais aussi, ce qui m’intéresse dans la suppression de la chute d’un gag (moi qui adore les gags et les chutes, comme un gros ringard), c’est que le sacrifier en le divulgachant à tous les coups implique que l’intérêt de l’histoire doit se trouver autre part. « Le résultat on s’en fout, ce qui est important c’est le raisonnement qui amène à ce résultat ».

Et aussi, cet absolutisme rend tout si vain, si perdu d’avance, mais on raconte quand même l’histoire, parce qu’on ne sait jamais, peut-être que la vie va continuer quand même.

Petit Paysan ? Le film avec Swann Arlaud ?

Absolument, c’est bien de ce film qu’il s’agit. Mon compatriote Hubert Charuel, la Haute-Marne en bandoulière, m’a proposé un petit rôle ainsi qu’un petit travail de storyboard sur le film, car on est comme ça les gars de la haute-marne : on fait croquer les copains. C’est une catastrophe égotique de constater qu’on me parlera de Petit Paysan à vie alors que (au delà de l’expérience formidable et des amitiés et rencontres que le projet a provoqué) ça n’a été qu’un engagement très ponctuel. Cela dit je serais ravi de remettre le couvert à l’occasion.

« L’une des première (peut-être la première ?) planche s’achevant par une explosion, réalisée sur le tournage de Petit Paysan, justement. Élaguée, elle apparait p.125 du bouquin » © Jean Chauvelot

Vous avez déjà été témoin d’une explosion en direct ?

Jamais dans la vraie vie. J’en ai vu 10 000 au cinéma, évidemment, mais en réalité jamais. Cela dit j’ai fait une fois un rêve très très marquant. J’étais ado, voir pré ado, ou bien déjà adulte, je ne sais plus. Quoi qu’il en soit c’est le premier souvenir que j’ai de m’être réveillé en larme, à gros sanglot.

C’est assez ridicule quand j’y repense : Debout dans l’encadrement de la porte d’entre de chez mes parents (à Donjeux, en Haute-Marne, le centre du monde), j’observais ma mère remonter la petite allée de devant la maison pour aller chercher le courrier dans la boite au lettres. Je savais que la boite au lettre allait exploser, mais alors que je m’apprêtais à prévenir ma mère, le rêve tout entier a basculé dans une espèce de ralenti (un vrai gros slow-motion comme Hollywood adore en faire depuis Matrix), et la déflagration de l’explosion de la boite propulsait ma mère comme un pantin désarticulé, qui se brise la colonne vertébrale et le corps entier contre le mur de la cour, avant de rebondir sur la voiture garée non loin.

Le tout dans un seul plan fixe, depuis mes yeux à mois. Pas comme ces rêves où l’on se voit un peu de l’extérieur. C’était très très graphique, assez cool image quand j’y repense, mais plutôt traumatisant car malgré l’esthétique un peu pompeuse du rêve, il me semblait très réel, et ma mère bel et bien morte.

La dernière explosion dont vous vous souvenez ?

Je crois que je n’ai rien vu péter d’autre qu’un bout de feu d’artifice deviné derrière la nuque d’un grand type, lors de ce dernier 14 juillet, alors que je me faisais moi-même engueulé par les gens dans ma nuque, parce que j’avais mis mon neveu sur mes épaules, afin que quelqu’un au moins en profite… Mais il s’était endormi sur ma tête, ce petit ingrat.

Et la plus mémorable ?

Au delà de quelques explosions de cinéma, ou celle dont j’ai rêvé et que je viens de vous raconter : Je me souviens très bien n’en avoir rien eu à fiche de l’attentat du Word Trade Center, le 11 septembre 2001. Parce que moi, lorsque les avions se sont crashé sur les Twin Towers, je me faisais poser mon appareil dentaire. On suivait le drame à la radio et l’orthodontiste a fait un travail de cochon qui va me coûter mes dents, à terme, ce qui est une catastrophe. C’est drôle comme la petite histoire de ma bouche me concernait à ce point plus que la mort de tous ces gens.

Des dédicaces. « Je propose au lecteur de préparer l’explosion de la personne ou de l’objet de son choix. » ©Jean Chauvelot

Vous êtes plutôt dynamite ou grenade ?

Alors ça, c’est une excellente question. J’aime les cowboys et les dynamitages de train, mais j’aime dégoupiller avec les dents. La grenade est peut-être un peu plus cinématographie ? Le bâton de dynamite plus facile à dessiner. En dédicace, je dessine des bâtons de dynamites car c’est plus facile, et ça permet de rehausser le dessin avec un peu de rouge, c’est toujours joli une petite touche de rouge. Une question trop complexe pour trancher, c’est comme choisir entre son père et sa mère.
Des explosions, il y en a aussi dans les films d’action ou d’animation au cinéma. Des souvenirs ?
Sarah Connor qui se fait pulvériser lors de son cauchemar de fin du monde dans Terminator 2, offrant au cinéma une des séquences les plus COOLS de l’histoire des explosions de maquettes au cinéma, voir de toutes les séquences tout court. Et puis elle explose en deux temps, c’est absolument génial. D’abord elle prend feu parce qu’il fait si chaud, puis elle se fait comme « éplucher » par le souffle de la déflagration, puis le squelette est propulsé puis désintégré – si je me souviens bien – une séquence si grandiose.

Mon autre explosion préférée est celle de l’ouverture de AKIRA. Silencieuse et extraordinairement belle.

© Katsuhiro Ōtomo

Au cinéma, il n’y a pas mille façons de faire tout sauter. En BD, par contre, il y a des manières créatives, originales. La vôtre en fait partie. Elle est venue naturellement ?

Je crois que tout s’est fait très naturellement quoi qu’il en soit ! Je suis de ceux qui font rarement ce qu’il veulent, mais qui font ce qu’ils peuvent. Alors tout est nécessairement très naturel et spontané d’abord, mais curieusement laborieux par la suite.

En plus, pas de couleurs ici, juste du noir (dans lequel tremper les idées) et du blanc, forcément, ça joue sur la manière de faire, non ? Pourquoi le noir et le blanc d’ailleurs ?

Comme dit, c’est que je fais ce que je peux. La couleur me dépasse absolument. Comme si j’étais daltonien du goût. Alors je m’en remets en noir et blanc. Au-delà de la limite de mes capacités que je confesse volontiers, il y a aussi cette raison: Si on peut se passer d’une chose pour dire un truc, alors passons nous de cette chose. La couleur ne m’aurait pas aidé à mieux dire les choses, alors je ne me suis pas cassé les dents à essayer de la convoquer. Il n’y avait pas à ce point besoin de couleur, je crois.

C’est (un peu) de vous dont il s’agit, non ? Jean Jean, c’est votre double autofictionnel ? Qui est-il ?

(Il est surtout la victime de ces explosions. Il a rarement la volonté de tout faire péter.) Il parait qu’on se dessine toujours plus ou moins. Je n’ai pas chercher à fuir ce réflexe-là. Mais plus qu’une espèce d’alter-égo, c’était d’abord un outil. C’est le bonhomme que j’utilise pour raconter ce qui me passe par la tête. Il n’a pas été prémédité, il s’est doucement installé comme l’outil spontané pour parler du monde depuis la tour d’ivoire plantée dans mon nombril. J’ai malheureusement, avec le temps, développé un rapport un peu embêtant avec lui, je m’y identifie plus qu’à la personne que je croise dans les miroirs où sur les photos où j’apparais.

© Étienne Duval

Et vous, Jean, qui êtes-vous ? Mettez-vous à nu !

Alors ça je crois que c’est une question un peu trop vaste.

Qu’est-ce qui vous a amené dans la BD ? Quel a été votre premier coup de cœur ? Et celui qui vous a donné envie de faire de la BD ?

Je crois que c’est Franquin. Gaston d’abord, puis les Idées Noires, avec lesquelles je prévois de me faire enterrer. J’ai été très marqué par Martin Milan, curieusement, mais sans commune mesure comparable avec Franquin. Peut-être parce que j’ai développé une tendresse plus forte pour les anti-héros que les héros tout court.

Je n’ai d’ailleurs réalisé que tardivement qu’on pouvait voir dans les Chroniques Explosives quelques allusions aux idées noires. C’est terrible de se rendre compte être éternellement dans la citation de ses références, ça me donne envie de me flinguer.

Vous faites, aussi, je crois, de la communication et du storyboard pour la pub. À quoi avez-vous participé ? Ça a ou ça n’a rien à voir avec un travail de BD ?

Ça n’a pas rien à voir avec un travail de BD, mais c’est vrai que c’est très éloigné de ce que je convoque pour les Chroniques Explosives. Ma pratique du storyboard (extrêmement récente en réalité) nourrit au contraire mes prochains projets (que je prévois plus « narratifs », moins gag-esques), car me contraint à déplacer la caméra et jouer avec les axes, ce que je n’ai pratiquement pas fait dans les Chroniques Explosives, dont la mise en scène tient presque plus du théâtre ou du clown que du cinéma.

Alors que j’aime tant le cinéma.

Autre expérience folle, celle de Dawaland pour Arte. Le but, raconter en 30 épisodes d’une image en création, les aventures d’Eustache, un mec gentil qui voulait devenir un badass. Un vrai hommage au travail de dessinateur. À l’écran, on ne voyait que vos mains en pleine création. En temps réel et en une prise ? Comment faisiez-vous ?

JB Saurel, l’auteur du projet, m’a guidé à travers ce processus douloureux qu’a été de DÉMOLIR mon dessin.

Ici, y’a-t-il de la place pour un scénario, un découpage ? Ou tout part en live, à l’intuition

C’était très très très écrit. On a laissé la place à l’improvisation si quelque chose se présentait, si un accident survenait, mais en réalité on avait verrouillé chacun des épisode à l’avance histoire d’être sûr de ne pas nous retrouver comme des cons, le jour J, sans idée ! Si nous avions reconduit l’expérience (ce dont je caresse encore le désir secret), on s’était dit qu’on improviserait plus… Voir même, qu’on tenterait parfois de ne faire qu’improviser. À suivre, peut-être, si Dieu le veut.
(Dieu c’est l’argent)

On sent dans votre dessin tout se bagage de storyboard. Vous allez « à l’os » comme on dit. Rien n’est superflu. Rien ne retient l’œil qui va à fond jusqu’à la chute.

Je crois que l’économie de moyen a raison partout. En architecture, aux échecs, en humour… Il faut que chaque chose ait du sens, et un dessin plus présent aurait servi à autre chose. J’espère un jour raconter des histoires qui méritent plus de dessin, et parvenir à les dessiner. Pour les Chroniques Explosives, je me dis souvent que (comme pour Dawaland), il ne s’agit pas d’un dessin qui me plait absolument, mais que c’est la dose dont le propos avait besoin.

Quand je dis « mettez-vous à nu », vous n’avez pas besoin que je vous le dise, puisque, dans cet album, votre personnage passe l’essentiel de son temps, de ses exploits et de ses déconvenues dans le plus simple appareil.

Ça a été, je crois, la meilleure des façons de dévoiler la vulnérabilité du personnage. Il est absolument tout le temps cul-nu. Sauf une ou deux fois dans le bouquin. À la fois un oubli et un acte manqué je suppose, je vous laisse le retrouver.

Ça vous va bien, du coup, de sermonner votre stagiaire, Cécile, qui ne pense qu’à dessiner des kékettes !

Huhuh.

Vous êtes prof, donc ? Qu’essayez-vous d’enseigner à vos élèves ? Malgré le boulot qu’ils vous donnent, ils sont chouettes ? Et ont du potentiel ?

J’ai dû quitter mon poste lorsque j’ai suivi l’amour à Paris et ainsi déserté Metz. J’ai vraiment rencontré de tout, ils étaient si nombreux… Je les aimais vachement bien, même s’ils généraient tant d’angoisse dans ma vie. Ce que j’essayais de faire, c’était qu’ils trouvent un outil pour transformer leurs idées en images, un outil à eux. Et qu’ils dessinent un peu moins de sous-manga et autres elfes à grosses épées et lutins à nichons.

© Jean Chauvelot

Cela dit, il y a Cécile, mais aussi d’autres personnages dans cet album. Qui sont-ils ?

Il y a Grégos, Julie, Etienne, Arthur, Romain, Luc, Maximin, Nico, Zoé… Il y a ma maman et mon papa, mais en réalité il manque plein de monde.

Cet album, quasi-muet au début, devient au final très loquace, volubile. Avec un vrai travail sur la typo.

La typo m’a bien longtemps posé bien des problèmes. Je crois que c’est Daniel Ledran (mon éminent professeur, un homme bienveillant, il a entre autre été le coloriste des premiers bouquins de Baru) et/ou Yan Lindingre qui m’a décomplexé à ce sujet (à l’époque il était enseignant aux Beaux Arts de Metz quand j’y étais étudiant. On n’a jamais vraiment travaillé ensemble, mais il a quand même donné ce conseil à la volée, conseil que j’avais décidé de chercher à appliquer) : en substance ça disait « c’est pas grave si c’est petit, au pire le lecteur pliera les bras », ou quelque chose comme ça, auquel il ajoutait que ça servait à rien de faire du chichi, qu’il fallait seulement avoir en tête de rester le plus lisible possible. Ou quelque chose comme ça. Ma typo s’est installée doucement à partir du moment où j’ai arrêté d’essayer de la trouver. Elle bouge encore beaucoup aujourd’hui, mais je crois qu’elle est presque tout le temps suffisamment lisible et que surtout, elle est raccord avec le dessin, alors tout va bien.

© Jean Chauvelot chez Rouquemoute

Il y a votre maman aussi. C’est d’ailleurs elle qui a relu cet album ?

Elle a relu les fautes d’orthographe, car c’est une ancienne institutrice, et que je suis une catastrophe orthographique, et qu’elle a toute ma confiance ou presque.

Mais aussi, Julie Lena m’a relu. Elle a tout relu, pas à la recherche des fautes mais en conseil sur tout. En plus de partager mon quotidien, Julie Lena est monteuse et comprend les choses du jeu et du rythme, elle sait où je veux en venir, et elle a une capacité à ne pas faire croire qu’elle aime quand elle trouve un truc nul. Elle a été garante de mon engagement dans le travail, car il m’arrivait de défendre mon point de vue malgré le sien, et me poser ainsi à moi-même la question de ce qui m’intéressait ici ou là.

Elle a réellement fait un travail d’éditrice – avant même que la question de faire un livre ne soit évoquée- sur le projet, la pauvre, et je ne l’ai même pas créditée à ce sujet, car je suis un misérable connard.

Un Inktober en hommage à Méliès.

C’est album, c’est du comique de situation mais aussi du comique de répétition. C’est casse-gueule, non ? Surtout sur 140 planches. Il faut répéter sans se répéter, non ?

Absolument. J’espère que ça fonctionne quand même.

D’ailleurs, d’après ce que vous nous annoncez, vous êtes le roi de Candy Crush, vous avez réussi le millième niveau. Mais ce jeu aussi est un exemple, addictif tout en jouant sur la répétition.

Absolument.

Dans cet album, il y a aussi un hommage, à votre façon, à Karl Lagerfeld. Sa disparition vous a fait un choc ?

Mon amie « Caca » (Camille Bertagna de son vrai nom, une excellente artiste par ailleurs) travaille chez Chanel pour remplir son frigo et payer son loyer. Le jour où j’ai appris la mort de Karl Lagerfeld, alors qu’elle y travaillait depuis seulement quelques jours, je lui envoyais ce message : « Karl Lagerfeld est mort !!! Qu’est-ce que t’as foutu bon dieu ?? » et elle m’a répondu très sobrement : « j’ai pété ». On a bien ri. En réalité j’ai été plus atteint par l’annonce du cancer de ma mère, ou même par celle de la mort de mon chat.

En fait, dans cet album, vous passez par tous les sentiments, non ?

Ce n’était pas prémédité, mais au fond j’espère que oui. L’idée était de faire feu de tout bois, sans trier, sans anticiper, je m’imposais d’être rapide, alors je faisais avec ce que j’avais sous le coude au moment m. L’idée n’était surtout pas de chercher à faire ma catharsis, le moteur du projet n’’était pas le désir de m’épancher, c’était plutôt l’exercice de faire feu de tout bois. Ensuite on a trié, on a essayer de travailler un rythme, un flot dans l’enchaînement, pour créer d’autres running gags que l’explosion en elle-même, tisser des espèce de fils rouges, de continuités, et – pourquoi pas ? – une cohérence globale pour que le bouquin ait du sens au-delà de la compilation.

©Jean Chauvelot chez Rouquemoute

Il a trouvé sa place aux Éditions Rouquemoute, vous nous en parlez ?

J’étais venu trouver Maël Nonet (Rouquemoute) sur les conseil de Dav Guedin, un autre ami que je vois trop peu. Pour un autre projet qui nécessitait 2 ou 3 ans de travail. Mobylettes. Un projet que tous les éditeurs du monde ont refusé, sauf Rouquemoute. Mais Rouquemoute c’est complètement fauché, donc l’idée d’une avance sur droits d’auteur de 45 000€ n’était pas envisageable. J’ai donc remballé Mobylettes, que je me promets quotidiennement de reprendre un jour… Mais puisque j’avais ferré un éditeur et sur les conseils de Julie Lena, encore elle, j’ai proposé Les Aventures de Jean-Jean à Maël, puis voilà.

Dans cet album, nous retrouvons aussi Nicolas Moog (qui signe la préface) mais aussi Zoé Thouron. Tous deux sont vos assistants « corrections ». Avec la manière forte. Des grands complices ?

Des amis très très chers, que je vois trop trop peu.

Avec Zoé, je vous avais découvert sur Highway To Love. Aventure hallucinée qui mettait en scène un de nos groupes de rock belges : Triggerfinger. Comment ça se fait ? Vous leur avez demandé leur accord ?

Jean Chauvelot et Zoé Thouron

Oui ! Ils ont lu avant Casterman. On voulait être sur de ne pas les courroucer. Et s’en est suivie, une fois le bouquin paru, une suite de rencontres assez super, puisqu’on a pu signer le bouquin à l’occasion de quelques uns de leurs concert, on garde particulièrement en tête la date de l’Elysée Montmatre – la première fois que nous rencontrions le groupe au-delà de nos échanges mails – qui a été un moment assez surréaliste.

Avec Zoé on avait envie de bosser ensemble depuis longtemps. Quand on est sorti des beaux arts (de Metz, où nous nous sommes rencontrés), on a commencé à écrire cette bêtise tous les mardi soir, en buvant des Picon bières. On cherchait un sujet depuis longtemps, moi qui ne dessinait plus et elle qui écrivait peu, puis on est ensemble allé voir le groupe en vrai (on l’avait déjà vu chacun de notre côté, l’un et l’autre) et elle nourrissait une fascination un tout petit peu plus forte que la mienne, et on a extrapolé tout ça, et ça a donné le bouquin que tu as lu. On en est très content malgré plein plein plein de regrets, mais on en est très content quand même.

© Chauvelot/Thouron chez Casterman

Vous êtes très rock comme garçon ?

Je crois que je suis surtout un gros ringard. Il fût un temps où j’arrivais à jouer le solo de Stairway to Heaven à la guitare par dessus le CD.

Quelle est la suite pour vous ? Vos projets ?

Je travaille actuellement avec un excellent ami architecte avec qui nous venons d’achever une résidence en banlieue Nantaise (après avoir été en résidence en banlieue de Charleroi en début d’été), afin de, en substance : rencontrant les habitants et les interrogeant sur leur territoire, dresser un portrait en Bande-Dessinée de(s) tissu(s) périurbains dans lesquels les fluctuation de densité de population interagissent avec le bâti du XXIe siècle.

Ce qui tombe très bien, c’est mon sujet préféré.

Une résidence à Charleroi, nondidjou, c’est près de chez nous. Mais que quoi comment ? C’était bien ?

C’était INCROYABLE. Mais ce n’était pas exactement à Charleroi. C’était à Walcourt, dans la banlieue. Mon travail actuel consiste à raconter tout ceci – cette réflexion sur le territoire périurbain – Si tout se passe bien on devrait éditer un compte-rendu de tout ceci sous la forme d’une bande-dessinée en chantier d’ici novembre. Affaire à suivre.

J’ai d’autres projets, je n’arrive pas à m’y mettre, mais je jure que j’en ai plein. Entre autres il y a Mobylettes, évidemment, ainsi qu’un projet de film d’animation qui s’appelle À la fin tout le monde meurt. Ces deux-là sont deux projets hautement personnels encore un peu trop ambitieux pour que je m’y attelle. Mobylettes, c’est un projet de BD pour lequel je rêve de l’accompagnement d’un éditeur patient, bienveillant, pertinent et fortuné.

« Des images extraites de la première bouture de Mobylettes qui, je pense, va radicalement changer, d’où mes recherches graphiques de dessins d’humains et de photobomb, car c’est plutôt vers là que je voudrais aller. Mais en réalité je n’en sais rien de rien. » Mobylettes © Jean Chauvelot
Mobylettes © Jean Chauvelot
Mobylettes © Jean Chauvelot
Mobylettes © Jean Chauvelot

À la Fin tout le monde meurt c’est un projet de court métrage d’animation pour lequel je rêve de l’accompagnement d’un producteur patient, bienveillant, pertinent et fortuné. À bons entendeurs ?

À la fin tout le monde meurt © Jean Chauvelot

J’ai aussi d’autres embryons de projet de bd ou d’illustration ou de métrages qui se tirent la bourre et sont autant de bonnes raisons de ne pas réussir à focaliser sur LE projet à traiter en priorité.

De l’auto-édition, ça me plairait bien. Je parlais tout à l’heure des intermédiaires qui diluent les rapports et les sous, je crois que ça me plairait bien de faire du fanzine en vente direct Auteur => Lecteur. Je reste aussi très ouverts aux propositions de collaborations diverses, soit passionnantes soit grassement rémunérées. Dans un premier temps, je dois boucler la restitution de cette résidence architecturo-sociologico-bédéistique, puis j’essaie de faire vivre au maximum les Chroniques Explosives, ce qui est déjà un vaste programme.

© Jean Chauvelot

Merci beaucoup, Jean ! On vous souhaite une bonne et explosive continuation. En espérant que tous les beaux projets voient le jour ! 

Titre : Chroniques explosives

Recueil de gags

Scénario et dessin : Jean Chauvelot

Noir et blanc

Genre : Absurde, Humour, Idées noires

Éditeur : Rouquemoute

Nbre de pages : 144

Prix : 18€

Date de sortie : le 21/08/2019

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