Les créations originales autour de l’univers de Mickey vont bon train chez Glénat. Et le concept s’exporte. Inattendu quand on sait son style et ses « sales manières » toujours extrêmement visuelles, c’est Pieter De Poortere qui s’y colle baptisant son album Super Mickey mais faisant surtout la part belle à Dingo. De quoi nous laisser sans mots mais avec un indéniable sens du dessin. Interview depuis la Fête de la BD, avant une grande expo-vente à la galerie Zic et Bul.

Bonjour Pieter, que Dickie n’en prenne pas ombrage, c’est Mickey qui nous intéresse aujourd’hui. Vous venez de sortir Super Mickey, c’est génial, non ?
En fait, les choses se sont déroulées assez facilement. À Angoulême, il y a deux ans, l’éditeur m’a fait cette proposition. J’ai été très surpris mais aussi très content. J’avais adoré les premiers albums de la collection. Cela dit, il a quand même fallu un an et neuf mois pour que le projet voie le jour. Nous avons passé beaucoup de temps dans la validation du scénario, pour trouver comment faire un Mickey acceptable.

Et quand on voit votre travail sur Dickie, on se dit que vous avez dû faire des concessions ?
Dickie, c’est l’opposé de Mickey. On y parle de suicide, de sexe… Dickey est un super-anti-héros et je voulais transposer ça sur Mickey. Ma première idée. Mais vous voyez Mickey être un anti-héros ? Je l’imaginais jaloux des super-héros musclés et aux pieds desquels les femmes tombent sous le charme. Alors que Mickey, lui, n’a que les enfants. On m’a dit : « off the character ». Je ne pouvais pas changer ou mixer notre monde avec celui de Mickey. J’ai donc essayé d’autres idées jusqu’à tomber sur la bonne. Après tout, s’ils voulaient que je fasse un album de Mickey, il fallait tout de même qu’il y ait de moi dedans. Et, au final, je n’ai pas l’impression d’avoir baissé mon pantalon (il rit).

Du coup, c’est Dingo qui est devenu le vrai super-héros.
Dingo, c’est mon Dickie. Ses super-pouvoirs ne durent qu’un temps et il va détruire tout. C’est là que Mickey va intervenir.
Et vous faites à nouveau un album sans texte.
Ce qui m’importe, c’est la lisibilité. J’ai déjà retravaillé des planches dans ce but. Pour que mon album soit lisible, il faut que le lecteur ne se demande pas où sont les bulles. Il ne faut pas non plus que ce soit trop lourd.

La première chose qu’on m’a demandée, c’était si je voulais réaliser cet album sans parole. Évidemment. Peu d’auteurs le font au final, ou alors durant quelques planches dans un album, pour créer une atmosphère. Par exemple, quand des personnages entrent dans une forêt inquiétante. Pour le reste, c’est clair que faire passer de l’info en se passant de mot, ce n’est pas facile.

D’autant plus qu’en prenant Super-Dingo, un personnage déjà utilisé dans d’autres albums mais pas parmi les plus connus, il me fallait expliquer les origines de ce super-héros. La comète qui s’écrase sur Terre, les cacahuètes contaminées qui confèrent des pouvoirs. Mine de rien, cela faisait beaucoup d’infos à donner au lecteur. Dans Dickie, il faut parfois relire une page de gag pour bien tout comprendre. Ici, ça n’aurait pas eu de sens.

Bref, maintenant, je comprends à quoi servent les bulles !
Le héros, c’est donc Dingo plus que Mickey.
Oui, c’est mon personnage préféré, un anti-héros. C’est pour ça qu’il m’est difficile d’écrire des histoires heureuses. C’est beaucoup plus amusant si tout tourne mal. J’ai beaucoup aimé imaginer ce scénario, c’est amusant.
Comment écrivez-vous, justement ?
Court ! Et sans forcément penser au dessinateur que je suis. Je n’ai pas évité les scènes de foule, par exemple. Pour le reste, une feuille A4 suffit à jeter mes idées. Puis, à peu près, je répartis le nombre de planches, une pour telle séquence, deux pour l’autre. Je veille à ce que chaque planche mette en scène un moment rigolo.

Avec un cahier des charges en ce qui concerne Mickey ?
Non ! Il y a plein de choses qu’on ne peut pas faire, mais il faut les proposer pour qu’elles nous soient refusées. Il n’y a pas de règles à suivre.
Vous avez dû recommencer des choses ?
Oui, mais rien qui ne soit trop grave. J’avais mis une jambe de bois à Pat Hibulaire, par exemple. Du coup, je l’ai gardée pour une séquence avec différents suspects. Un clin d’oeil. Puis, quelque part, j’avais aussi glissé une croix rouge ! On m’a fait les gros yeux. Pas de référence religieuse ! Ah, la morale américaine.

Vous vous souvenez du jour où vous avez découvert Mickey, Disney, ce petit monde ?
Non, mais je peux vous dire quand il fut déterminant. Quand j’ai commencé à dessiner, à St Luc Gand, j’avais trois ouvrages sur mon bureau. Du Chris Ware pour sa tristesse, Blacktown – connu en francophonie sous le nom de Lapinot – de Lewis Trondheim pour son humour et un recueil de numéros de Mickey des années 50 pour ce positivisme chantant. C’est ainsi que j’ai créé le personnage de Dickie. Mickey en a vraiment été la base.

Le vintage est bel et bien de la partie, ici.
C’est le monde des 50’s, celui dans lequel j’ai découvert Mickey. Au début, je voulais une atmosphère hollywoodienne. J’en suis sorti. Il ne fallait pas trop faire de recherches, ce n’était pas nécessaire. Par contre, lorsque j’ai fait Dickie au musée, c’était autre chose. J’ai dû revoir les grands peintres, Pollock par exemple. En faire quelque chose dans mon style.
J’ai recherché des couleurs plus datées, moins peps que dans Dickie.

On sait que c’est un album signé Pieter De Poortere quand on voit le nombre de méchants que vous convoquez dans cet album !
J’adore ça. Dans Prince Dickie, je m’étais amusé à tout détruire du monde des contes de fées, Raiponce, Blanche Neige… Tiens, c’est d’ailleurs curieux qu’on m’ait fait confiance pour un Mickey. Cela dit, je comprends qu’ils aient été curieux de voir ce que ça pouvait donner (rires).
Il y a aussi beaucoup d’animaux comme le gros morceau de l’intrigue a lieu au zoo.
Si je dessine pour les enfants, et notamment pour les miens, je sais qu’ils adorent les animaux. Je n’ai pas de difficulté à créer de nouveaux personnages. Je m’amuse. Comme ce boulanger qui se fait braquer. Je trouve que je l’ai bien réussi.
Puis, j’adore aussi le fait que dans le monde de Mickey, des personnages animaliers anthropomorphes se baladent au zoo devant des animaux en cage. C’est toute la logique, la magie de Disney. Ça ne s’explique pas.

Dans ce Super Mickey, iconoclaste que vous êtes, vous entrecoupez les chapitres de vraies planches de jeu: des points à relier, des labyrinthes…
Je voulais faire le lien avec les Mickey Magazine mais aussi jouer avec l’illustration, le graphisme. Ainsi que la typo.
Les collectionneurs, qui vont se rendre compte que leur progéniture a fait les jeux et sali leur album, vous remercient.
C’est vrai, nous aurions dû penser à un sticker « prière de ne pas découper l’album » !

Dans ces planches récréatives, il y a aussi des strips de Donald.
C’est un personnage que je ne trouve pas intéressant. Il est colérique, moi pas. Et je déteste les gens colériques. Ma conception est sans doute exagérée. Il doit y avoir d’autres histoires où Donald est plus nuancé. Mais il est tellement différent de Mickey, d’ailleurs il a eu sa propre série, que je ne pouvais pas l’inclure dans mon histoire.
Et Dickie, dans tout ça?
Il y a encore une grande partie de blagues de Dickie qui n’ont pas été publiées en francophonie. 200 pages. Nous étudions la manière de les éditer.
Mais, en ce moment, je travaille dans l’animation avec un studio.
Comme le dessin animé qu’on voit au Centre Belge de la BD ?
Ce sera aussi de la 2D mais en plus pro. Nous allons créer 52 X 2 minutes de dessin animé Dickie. Soit quatre blagues par épisode réunies selon des thématiques : espace, conte de fées…
Autre expérience d’animation, le court-métrage qu’avait réalisé des étudiants d’Albert Jacquard à Namur.
Oui, ça, c’était en 3D. Ça nous avait pris trois mois, avec sept étudiants (Christopher Bolland, David Collet, Morgane Delcourt, William Denis, Mathieu Godet, Antoine Tack, Jonas Wimart). Ce fut très difficile de matérialiser Dickie en 3D, de respecter ses proportions. Un casse-tête.
D’autres rendez-vous ?
Oui, une exposition-vente d’originaux durant un mois chez Zic & Bul à Paris, du 20 septembre au 22 octobre.


Puis, depuis cinq ans, je travaille avec une boîte de production flamande, De Hofleveranciers, qui fait office de maison d’édition mais produit également des séries animées. Ils s’occupent de mes albums originaux et de tout ce qui est international, sauf pour la francophonie.
Ainsi, je travaille sur un album pour enfants sur le peintre Van Eyck, en collaboration avec le musée des Beaux-Arts de Gand. L’idée est de partir du tableau L’agneau mystique et de voir ses personnages principaux s’en évader. Au fil des planches, le lecteur devra les retrouver. De lieu en lieu, comme la cathédrale ou le musée. Je me suis servi de Google Earth.
Et, pour revenir à Mickey, je suis retombé sur une interview de Walt Disney dans un National Géographique. Il disait posséder une bibliothèque composée de rayonnage de National Géographique dans lesquels il piochait et se documentait pour ses projets.

En tout cas, vous faites partie de la famille Glénat. Vous avez même eu voix au chapitre pour l’album célébrant les cinquante ans de la maison d’édition.
C’est un éditeur très respectueux. Oui, Dickie fait partie de la famille. À Grenoble, dans la librairie du groupe, c’est Dickie qui est à la signalisation ! C’est assez comique quand je repense à l’époque où j’envoyais mes projets dans des mails dans un français très approximatif et qu’on y répondait en anglais.
Avec cet album de Mickey, j’espère rencontrer un autre public. Je me suis rendu compte que, souvent, les gens disent m’avoir découvert, non pas dans les librairies françaises, mais lors d’un passage au Centre Belge de la Bande Dessinée. C’est vrai qu’il est difficile de se faire sa place entre les piles d’albums d’autres auteurs. Du coup, j’espère que Super Mickey plaira à mes fans mais aussi au grand public, à ceux qui ne sont pas au courant que j’ai fait d’autres choses avant.
Merci Pieter !
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Pieter De Poortere
Genre : Aventure, Fantastique, Jeunesse, Super-Héros
Éditeur : Glénat
Collection : Mickey vu par
Nbre de pages : 64
Prix : 15€
Date de sortie : le 04/09/2019
Extraits :
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