Voici quelques semaines, Chloé Delaume revenait sur les étals des libraires avec un essai à faire trembler le patriarcat. Avec ce texte court, mais incisif, hilarant et interpellant, l’auteure en appelle à concept farfelu pour certains, mais qui fait pourtant sens, celui de la sororité. Dans la France d’après Me Too et à l’heure d’un militantisme 2.0, Mes bien chères sœurs pourrait bien faire office mode d’emploi pour faire Badaboum aux rapports verticaux.
Le patriarcat bande mou. Quelque chose est pourri au royaume de la flaque, les indices et symptômes croissent et se multiplient. À se regarder jouir de son impunité, le mâle alpha n’a pas vu surgir l’obsolescence de ses propres attributs et fonctions symboliques.
C’est sur ces quelques mots tranchants que s’ouvre l’essai de Chloé Delaume, au cœur d’un chapitre intitulé « le crépuscule des guignols ». L’univers est planté et il faudra à peine une centaine de pages pour en faire le tour. Une brièveté qui témoigne de l’urgence de prendre acte de la situation. Le féminisme n’a cessé d’évoluer depuis ses prémices il a doucement passé la première, la deuxième, puis depuis l’incontournable affaire #metoo, il est entré dans ce que les sociologues appellent la quatrième vague. De nos jours, le féminisme a quitté le militantisme de la rue pour s’infiltrer dans un espace public sans frontière aucune : le royaume merveilleux d’internet. Twitter et les réseaux sociaux ont libéré la parole de femmes de tous azimuts qui ont témoigné et se sont soutenues pour faire entendre leur voix. Aujourd’hui, les militantes sont virtuelles et les guignols, qu’ils soient éminents producteurs ou journalistes hypes, les guignols ne sont plus intouchables et un seul tweet peut les faire tomber.
La sororité est le mot clef, la fin des rapports verticaux, se penser sœurs modifie tout. Pour cela changer l’angle d’approche sans redouter les regards portés sur nos assauts. Des sorcières et des meutes : bien sûr, pour nom Légion. Par la sororité, rien ne sera épargné, car les femmes vivent, partout, résolues et nombreuses, dangereuses puisque unies.
Ici, chaque mot de Chloé Delaume est dirigé vers les femmes, car un cercle de femmes, c’est selon elle, mieux qu’une famille. Dans une communauté de femmes, l’auteure l’affirme, on peut ne pas souhaiter de descendance, mais tout de même transmettre. En 1970, certains collectifs politiques défendait déjà la sororité sous bannières et slogans : Sisterhood is powerful ! Le principe de sororité est plutôt simple à comprendre ; remplacer les guerres entre les femmes par une solidarité bien ancrée en mots et en comportements. Si cette nouvelle révolution solidaire et féminine s’épanouit sur internet, Chloé Delaume en reste pourtant réaliste. Cette solidarité devra quitter son cocon numérique pour s’enraciner dans la réalité.
La sororité, c’est un féminisme empathique qui va au-delà d’une définition formatée de la femme, qui s’ouvre aux minorités, à toutes les situations de domination, à toutes les identités. Les maquillées, les nullipares, les lesbiennes, les célibataires, les pansexuelles, les chieuses, les princesses, les dépressives, les sapiosexuelles, les esthètes de la penderie… la sororité s’adresse à toutes les femmes, mais aussi aux hommes qui ne se prennent pas pour des hommes. C’est au cœur d’un passage bouleversant que Chloé Delaume nous décline toutes les figures féminines qui font tache dans la société. Elle écrit de chez ces inconvenables multi-identitaires, elle écrit depuis cette sororité bientôt plus minorité.
J’écris de chez les ex-bonnasses, les suffisamment cotées sur le marché pour avoir reçu des appels d’offres et avoir eu le choix des options.
Mes bien chères sœurs, c’est un essai qui donne envie d’action et de réaction, qui donne envie d’utiliser le mot sororité à tout va pour le rendre réel pour modifier l’avenir. Dans cette nouvelle œuvre, déjà culte pour les esprits qui l’ont expérimentée, on retrouve une Chloé Delaume au top de sa forme littéraire. Les mots jonglent qu’ils soient légers ou lourds, les néologismes affluent, tantôt grotesques, tantôt jouissifs, l’écriture est pertinente et amusante à la fois. Un essai presque poétique dans sa forme, qui donne envie dès les premières lignes de le réciter à haute voix, de le raconter à ses sœurs.

« Mes bien chères soeurs », de Chloé Delaume
Éditions du Seuil (collection Fiction & Cie)
Sorti le 07 mars 2019
132 pages
13,5 euros