Sous le choc ! Voilà l’état dans lequel on ressort de la lecture du dernier uppercut de Sean Murphy dans l’univers du Chevalier Noir. Ou peut-être est-ce le blanc ? Les contraires s’attirent, de manière fracassante, et le rapport de force s’inverse, comme l’entonnoir. Le Joker se rachète une conduite et envoie Batman aux oubliettes de Gotham et même d’Arkham. Mais comment a-t-on pu arriver à ce qui est l’une des plus belles analyses du monde désespéré du justicier musclé et masqué… mais plus pour longtemps.
Résumé de l’éditeur : Dans un monde où Batman est allé trop loin, le Joker doit sauver Gotham ! Le Joker, ce maniaque, ce tueur, celui que l’on surnomme le Clown Prince du Crime… si Batman, le Chevalier Noir, sombre du côté obscur, pourquoi le Joker ne pourrait-il pas sortir de sa psychose et devenir le Chevalier Blanc ? C’est ce qui arrive après qu’un traitement inédit a guéri le Joker et le fait redevenir Jack Napier : un nouveau candidat à la mairie de Gotham !

Tout commence comme souvent, une course-poursuite à une vitesse atteignant l’au-delà du raisonnable. Des dégâts, des drames évités de justesse et une sacrée frousse aux habitants de Gotham. Batman n’a plus toutes ses frites dans le même sachet. Sa colère et son esprit de vengeance semblent aveugler complètement la mission première qu’il s’était donné : protéger ses pairs. Aigri, obnubilé par diable-sait-quoi, l’alter-ego de Bruce est plus que jamais tout-puissant au point d’être un dieu destructeur. Un monstre. Un super-vilain plus du tout héroïque ?

Toujours est-il que, ce soir-là, Batman a bien failli atomiser le Joker, le tuer purement et simplement. Gavant son ennemi intime des comprimés qu’il convoitait, le justicier encapé a trouvé le remède au dédoublement de personnalité de celui-ci. Le fou est redevenu sain, Joker est redevenu Jack. Et il entend bien prendre sa revanche sur celui dont il aurait tant aimé être… l’associé, le Robin.


Décapant les portraits de ses protagonistes, Sean Murphy les plonge dans l’ultra-moderne solitude et fait resurgir finalement beaucoup plus d’amour que de haine. Et le premier est parfois beaucoup plus violent que la seconde. Sans compter les ascenseurs émotionnels entre ces deux états. White Knight, ce n’est pas pour autant un long thriller à sens unique: la personnalité schizophrénique du Joker (rarement aussi bien traitée, quelque part entre Split et Shining) alliée à la complexité aux limites de l’autisme de Batman multiplient les chemins pour arriver à la rédemption ou à la damnation. Avec un déroulement déroutant et judicieux, parfaitement huilé que pour laisser le lecteur dans l’expectative, incapable de prévoir et de se prévaloir du final.

À grand renfort de maestria graphique, de secrets de famille et de pouvoir (la vigilance pas toujours bien placée), Sean Murphy (l’autre homme du Maine après Stephen King: il doit y avoir quelque chose dans les eaux de cet État) fait intervenir quasi tous les méchants possibles et imaginables que Batman a croisé au cours de sa carrière, sans pour autant faire too much (il y a même de la place pour la nuance et un MisterFreeze allié de la dernière chance).


Tout a un sens ici, celui de la folie tantôt raisonnée tantôt irrépressible, bien aidée par des fers-de-lance redoutables : l’écrin de Gotham en tant que tel, devenu irrespirable, la guerre de deux Harley face à un Joker dont elles sont amoureuses soit du côté pile ou du côté face. En espérant que le principal intéressé penche de l’un ou de l’autre côté. Un jeu d’équilibriste.

Et en équilibriste au-dessus de l’abyme, en roader bien plus appliqué que les Fast and Furious (il n’y a pas une batmobile mais beaucoup, tonitruantes), Sean Murphy nous éblouit de sa classe noire mais délicate, féroce et irréversible, mue par l’énergie du désespoir. Celle de deux personnages que tout semblait opposé mais qui ont bien plus de points communs, à commencer par la solitude et un certain sens du sacrifice pour une cause qui les dépasse. Les vrais méchants, eux, sont bien plus rusés que les super-vilains, ce sont ceux qui ont le pouvoir et les liards et qui décident d’investir… ou de désinvestir.

L’opposition est tranchante. Les couleurs de Matt Hollingsworth, âpres, montrent toutes les nuances dont l’obscurité est capable et y ajoutent encore un peu plus de profondeur. Entre furie des grands espaces endommagés à tombeau ouvert et intimité dans laquelle les personnages se dévoilent à coeur ouvert et écorchés, Sean Murphy fait son oeuvre au noir. Il y met du blanc pour mieux trouver la puissance du gris, celui qui évite les extrêmes, condamne les perceptions primaires et trouve la justesse.

L’auteur a réussi un chef-d’oeuvre moderne, sonnant une bonne fois pour toute la fin de l’innocence et le surpassement de la souffrance, celle qu’on doit à soi-même et qu’on inflige aux autres, en voulant pourtant le contraire. Monolithique, Batman a 80 ans, cette année, Sean Murphy l’a déchu de son trône de certitudes, et c’est la meilleure chose qui pouvait arriver à ce justicier. Redoutable et admirable !

Titre : Batman : The White Knight
Récit complet
Scénario et dessin : Sean Murphy
Couleurs : Matt Hollingsworth
Traduction : Benjamin Rivière
Genre: Action, Fantastique, Psychologique, Super-Héros
Éditeur VF: Urban comics
Collection : DC Black Label
Éditeur VO : DC Comics
Nbre de pages: 193
Prix: 22,50€
Date de sortie: le 26/10/2018
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