Jane Eyre, voilà un nom retentissant dans l’histoire de la littérature. Tout aussi retentissant que celui de son auteur, Charlotte Brönte. Maintes fois réédité, revisité ou adapté au cinéma et à la télévision, le personnage de la jeune préceptrice a su traverser les époques et s’élever au rang de ces quelques mythes littéraires. Aujourd’hui, elle revient sous le simple nom de Jane, dans une nouvelle adaptation en BD, cette fois, et dans une version tant modernisée qu’américanisée. Retour à Thornfield Hall ou plutôt départ Manhattan.

Après une enfance malheureuse dans le Massachusetts, Jane part pour New York où elle s’inscrit dans une école d’art. Forcée de trouver du travail pour payer ses études, elle est engagée comme nanny chez un riche homme d’affaires, le mystérieux Edward Rochester. Veuf et souvent absent, il laisse sa fille, Adèle, seule dans un immense appartement, hanté par de sombres secrets. Si Jane se lie d’amitié avec cet enfant solitaire dont elle a la charge, elle est bien vite happée au coeur d’une spirale romantique dangereuse.

À la barre scénaristique de cette adaptation, on retrouve Aline Brosh McKenna qui s’attaque pour la première fois à la bande dessinée après plusieurs scénarios pour le cinéma comme Le Diable s’habille en Prada, 27 Robes, Morning Glory ou encore We Bought a Zoo, rien que ça ! Pour sa première incursion livresque, la scénariste s’entoure de Ramòn K. Pérez à qui l’on doit notamment Tale of Sand, brillante adaptation d’un projet oublié de Jim Henson. Au premier abord, voilà donc un duo talentueux qui devrait faire des étincelles.

Force est de constater que tous les ingrédients incontournables de l’histoire originelle sont bien là. À commencer par Jane, Rochester, Adèle, Richard Mason et même Alice Fairfax et Bertha Mason renommées Magda et Isabel. Remise au goût du jour, les intrigues, elles aussi, sont respectées quoi qu’un peu plus rocambolesques sur la fin. Si la première partie de l’histoire tient la route et s’accroche à ses origines, la seconde cependant, s’en éloigne dans une fuite de Rochester à la James Bond ou Christian Grey, c’est selon. Il n’en fallait pas plus pour perdre l’essence même de Jane Eyre. Plus surprenant encore, toute consistance féministe se gomme au fil de la revisite ; aucune trace de cette toute jeune femme qui, après avoir été longtemps écrasée par des hommes, prend son destin de femme en main, qu’importe les conséquences. Superficielle, notre Jane 2.0. est dominée de bout en bout par Rochester qui, au-delà de son aspect ténébreux, se révèle bien loin du héros complexe et fascinant de 1847.

À côté d’un scénario bancal, le vrai tour de force prend forme du côté des dessins de Ramòn K. Pérez, sublimes. Débutant en noir et blanc pour raconter le passé houleux et sombre de la jeune femme, la couleur s’insère peu à peu pour nous plonger au cœur des gratte-ciels new-yorkais. Pérez fait revivre ces quelques personnages mythiques en nous offrant cette apparence contemporaine que l’on s’est toujours refusé d’imaginer par attachement. Réussie, la revisite visuelle l’est bel et bien ! Dommage qu’elle ne soit pas servie par un scénario plus appuyé et des dialogues plus travaillés.

Quand on connaît et aime passionnément Jane Eyre, difficile d’accrocher à cette histoire qui rappelle Cinquante Nuances de Grey quand elle ne se révèle pas comme une vraie fan fiction, à la mode, mais un peu trop simple. Loin de Thornfield Hall et des landes anglaises, la magie n’opère malheureusement pas autant qu’elle le devrait. Malgré d’indéniables qualités esthétiques, Jane nous perd au détour d’une intrigue sans suspense, finalement bien éloignée du monument littéraire de Charlotte Brönte. C’est donc forcément avec déception que l’on tourne la dernière page, un goût d’inachevé en bouche.
Titre : Jane
D’après le roman de Charlotte Brönte
Scénario : Aline Brosh McKenna
Dessin : Ràmon K. Pérez
Genre : Romance/Contemporain
Éditeur VF : Glénat
Nbre de pages : 224
Prix : 18 €
Date de sortie : le 20/02/2018