David Bowie – Philip Glass – Renaud Cojo – Belgian National Orchestra, le quatuor gagnant du magistral spectacle Low-Heroes a triomphé au Théâtre National

Trois ans déjà que David Bowie a tiré définitivement sa révérence. Les 7, 8 et 9 février derniers, le Théâtre National programmait Low/Heroes, un hypercycle berlinois conçu par Renaud Cojo, comédien, metteur en scène, auteur, performer) dans lequel il nous présente une relecture à tiroirs de l’œuvre de Bowie mêlant musique symphonique (Philip Glass) et performance scénique. Un spectacle de toute beauté, qui constitue une réussite totale tant sur le plan émotionnel qu’artistique.

Entre les deux symphonies composées par Philip Glass inspirées par Low (1976) et Heroes (1977,) les deux premiers albums de la trilogie berlinoise du Thin White Duke écrits en collaboration avec Brian Eno, viendra s’intercaler « Le Journal de Nathan Adler ou le Meurtre artistique rituel de Baby Grace Blue » un texte écrit par David Bowie lui-même et qui servit de base de création à son album « Outside » (1996). Un spectacle total de 2h20 qui nous plonge corps et âme dans un voyage au coeur d’une poésie lyrique surréaliste où se mêlent la fantaisie et le chaos.

© Lara Herbinia

La soirée s’ouvre avec « Low » de Philipp Glass. L’interprétation magistrale du Belgian National Orchestra, dirigé par Dirk Brossé, est sublimée par la projection du film du même nom réalisé en noir et blanc par Renaud Cojo et dont l’action se déroule à Berlin. Le film fait directement référence à la ville telle que l’a connu David Bowie au milieu des 70’s. On y voit Bertrand Belin, acteur, déambuler dans le rôle d’un personnage muet qui pourrait nous rappeler Thomas Jérôme Newton échappé du film  » The Man Who Fell To Earth » de Nicolas Roeg (1976), ou pourquoi pas, le détective décadent Nathan Adler, héros inquiétant du journal composé par Bowie en1995.

À l’écran, gares abandonnées, usines désaffectées, casernes, blockhaus, ruines diverses, contribuent à l’élaboration d’une dramaturgie évidente et quelque peu surréaliste. On est là face à une symphonie d’expressions visuelles totalement en osmose avec la partition de Glass.

De la même manière que les compositeurs du passé s’étaient tournés vers la musique de leur époque pour façonner de nouvelles pièces, le travail de Bowie et Eno a été pour moi une source d’inspiration et le point de départ d’une série de symphonies. (Philip Glass-New York 1996)

Lorsque le générique de fin apparaît sur l’écran et que la salle applaudit, l’orchestre se retourne et fait place à Bertrand Belin et Stef Kamil Carlens pour une performance en direct du « Journal de Nathan Adler ».

© Lara Herbinia

En 1999, le détective Nathan Adler travaille dans la division « Art-Crime Inc. » qui est chargée d’enquêter sur l’Art-Crime, un nouveau courant artistique qui utilise  le meurtre comme une forme détournée d’art, et dont la dernière victime en date est une jeune fille âgée de 14 ans du nom de Baby Grace Blue.

© Lara Herbinia

Belin, repris par une caméra en temps réel, lit des extraits du journal de Bowie comme un récit au rythme ininterrompu, tandis que Stef Kamil Carlens (Zita Swoon, Deus…) tisse une toile musicale d’accompagnement à la guitare et aux claviers. Une performance belle et troublante à la fois. Les deux hommes livrent ensuite une interprétation habitée et touchante de « Art Décade » sur lequel la voix de Carlens se mêle avec bonheur au violon magique de Belin. Un très beau moment, qui nous rappelle à tous le génie de celui qui à la ville s’appelait David Robert Jones.

© Lara Herbinia

Après l’entracte, le Belgian National Orchestra s’attaque à la deuxième symphonie de Philip Glass, « Heroes » sur laquelle viennent se greffer des séquences filmées par Laurent Rojol et Renaud Cojo, mettant en scène le duo de danseurs Louise Lecavalier/Frédéric Tavernini (Montréal).

Travailler avec Louise Lecavalier accompagnée de Fréderic Tavernini est un souhait ancien dans ma conception de l’organisation des corps dansants sur un plateau de théâtre. ( Renaud Cojo-Février 2014 )

Même pour les spectateurs moins sensibles à la danse contemporaines dont je fais partie, la fusion danse-musique fait mouche. On est touché par l’oeuvre de Glass et on sent poindre en nous un sentiment profond de plaisir comparable à celui que David Bowie produisait de son vivant, et produit toujours sur ses millions d’admirateurs. L’hommage est donc réussi de main de maître.

© Lara Herbinia

Tandis qu’un portrait de Bowie nous adressant un furtif salut apparaît à l’écran, l’ovation du public est immense et les bravos fusent de partout. Les musiciens de l’orchestre tous vêtus d’un polo noir sur lequel est imprimé un cercle jaune traversé par une échelle qui évoque un vieux centre de tri d’une gare désaffectée de Berlin, sont alors rejoints sur scène par les concepteurs du projet et les artistes pour partager ce moment de gloire bien mérité.

© Lara Herbinia

Il fallait être culotté pour s’attaquer à un tel projet, Renaud Cojo l’a fait, et le résultat final est bluffant.

Un seul mot me vient à la bouche au sortir de ce spectacle : bravo !

Jean-Pierre Vanderlinden

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