Qui aurait pu dire que du dernier tome des Vieux Fourneaux à un univers d’héroïc-fantasy, il n’y avait qu’un pas ou une traversée dangereuse qui va d’un pays à l’autre. Je suis le premier surpris d’écrire cet article sur deux albums que, au vu de leurs couvertures respectives, je ne pensais pas le moins du monde rapprocher. C’était sans compter le propos, tout aussi pertinent qu’impertinent, qu’amènent ces deux albums. Chacun avec ses armes, pour amener un regard décalé et argumenté, divertissant et enrichissant, sur la problématique des mouvements de populations cherchant un havre de paix après avoir connu la guerre et la violence.

Un gentil orc sauvage: plus que nos sociétés, l’heroïc fantasy est à la page

Résumé de l’éditeur : Après des décennies de guerre intestines, le royaume des Orcs s’est profondément transformé et ses habitants, jadis belliqueux et barbares, sont désormais civilisés. Hélas, une secte d’Orcs nostalgiques de leur état sauvage menace les habitants du pays. Après avoir assisté impuissant au massacre de son village, Oscar, un jeune orc moderne, tente de quitter son pays tombé aux mains des extrémistes. Il va alors se heurter à la politique très conservatrice du royaume des Gobelins et au racisme de ses habitants.

Après avoir signé, au scénario, L’empire du pire, le jeune Théo Grosjean, 23 ans, signe son premier roman graphique (215 pages tout de même) et dévoile son dessin, noir et blanc et pas loin du manga, faisant de la fantasy tout en ne s’encombrant pas d’une multitude de détails. Ça reste simple mais précis pour faire vivre une incroyable odyssée façon « Non, ce pays n’est pas pour le jeune Orc ».


Oscar, orc moderne doit en effet quitter en précipitation son village rayé de la carte par d’authentique orcs antiques, sauvages et conservateurs. Sur son chemin, il rencontrera quelques alliés (qui cachent parfois bien leur jeu), de nombreux obstacles et un bestiaire étrange, tantôt carnassier tantôt attachant.

Moins à la Peter Jackson qu’à la Alexandre Astier dans Kaamelot, pour mieux faire comprendre, depuis ce monde fantaisiste jusqu’au nôtre, l’absurdité de la situation et de nos comportements (face aux migrants mais aussi à tout ce qui sort de la « norme » aussi subjective soit-elle); Théo Grosjean livre un album à double-sens, troublant de réalisme dans son monde fantaisiste, avec du bagout et du coeur à l’ouvrage. Risqué mais payant !

Récit complet
Scénario et dessin : Théo Grosjean
Noir et blanc
Genre: Fable, Héroïc Fantasy
Éditeur: Delcourt
Collecteur : Shampooing
Nbre de pages: 216
Prix: 16,95€
Date de sortie: le 29/08/2018
Extraits :
Sur une Terre qui tourne à l’ovale, les Vieux Fourneaux font leur haka et vont au-delà des y’a qu’à

Résumé de l’éditeur : Retour à Paris pour Antoine, Mimile et Juliette. Le plan est simple : ramener Juliette auprès de sa mère, puis filer au Stade de France pour assister au match de rugby France-Australie. C’est du moins ce qui est prévu… Mais, désireuse de voir son père et son grand-père se rabibocher, Sophie les oblige à s’occuper ensemble de Juliette jusqu’au lendemain. Mimile ne peut donc compter que sur Pierrot pour l’accompagner au match. Or, Pierrot l’anarchiste mène un nouveau combat : il s’est engagé en faveur des migrants. Alors vous pensez bien qu’assister à un match opposant la France, qui refuse d’accueillir les migrants, à l’Australie, qui ne pense qu’à les entasser dans des camps, bafouant ainsi les droits de l’homme, c’est hors de question ! Mimile n’a plus pour seule compagnie que ses désillusions… Et si lui aussi était bon pour l’asile ?

Décor moins campagnard, plus urbain. Les vieux fourneaux prennent le bon air de la Ville Lumière, et ça va un peu plus les éclairer, eux et leur bout de la lorgnette, sur le monde dans lequel ils vivent. Le loup en slip est resté au calme et la pièce de théâtre se joue en temps réel en divers coins de Paris. Devant une banque prise d’assaut par des manifestants d’un autre temps, dans un appart cosy où Antoine et son fils essayent de se réconcilier autour de Juliette (pendant que Sophie joue les figurantes déterminantes), entre un lieu de domicile qui sert d’adresse et un vrai quartier général pour des vieux qui ont encore de la vigueur dans les idées fraternelles, au commissariat mais aussi au stade de rugby. Le city-trip parisien nous emmène dans l’ordinaire, loin des lieux connus et devenus communs.

C’est pas la campagne, mais il y a de quoi changer souvent de paysages. Y compris avec vue sur l’Australie et son île de Nauru, sorte de Guantanamo pour les migrants. C’est répugnant et, pourtant, j’avais complètement loupé ce chapitre, je ne connaissais pas cet îlot infernal. Mieux vaut tard que jamais et Lupano nous le rappelle avec toute sa finesse, son éloquence et son humour salvateur. Car c’est bien mieux pour faire bouger les choses que le désarroi sempiternel.

Séparant le trio, laissant Emile sur le carreau, même pas avec les oreilles en chou-fleur mais pas résigné à ne plus crier « Allez les vieux », Lupano et Cauuet prennent les mêmes et recommencent de manière toujours aussi juteuse et savoureuse. Les vieux fourneaux, ce n’est pas de l’artificiel, c’est du brut de décoffrage et de l’équilibrage entre sensibilisation (et sensibilité) et divertissement. Avec du supplément d’âme et de vie, une certaine idée de la résistance qui marque et des alternatives qui claquent en mode « haka ». Au-delà des « y’a qu’à » qu’il est facile de dire depuis son divan, nos sages turbulents agissent.

Ces héros d’une nouvelle ère (que, après l’interprétation avec brio de Mitchell, Giraud et Richard, nous verrions bien être les héros d’un remake américain avec Eastwood, De Niro, Michael Caine and co) qui voient leurs souvenirs se briser sur la réalité devenue, ils frappent juste et bien, avec la canne plutôt qu’avec les poings, avec l’originalité et les ressources des dernières chances, bien plus intelligentes que celles des gilets jaunes récupérés et infiltrés par quelques sinistres aux mauvaises intentions.

Sur une terre qui ne tourne plus rond et va même ovale, dans la mêlée, nos vieillards ne la jouent pas vraiment comme Chabal mais ça ne les empêche pas d’être tribaux et durs au mal, fatals aux idées noires reçues et aux semeurs de haine. Bon pour l’asile ? Certainement pas, bien moins que d’autres. Pour le baroud d’honneur de cet album, échappant une nouvelle fois au pathos qui a trop longtemps fait rimer les aventures des représentants des troisième et quatrième âges; Lupano, Cauuet (vraiment transcendé et inspiré par les mots de Lupano) et Maffre (qui succède à Gom et Cauuet et apporte vraiment un plus, dans les contrastes et la variété de sa palette) concluent leur récit feel-good sur un enterrement. Bourré de joie quand même. « Ni yeux ni maître ! Même pas peur ! Même pas mort ! » Avec bien plus d’aplomb que les « toujours vivant, toujours debout » de Renaud. Et le régal gagnant !
Série : Les vieux fourneaux
Tome : 5 – Bons pour l’asile
Scénario : Wilfrid Lupano
Dessin : Paul Cauuet
Couleurs : Jérôme Maffre
Genre : Chronique sociale, Aventure, Humour
Éditeur : Dargaud
Nbre de pages : 56
Prix : 12€
Date de sortie : le 09/11/2018
Extraits :