C’est dans un décor des plus naturels que nous avons fait la rencontre de Léa Mazé, à la faveur d’un album, Elma une vie d’ours, qui nous promenait dans les bois tant que l’ours y était. La promesse était superbe dans le fond comme dans la forme et nous avons voulu découvrir un peu plus cette jeune auteure qui fait des merveilles avec tact, humanisme et talent. La preuve avec deux albums parus aux Éditions de la Gouttière qui nous ont éblouis.

Nora: de l’ombre brunâtre à la clarté albâtre

Résumé de l’éditeur : Les parents de Nora déménagent. Pour ne pas leur mener la vie dure pendant cette période, la petite fille est confiée à son oncle Lucien, agriculteur. Nora n’est pas contente, elle boude. Mais finalement, la vie à la ferme commence à lui plaire. Elle crée son univers à l’intérieur d’un grand chêne qu’elle partage avec une chatte enceinte et observe une petite mamie assise seule, sur un banc. De là, Nora se pose des tas de questions. Qu’attend la vieille dame ? Pourquoi est-elle seule ? À travers ces interrogations, on assiste à l’évolution d’une enfant qui avance dans l’apprentissage de la vie.

Laissez entrer la lumière dans un monde trop sombre, c’est un peu ce que semble raconter la couverture de ce premier album de Léa Mazé, déjà aux si chatoyantes éditions de la Gouttière. Portée sur petit format et aux couleurs sépias, sur 68 planches, Nora raconte les « vacances » à la ferme de la petite fille du même nom. Et c’est peu dire qu’en cet été 1975 Nora broie du noir, avec la terrible impression d’avoir été mise en dépôt chez un oncle qu’elle connaît à peine pendant que ses parents déménagent. Ça promet, ces « vacances », ça pue l’ennui.

Mais ne dit-on pas qu’il faut laisser les enfants s’ennuyer ? Que ça décuple leur imagination et leur créativité ? Toujours est-il que dans ce coin de pays inconnu à ces yeux, aidée par Minette la chatte à apprivoiser sous peine de subir les coups de griffes, Nora va jouer les exploratrices et se questionner sur la nature, les gens (et, notamment, cette vieille femme isolée) et… les fantômes (mais pas comme on les conçoit, ordinairement) qui l’entourent. Suscitant les mystères, Nora part à l’aventure et à l’enquête dans un monde bien plus vaste que ce qu’elle croyait.


Posant des questions existentielles avec des mots d’enfants, s’intéressant à l’amour et à la mort. Alliant le farfelu et la poésie, les questions sur la naissance et celles sur la mort, Léa Mazé signait là un remarquable album, un aide-mémoire pour les parents en manque de mots à mettre sur les questions cruciales de leurs enfants. Une ode aussi à quitter le canapé et les écrans pour aller vagabonder et faire de tous les prétextes une aventure. Laisser entrer la lumière qui filtre les feuillages des grands arbres qui portent des siècles d’histoire.

Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Léa Mazé
Genre : Aventure, Fantastique, Initiatique
Éditeur : Les Éditions de la Gouttière
Nbre de pages : 72
Prix : 16€
Date de sortie : le 24/04/2015
Extraits :
Les Croques, tuer le temps avant qu’il ne nous tue

Résumé de l’éditeur : « – C’est pas juste, y’a rien à faire ici. Tout est triste, et dès qu’on s’amuse, on se fait engueuler… – S’il est si ennuyeux que ça, votre cimetière, c’est quoi cette marque bizarre sur la tombe ? Les parents de Céline et Colin tiennent une entreprise de pompes funèbres. Une profession bien lourde à porter pour les jumeaux, raillés en permanence par leurs camarades qui les surnomment Croque-mort et Croquemitaine. Isolés, les deux jeunes collégiens ne voient que peu leurs parents, très occupés, et commencent à cumuler les bêtises… jusqu’à être renvoyés de leur établissement scolaire pendant deux jours ! Les enfants se réfugient alors auprès de Poussin, le graveur funéraire qui aime les écouter et alimenter leur imagination…

Brrr, vivre à moins deux pas d’un cimetière, ça ne peut pas plaire à tout le monde. Plaire ou pas, Colin et Céline n’ont pas choisi. Progéniture d’un couple de croque-morts, le vaste cimetière est pour eux un terrain de jeu et, finalement, une bulle de confort loin des problèmes et insultes qui les guettent dès qu’ils ont le malheur de quitter le royaume des morts. Pour aller à l’école, par exemple, où les « camarades » ne sont pas tendres et ont vite eu fait de les surnommer « les Croques ».

Et face à des parents toujours trop occupés à s’occuper des morts plus que des vivants, il n’est pas facile pour les jumeaux de se confier. Ils ne peuvent compter que sur leur tandem et, de temps en temps, sur Poussin, le graveur attitré des noms et épitaphes pour la postérité. Lui, il a toujours une bonne histoire à raconter et, en plus, il met le duo bien involontairement sur la piste de « V », des lettres tracées sur plusieurs tombes et semblant indiquer quelque chose de bien mystérieux qui va éveiller un peu plus l’esprit aiguisé des deux enfants aux cheveux bleus. Quitte à mettre les pieds dans une inextricable histoire, à six pieds sous terre ou pas ?

Retrouvant un format classique et une couverture très classe qui nous prend sous son aile de pierre et dorée, Léa Mazé veut donc Tuer le temps avec ce premier tome. Pourtant, sur ses 66 planches, l’auteure ne le perd pas, son temps. La sonnerie de l’école nous réveille dans le monde peu aimable de Colin et Céline, malmenés par leurs « compagnons » de cours. Les visages sont fermés, l’envie d’apprendre passe en dessous de l’envie de ne pas être jugés, d’être tranquilles et de quitter ce monde harcelant. Il suffit de rien vous savez, un drôle de nom, des parents qui exercent un métier qui sort de l’ordinaire et c’est parti. Céline et Colin sont des personnalités attachantes mais aucun écolier ne prendra le temps de l’apprendre, c’est beaucoup plus facile de les faire passer pour des têtes de Turcs. Une punchline, ça demande moins d’énergie. Encore plus si la cour de ces rois fainéants de la popularité rit aux éclats et répercute la haine infantile. Qui va bien vite ébouillanter les deux enfants qui vont se défendre et, par conséquent, se faire écarter des cours deux jours.

Pourtant, s’il est question de harcèlement, celui-ci est la cause, pas la conséquence. Et Léa Mazé s’en dégage très vite (non sans avoir fait éclater la bêtise de ceux qui le créent et d’une école qui ferme les yeux) pour inclure les deux jumeaux dans une logique façon Claude François : Toi et moi contre le monde entier. Et la terre entière à remuer. Comme le funérarium familial se trouve à l’entrée du cimetière, les pelles sont à portée de mains et le travail d’intérêt général peut commencer.
Jouant avec l’art des phylactères, les déformant pour mieux servir la forme, Léa Mazé livre un premier album qui profite de tout l’espace mis à sa disposition pour s’exprimer. De manière dynamique, notamment, via les histoires décapantes et à vous faire perdre la tête que raconte Poussin au duo d’aventuriers d’outre-tombe. Tout cela est très bon enfant, avec des personnages très attachants. Jusqu’à cette dernière planche qui vient tout changer et crée une situation inattendue, glaçante, qui nous a fait écarquiller les yeux et nous hantera tant que nous n’aurons pas entre les mains la suite de cette trilogie. La balade entre les tombes a pris un virage… mortel.

Qui a aussi séduit les professionnels puisque cet album vient de recevoir le prix Jeunesse-ACBD.

Tome : 1 – Tuer le temps
Scénario, dessin et couleurs : Léa Mazé
Genre : Drame, Mystère
Éditeur : Les Éditions de la Gouttière
Nbre de pages : 70
Prix : 16€
Date de sortie : le 07/09/2018
Extraits :