Avec Equinoxe Infinity, Jean-Michel Jarre nous offre tout simplement la pierre angulaire de son oeuvre

Chez les amateurs de musique électronique, l’information est sur toutes les lèvres : Jean-Michel Jarre sortira son vingtième album, Equinoxe Infinity, le 16 novembre prochain chez Columbia Records. Faisant écho au chef-d’oeuvre de 1978, ce nouvel opus que nous avons pu écouter en avant-première dans un cinéma bruxellois, en présence du maître, et avant une conférence de presse très instructive, tient toutes ses promesses et fait même mieux que ça. Interview.

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Que sont devenus ces  » Watchmen » que l’on admire sur la pochette d’Equinoxe sorti il y a aujourd’hui quarante ans ? À l’époque l’album constituait une bande son du futur, il était donc opportun de s’interroger sur ce qu’est devenu notre monde quarante ans plus tard, alors que la technologie a pris le pas sur notre quotidien. Avec Equinoxe Infinity, Jean-Michel Jarre place aujourd’hui les Watchmen dans un monde futur contrôlé par l’intelligence artificielle, un monde régit par les machines.

L’artwork original tiré d’une sérigraphie de Michel Granger a été retravaillé en ce sens par le talentueux Filip Hodas. Dix nouveaux titres sont cette fois déclinés et nommés sur ce nouvel opus , pour décrire ces nouveaux univers.

TRACK LIST

  1. The Watchers (movement 1) 2:57
  2. Flying totems (movement 2) 3:53
  3. Robots don’t cry (movement 3) 5:44
  4. All that you leave behind (movement 4) 4:00
  5. If the wind could speak (movement 5) 1:32
  6. Infinity (movement 6) 4:13
  7. Machines are learning (movement 7) 2:07
  8. The opening (movement 8) 4:16
  9. Don’t look back (movement 9) 3:35
  10. Equinoxe infinity (movement 10) 7:32

Et quand on l’interroge au sujet de son dernier né, l’artiste est très loquace…

« À notre époque où le vinyle refait son apparition, la plupart des vinyles achetés le sont pour la beauté de l’objet et pas vraiment pour être écoutés sur ce support. La qualité de l’artwork est donc prépondérante. La pochette d’Equinoxe a toujours été une de mes favorites. Est-ce que ces étranges créatures nous regardent? Me regardent ? Regardent l’espace ou un phénomène naturel ? Personne ne le sait, le mystère demeure. J’ai donc demandé à Filip Hodas de se pencher sur deux couvertures différentes, l’une représentant un monde apaisé ou l’homme est en paix avec la nature et la technologie, et l’autre décrivant un monde de peur et de destruction où la machine a pris le pas sur l’humain. Mon but est d’attirer l’attention sur ces deux scénarios possibles auxquels nous sommes confrontés par notre dépendance aux nouvelles technologies. La musique d’Equinoxe Infinity est la bande originale de ces deux mondes différents qui s’offrent à nous. »

© Legacy of Music Belgium

Très à l’aise, volubile, et généreux dans ses déclarations à la presse, l’homme aux plus de 80 millions d’albums vendus dans le monde reste d’une grande humilité et d’une grande clairvoyance sur son travail…

« À chaque album, je ressens une frustration, l’impression de ne pas avoir abouti totalement. C’est d’ailleurs ce qui crée en moi cette forme d’émulation permanente depuis toutes ces années. Cette fois, la maison de disque m’a joué un sale tour en me donnant une deadline, chose que je respecte rarement, et je me suis donc efforcé de terminer dans les délais, avant d’apprendre qu’ils s’étaient trompé dans les dates et qu’il me restait encore du temps. Et bizarrement, cette urgence relative a fait que, pour une fois, je suis, en toute modestie, satisfait de mon travail. Si je devais refaire Equinoxe Infinity, je ne changerais pas une note !  »

 

Au passage, Jean-Michel Jarre s’explique aussi sur la vision qu’il a de son oeuvre, et ne se considère absolument pas comme un porteur de message, mais plutôt comme l’auteur d’une bande son qui ouvre notre imaginaire…

« Je me méfie des messages et des artistes, notamment dans le rock, qui transforment leurs concerts en plateforme politique. Ce n’est pas une obligation de mettre des mots sur la musique. Je pense qu’on ne pourra survivre au XXIe siècle que si on évolue en bonne intelligence avec, à la fois, l’environnement et la nature, et les nouvelles technologies. Il ne faut pas avoir peur du progrès, ni de l’avenir. Chaque génération a tendance à penser qu’hier, c’était mieux et que demain, ce sera pire, en oubliant que les futurs successifs ont plutôt été meilleurs que pires. Sinon, on ne serait pas ici dans cette pièce en train de se parler. Je pense que c’est hélas dans la nature humaine d’avoir une vision pessimiste du futur. Puisqu’on sait qu’un jour ou l’autre, on n’en fera plus partie.« 

© Legacy of Music Belgium

Lorsqu’on l’interroge sur les sons nouveaux que l’on retrouve sur Equinoxe Infinity, qui se mêlent subtilement à des sonorités plus anciennes nous replongeant en territoire connu, l’artiste s’en explique…

« J’ai puisé dans un mélange entre les instruments que j’aime, qui sont des instruments analogiques, et des instruments qui n’existaient pas au moment ou j’ai commencé l’album et qui correspondaient à ce que j’avais envie de faire. Comme le GR1, un synthé incroyable. Si on a un style, on ne s’en échappe pas. On n’échappe pas à ce qu’on est. Et, même si on ne s’en rend pas compte, au bout du compte, c’est ce qui fait le style de quelqu’un tout simplement.« 

© Legacy of Music Belgium

Et alors qu’une question aborde le domaine des concerts et tournées futures, Jean-Michel parle de ses projets et défend ses convictions…

« Je viens de terminer à Coachella une tournée de 250 concerts. Il y a un mois j’ai joué en Arabie Saoudite, en extérieur, devant 50 000 personnes, hommes et femmes mélangés. C’était un évènement historique: la première fois qu’un concert de ce type avait lieu là bas, ce qui était encore inimaginable il y a un an. À ce sujet, je suis absolument contre toute forme de boycott. Je pense qu’il faut aller dans les pays comme ceux-là, même s’il s’est passé ce qui c’est passé récemment. Ma mère qui était une grande résistante m’a appris qu’il faut faire la différence entre l’idéologie et le peuple, et ne pas boycotter des pays comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou la Corée du Nord. Ce sont des choses extrêmement importantes car sinon on applique la double peine. En Arabie Saoudite, 50% des gens ont moins de trente ans et si, en plus, de subir ce qu’ils subissent par un régime qui ne leur laisse pas les même droits que nous, on les prive de culture, de cinéma ou de musique, on collabore indirectement à la radicalisation et à l’aliénation de la nation. C’est une cause qui m’intéresse dans le futur. Quand j’ai fait mes concerts en Chine; en France, j’ai reçu des lettres d’insultes de gens qui me disaient ‘comment peux-tu faire des concerts dans un pays qui est aussi peu ouvert et proche du totalitarisme?’ Le paradoxe, c’est que ces mêmes français étaient maoïstes cinq ou dix ans avant. Au bout d’un moment, je pense que tout ça n’a aucune importance. Et c’est là que l’agenda des politiques et des artistes n’est pas le même. Je comprend parfaitement que des politiques puissent prendre des mesures économiques ou politiques envers les régimes de certains nombres de pays. Mais, dans le même temps, il faut que les artistes continuent à aller dans ces pays-là: on ne s’adresse pas aux même gens. Et, même, s’il y a le risque de se faire récupérer indirectement d’une manière ou d’une autre, il faut quand même y aller car le positif sera de toute façon plus important que le négatif. »

© Legacy of Music Belgium

Avec Equinoxe Infinity, Jean-Michel Jarre nous offre un bien bel album, la pierre angulaire à l’édifice de son oeuvre déjà grandiose. Parallèlement il a sorti aussi un double cd (quadruple vinyle) intitulé Planet Jarre, 50 years of Music, qui est déjà présent dans les bacs. Cet album n’a pas été pensé comme une compilation (il déteste ce terme) mais comme un assemblage de 41 titres qu’il a choisi de présenter en quatre parties distinctes, et qui fonctionnent aussi ensemble au niveau du son.

« Le son a évolué durant toutes ses années et le spectre du son est beaucoup plus important aujourd’hui que dans les décennies passées. Il a donc fallu remettre tout ça à niveau pour que ça forme un ensemble homogène. « Un double opus qui constitue une formidable approche du travail d’un magicien de l’électronique qui n’a pas fini de nous étonner. L’objet idéal pour aborder son univers et qui comblera également les fans de la première heure.

Après environ nonante minutes passées en notre compagnie, l’homme a encore pris le temps de nous parler de son amour pour la musique metal, de s’intéresser au travail d’un jeune artiste présent dans la place, de poser pour quelques rares selfies, de signer quelques dédicaces, toujours avec gentillesse et bienveillance malgré un timing fort serré. Comme quoi on peut être une star planétaire, avoir vendu des millions d’albums et rester profondément simple et humain.

La marque des grands, tout simplement !

Propos recueillis par Jean-Pierre Vanderlinden

Infos : https://jeanmicheljarre.com

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