Le Goum, enchanteur de monstres, souffleur de magie sur la BD (#2): « Le dessin et ce qu’il amène à faire sont illimités, on a besoin de la représentation graphique dans tout, ou presque. »

Dans son atelier qu’un petit ventilateur peine à rafraîchir (au moment de l’interview, l’été était encore caniculaire), il y a du monde : une armada de figurines représentant Mickey, Batman, quelques Muppets et des Jedis. Et surtout la sorcière de Blanche-neige en plusieurs exemplaires et beaucoup de héros de Coco, le fabuleux dernier né de Pixar. En ce moment, c’est sur un projet de série animée que Goum planche, Patapwal. Magicien aux mille projets, Goum en a plein sa besace, ses tiroirs et sa tête. Son art ne demande qu’à s’animer. Regardez, il s’anime déjà d’ailleurs. Interview en deux actes avec celui qui, depuis peu, fait même des bonds de Marsupilami et règne sur le royaume des monstres assez sympathiques au demeurant. Deuxième acte.

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© Le Goum

Si je ne m’abuse, vous faites partie de cette génération née avec la tablette graphique, non ?

Au tout début, je faisais tout à la main, puis je scannais. Jusqu’à ce que je découvre la tablette, c’était ce qu’il me fallait ! Ça reste un outil qu’il m’a fallu dompter. Il faut s’y adapter, le faite évoluer. Au début, on est recroquevillé, la tête contre la feuille. Et, si tout va bien, on se relève, face à l’écran. La tablette, ça m’a permis de sortir de plein de problèmes. Si je ne l’avais pas eue, j’y aurais perdu mille ans.

Et pourtant dans votre histoire courte dédiée au Marsupilami, vous tirez la couverture au muet ! 

© Ducoudray/Le Goum chez Dupuis

Si j’avais dû faire moi-même un Marsupilami, c’est ainsi que je l’aurais fait. J’étais donc super-content quand Aurélien Ducoudray m’a proposé ce court récit. C’est compliqué d’animer le Marsupilami, parce qu’il ne parle pas beaucoup, il a toujours besoin de quelqu’un pour le faire réagir, Houbi Houba. Le but était justement de le retrouver tout seul, dans sa jungle, avec des animaux. Pas d’homme.

© Ducoudray/Le Goum chez Dupuis

Mais, si j’avais réalisé moi-même ce court-récit, j’aurais aimé réinventer un peu l’origine du mythe. Un avion qui s’écrase et le jeune Franquin qui en survit et est recueilli par le Marsupilami.

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De ce recueil d’histoires sur le Marsupilami, vous signez aussi la couverture. Une belle vitrine !

Clairement, je ne m’y attendais pas. C’est en voyant mes planches que l’équipe de Dupuis m’a proposé de faire cette couverture. Pour cela, Laurence Van Tricht a été très importante, une vraie main tendue.

En fait, dans mon métier, j’ai appris à ne plus me battre comme avant. Je le fais de manière différente. Finalement, quand on veut absolument quelque chose, on n’y arrive jamais. Maintenant je laisse venir. Et le meilleur est toujours à prendre.

©Le Goum chez Dupuis

Souvent avec des monstres, d’ailleurs !

La vie, en général, elle m’ennuie. Les monstres nourrissent plus d’intérêt, ils me paraissent plus sympathiques. Je ne sais pas pourquoi, je suis plus à l’aise avec eux. Ils sont funs, intemporels. Quand tu racontes une histoire et que tu parles d’un monstre, les gens ont tout de suite une idée de ce que ça peut-être.

Comme les Zombie Kids, la comédie musicale de Saule qui était de plusieurs festivals (les Francofolies, Les Solidarités), cet été ? Avant une date, le jour d’Halloween (reportée en février, apparemment) à l’Ancienne Belgique.

Zombie Kids, c’est l’histoire d’une petite fille, Mia enrôlée dans un camp militaire où tous les enfants sont rassemblés car ils sont victimes d’un virus. Ils sont comme lobotomisés. Mais Mia va s’évader du camp. Ce projet musical aborde la consommation des écrans, le fait qu’on ne voit plus le monde qu’à travers eux, qu’on ne se rencontre plus. Ce n’est pas une fable moralisatrice et la musique est hyper-travaillée. Ça donne super-bien.

© Le Goum

Du coup, comment avez-vous intégré cette folle aventure ?

Un jour, Saule me sonne. Saule, c’est qui ce gars ? Je mets un peu de temps à le remettre, à me rendre compte qu’il s’agit bien du chanteur. Sans pour autant saisir pourquoi il me sonnerait. Et pourtant… Il me dit: « Je pense que t’es le mec qu’il me faut! » Ce n’est pas tous les jours qu’on me propose un projet avec des zombies, j’ai foncé. Et à raison, ça doit être l’une de mes meilleures collaborations. J’ai eu champ libre dans la création des visuels, j’ai pu vraiment me sentir créateur. Pour l’album qui va sortir, j’en illustrerai également la pochette.

© Le Goum

Alors, la machine est en route, un clip vient de sortir, l’album devrait suivre, également en vinyle. J’ai également réalisé les illustrations du spectacle. Puis, il y a les t-shirts. En fait, j’ai l’impression que j’ai acquis plus de visibilité en faisant ça qu’avec les trois albums BD que j’ai publiés. Comme quoi… Je pense qu’il ne faut pas considérer la BD comme étant au début de processus. La réalité, c’est que le dessin et ce qu’il amène à faire sont illimités. On peut en faire des millions de choses. Parce qu’on a besoin du dessin, de la représentation dans tout, ou presque.

Mais, c’est un métier dur. Beaucoup l’ont lâché, il y a la fatigue qui s’accumule, l’envie de fonder une famille. Il faut concilier tout ça.

Avec possibilité d’une BD ?

Oui, pourquoi pas, David Boriau en serait. Après, l’éditeur serait frileux, entre les droits d’auteur de Saule, les miens, que lui resterait-il ? Mais l’idée serait d’embarquer dans une histoire un peu à la Hunger Games et de voir comment une ville peuplée d’enfants zombies, ultra- résistants. Quand t’es un zombie, si tu sautes d’un gratte-ciel, tu ne te fais pas mal. Des sortes de super-héros, malgré leur état monstrueux, face aux menaces de la ville.

Et un crowdfunding ?

Ça me plairait bien, j’aime bien cette idée de tout faire par soi-même même si on est entouré. Après, ce n’est pas facile non plus, Saule est passé par là pour ses Zombie Kids qui a été financé sur le fil. C’est un projet difficile, hybride, pas totalement pour les enfants, pas totalement pour les adultes. Les chaînes de radio sont frileuses à le diffuser.

Et, en y repensant, c’est assez marrant, je m’étais un jour retrouvé devant une interview de Saule. Et en le voyant s’exprimer, je m’étais dit: « Tiens, c’est sûr, lui, il pourrait être un super-bon pote ». Ensemble, pour son quatrième album, on avait imaginé un album plus conceptuel, partant du fait que Saule, c’est un peu le pote, il n’a pas la stature d’une star, pas une aura mystérieuse. Le but était donc de le mettre face à son personnage, face à son monstre : le Grand Méchant Saule. Une chanson qu’il a chantée quelques fois en live. Mais, ça n’a pas fonctionné, dans mes dessins, je n’arrivais pas à m’effacer, c’était trop ma patte.

Autre collaboration, là qui n’a pas abouti, celle avec Nadine Monfils.

Une femme super-sympa. On a discuté de tout sauf de l’histoire qu’elle voulait réaliser en BD. J’ai quand même fait un test. Et si on s’entendait bien, j’ai très vite su que ça ne collait pas. Elle avait besoin d’un style plus belge. Je lui ai conseillé d’aller voir Mehdi (le dessinateur, notamment, de La minute belge).

© Nadine Monfils/Le Goum

D’où l’idée de se diversifier.

Oui, j’ai pas mal de boulot de com’ artistique. Comme la série les 5G créée pour LG avec le collectif, une sorte de ligue créative, L’ombre Animation qui réunit différentes personnes, travaillant dans le dessin et l’animation. Chacun arrive avec ses bons plans, ses idées, et on met tout ça ensemble.  Il y a Guido Mariano, Pauline Nicoli…

© L’ombre animation/Le Goum

On fait des petits épisodes animés. Puis, on a collaboré avec le Youtubeur Jhon Rachid et on a un projet avec Youtube dont l’un des patrons a envie de lancer une chaîne sur l’animation. Ce seraient des petits épisodes courts et humoristiques scrutant les coulisses de l’animation.

On arrive à s’en sortir, c’est bien payé. Mais ça prend aussi du temps. Vous n’imaginez pas le travail que demandent quarante secondes de film !

J’ai aussi travaillé sur une application sur la problématique des différences de genres. Ce sera une application téléchargeable sur Itunes. C’est interactif. L’utilisateur est amené à faire des choix tout au long de la vie d’un personnage qui vont influencer son identité, sa perception des genres.

Des projets ?

Là, je suis plus dans le registre de l’animation mais j’ai une série BD en préparation (ndlr. il semblerait qu’elle soit reportée pour cause d’autres projets plus urgents mais que ça ne nous empêche pas d’en parler), toujours avec David Boriau, Rue des Bûchers. Un hommage aux récits façon Chair de Poule.

© Boriau/Le Goum

L’histoire d’une petite fille qui débarque dans la maison de son père défunt avec sa famille. C’est l’été, elle passe le plus clair de son temps dans la rue et elle a cette impression bizarre d’être épiée. Du coup, elle va à la rencontre de ses voisins… aussi étranges que maudits. Par le pouvoir d’un talisman malsain, leur plus grande passion est devenue leur vice. Il y a cette dame qui aime tellement ses fleurs, autant qu’elle déteste les enfants, qu’elle donne des gamins à manger à son jardin. Puis, il y a ce brocanteur-ferrailleur, vous savez celui qui passe avec sa camionnette « vieux fers, vieille machine à laver », lui, sa baraque est un immense désert rempli de bordel. C’est farfelu et bien sûr il y a des êtres fantastiques. Mais, sous la magie noire, ces personnages, ils sont normaux : une fille orpheline, c’est triste mais ça arrive, une dame qui adore son jardin… Un jardin rempli de rat-taupe-nu, des animaux qui ont muté, qui ont l’air sinistre mais ne seront pas forcément si méchants qu’on peut le penser.

À Liège, je me suis retrouvé avec Sébastien « le boulimique » Mahia, un dessinateur qui est aussi joggeur et n’arrête pas de courir plein de joggings, partout tout le temps. Ça m’a donné une idée : un gars qui, tous les jours à la même heure, court, incapable de s’arrêter. Puis, concernant les parents, je n’ai pas envie d’en faire des stéréotypes. Quand je vois pas mal de créations, j’ai l’impression qu’être beau est une condition sine qua non pour être parent. Alors, ceux que je dessine ne sont pas forcément des top-models mais ça ne les empêche pas d’être de bons parents.

Rue des bûchers devrait aussi surprendre par sa couverture. Les numéros des tomes ne seront pas chronologiques puisqu’ils correspondront à chaque fois au numéro de la maison explorée. Et la couverture représentera à chaque fois la porte d’entrée, la devanture de cette maison forcément bizarre.

© Boriau/Le Goum

C’est une manière de se tester mais c’est vrai que ça reste du portage, de la licence et les éditeurs ont de moins en moins tendance à faire confiance aux auteurs et aux projets originaux. Moi, j’en veux plus, même si je sais que mes albums sont plein de défauts, j’aime tellement qu’ils me ressemblent, qu’il s’y passe tout le temps quelque chose dans ce que je dessine. Ce qui me plaît ? Que la vie banale arrive dans le fantastique, l’extraordinaire.

Puis, il y a Patapwal. 

Ça, c’est la série en développement, on recherche les financements, sous la supervision de Valérie Magis. Je suis en train de finaliser le projet qu’on présentera au Cartoon Forum (ndlr. qui est passé et s’est… bien passé), à tous les investisseurs. C’est une série pour enfants qui voit une petite fille préhistorique arrivée dans notre époque. Comme elle est bricoleuse, elle va régler une quantité folle de problèmes qui donnaient du fil à retordre à nos contemporains. C’est en partenariat avec la RTBF et la maison de production Take Five.

© Le Goum

Quand on visite votre blog, il y a  une quantité folle de personnages créés. Malheureusement, beaucoup de projets avortés…

Oui, mes travaux publiés sont la surface immergée de l’iceberg. À côté, il y a plein de projets qui sont restés au stade de projets. Une série que j’aimais particulièrement, notamment : Golem, l’histoire d’un gamin sur une île qui, au cours de son exploration, va trouver une arche qui, une fois remplie d’eau, va lui donner le pouvoir de créer la vie. Mais, très vite, à force d’user et d’abuser de ce don, il va mettre à jour un monde incontrôlable qui va faire imploser l’île. J’avais dessiné 25 planches avant que ça capote, malheureusement. Un peu de ma faute, c’est vrai.

Il y a aussi un Tif et Tondu qui était prévu, non ?

Il y a méga-longtemps. Un film-live était prévu sur les deux héros créés par Fernand Dineur et popularisés par Will. J’avais reçu le scénario et je devais faire une adaptation du film en BD. Au final, ni le film ni la BD ne se sont faits. Dommage, ça me plaisait bien. Et je voulais me dégager de la version que Sikorski en avait donnée en prolongeant la série : Tif et Tondu étaient devenus beaucoup trop sveltes. J’aime ce côté vintage, un peu OSS 117 avec cette bonhommie.

Autre projet dans les cartons, Philarmonium !

Je le ferai un jour. C’est un projet que j’ai depuis toujours dans la tête. J’attends juste de trouver la bonne boîte : je ne voudrais pas que mon idée soit bousillée par une alliance foireuse. J’ai déjà fait un essai mais ça n’a pas fonctionné. Puis, les gens à qui je parle de ce projet ont dû mal à comprendre le concept. Alors que quand je fais des projets avec des monstres, ils situent tout de suite l’ambiance et l’univers.

© Le Goum

Philarmonium, cela se passe dans le monde de la musique avec des personnages qui sont muets ou du moins parleraient par des bruits musicaux, des instruments. L’idée serait de commencer par un court-métrage mais je ne veux pas que ça reste en l’air, je veux que ça déboule sur autre chose. J’attends mon heure et je me saisis du projet dès que j’ai un peu le temps.

© Le Goum

Et Abracadabra?

Ça, c’est frustrant, je ne peux rien en montrer. J’ai vendu mes droits à un producteur désormais en litige. L’idée, toujours en compagnie de David Boriau, c’était d’explorer le chapeau d’un magicien, le monde du chapeau. Une sorte de Las Vegas non-stop qu’habitent des lapins magiques. Chaque semaine, on procède à l’élection d’un lapin, celui qui se fait choisir par le magicien pour son tour. Un peu comme le grappin de Toy Story. Nous, on voulait suivre deux héros qui savent très bien qu’ils n’ont aucune chance d’être élus.

C’était destiné à une série d’animation mais je me dis que, si un jour je récupère les droits, j’en ferais bien une bande dessinée. J’ai aussi failli faire une série avec Blue Spirit (Ma vie de courgette, la nouvelle série Les Mystérieuses Cités d’or ou encore Le Tableau). Ça ne s’est pas fait.

C’est comme ça mais une chose est certaine, je serais bien incapable de travailler mille ans sur une même série de BD. J’ai besoin de changer d’air, que ça bouge.

Merci pour tout, Le Goum ! Bonne continuation et vivement la suite !!

Titre : Marsupilami – Des histoires courtes par…

Tome : 2

Recueil d’histoires courtes

Auteurs : Collectif

Genre : Hommage, Humour, Aventure

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 102

Prix : 19€

Date de sortie : le 20/04/2018

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