Le Goum, enchanteur de monstres, souffleur de magie sur la BD (#1)… dont Pixar se serait inspiré pour son Coco? « Ils nous ont eux aussi tellement inspirés ! »

Dans son atelier qu’un petit ventilateur peine à rafraîchir (au moment de l’interview, l’été était encore caniculaire), il y a du monde : une armada de figurines représentant Mickey, Batman, quelques Muppets et des Jedis. Et surtout la sorcière de Blanche-neige en plusieurs exemplaires et beaucoup de héros de Coco, le fabuleux dernier né de Pixar. En ce moment, c’est sur un projet de série animée que Goum planche, Patapwal. Magicien aux mille projets, Goum en a plein sa besace, ses tiroirs et sa tête. Son art ne demande qu’à s’animer. Regardez, il s’anime déjà d’ailleurs. Interview en deux actes avec celui qui, depuis peu, fait même des bonds de Marsupilami et règne sur le royaume des monstres assez sympathiques au demeurant.

La suite, c’est par là : Le Goum, enchanteur de monstres, souffleur de magie sur la BD (#2): « Le dessin et ce qu’il amène à faire sont illimités, on a besoin de la représentation graphique dans tout, ou presque. »

© Boriau/Le Goum chez Physalis

Bonjour Goum ! Mais pourquoi ce surnom ?

Quand je suis arrivé chez Dupuis, oeuvrant pour le Journal de Spirou, on m’a demandé : « Comment tu signes? » Je ne voulais pas que mon nom soit utilisé mais je n’ai pas réfléchi mille ans à mon pseudonyme : j’ai pris le nom du tout premier personnage que j’ai créé, une sorte de Blob. C’était l’époque où j’aimais Rayman, je m’en étais inspiré pour une histoire dont Goum était le méchant. Je me disais que personne dans le monde de la BD serait assez farfelu que pour prendre un tel pseudo. Raté, il y avait J.M. Goum (ndlr. qui, depuis, signe sous son vrai nom, Jean-Michel Dupont) et forcément, on nous a parfois confondus.

Sinon, il y avait Monsieur M en stock, non ?

Ah oui, un autre de mes héros très ancien. Au fil du temps, il s’est transformé et est devenu Monsieur M, une histoire en noir et blanc, moi et mes angoisses qui se matérialisent et deviennent des monstres. Chouette mais pas vendeur. Un strip a été publié dans le Journal de Spirou, un seul.

© Le Goum

Le dessin, c’est venu tôt chez vous ?

Vers 9-10 ans quand ma grand-mère m’a offert des aquarelles, vous savez celles pour les gosses super-dégueulasses. Avec ça, je fermais ma bouche directement et j’ai accroché. Au contraire de mon frère jumeau, je n’étais pas extraverti comme gamin. Et, au final, je pense que celui qui est amené à faire une carrière dans le dessin, ou plus loin la BD, le fait parce qu’il ne doit pas parler pour s’exprimer. Cet art m’a aidé à me développer.

Tandis que votre frère a, lui, opté pour le théâtre.

C’est vrai, mais ça ne s’est pas décidé tout de suite. Au début, il dessinait, comme moi. Sauf que moi, j’étais encore plus attiré par le théâtre. Vous savez, entre jumeaux, on fait beaucoup de choses ensemble. Jusqu’au jour où nous nous sommes retrouvés dans des classes différentes. Séparés. Et c’est là qu’on a échangé nos passions.

Et c’est devenu un métier ?

Même encore maintenant, je me demande si c’est vraiment un métier. Bien sûr, je sais que ça en est un mais la société, elle, ne le sait pas. Ou ne m’en donne pas l’impression. Quand on est dessinateur, artiste, on est un peu tout seul. La seule reconnaissance qu’on a, c’est quand le lecteur vient à nous, demande une dédicace. Sinon, rien n’est fait pour te valoriser. Avec le projet Zombie Kids, j’ai eu la chance de travailler avec Saule. Le gars a fait quatre albums, devinez quoi : il est toujours convoqué à l’ONEM pour se justifier. C’est dingue. Comment peut-on se sentir à l’aise dans son métier dans de telles circonstances ?

On reparlera de Saule, plus loin. Mais, du coup, quel cursus avez-vous suivi ?

Saint-Luc à Liège, pas très longtemps. J’aimais bien les cours d’art, l’histoire de l’art, la philo mais dans la pratique de l’art, je n’ai pas appris grand-chose de plus que ce que l’IATA m’avait donné comme (bonnes) bases. C’est une hyper-bonne école qui permet l’apprentissage de toutes les techniques. À Liège, on ressentait surtout l’aspect BD dans les conversations de groupe, etc. Après quelques mois, n’ayant pas trouvé ce que je cherchais et bien aidé par une prof qui me faisait sentir qu’elle me péterait pour je-ne-sais-quelle-raison, j’ai stoppé mes études.

© Saule/Le Goum

Ce qui ne vous a pas empêché d’arriver chez Spirou.

Je n’avais pas tilté que, dans ma rue, une personne, qui deviendrait un véritable ange gardien par la suite, était éditeur chez Dupuis : Julien Brasseur. Sans lui, je ne ferais sans doute pas de BD. Du coup, j’ai tenté ma chance, j’ai envoyé quelques projets chez Dupuis, des strips, des histoires, des projets de personnages, sans réel résultat. C’est sur le blanc des « refusés », face au bureau de Marcinelle que j’ai rencontré David Boriau.

Le début d’une longue collaboration !

Oui, enfin, sur ce banc, il était dans le même cas que moi, dépité. On était là, sur un banc, comme deux pauvres mecs qui n’osent pas se parler, avec nos deux fardes dans lesquelles, on le savait très bien, chacun de nous crevait d’envie de regarder.

©Le Goum

Vos premières lectures ?

C’est tout bête. Mes premières BD, c’était Tintin, Gaston, le Marsupilami. Puis, j’étais très friand de Robin Dubois et de Nabuchodinosaure ! Après, c’est surtout le dessin-animé qui m’a inspiré.

©Le Goum

Et ça se voit. Des auteurs BD qui font du cinéma, il y en a. Mais vous, vous le faites d’une manière très particulière, vous faites de la mise au point ! Avec ce jeu entre l’avant-plan et l’arrière-plan rendus tour à tour flous en fonction du niveau auquel se passe l’action.

Je ne suis pas le seul à le faire, il y a aussi Enrique Fernandez. Je me sens proche des auteurs espagnols, de leur créativité, de leur manière d’animer les choses. C’est de l’hyper-BD. Du coup, mes personnages n’ont pas de traits extérieurs, j’essaie de les décoller de leur page, qu’ils ne soient pas aplatis.

Mais au départ, pour moi, les décors passaient en second-plan. Ce qui m’importait ? Que les personnages aient des expressions, à tel point que le lecteur aurait pu croire qu’ils étaient en train de quitter leur planche. Qu’on les a chopés à un moment précis. Comme si je faisais une capture d’écran en BD du meilleur moment d’une scène de film. Je dois trouver la bonne expression. C’est aussi pour ça que j’ai fait une BD sur la musique, on l’entend ! Il faut de l’interaction.

©Boriau/Le Goum

Avec le jeu des ambiances, également.

Oui, assez dépendant de l’ambiance dans laquelle je travaille, finalement.

Pour Passages secrets, mon premier album, avec David Boriau, je n’étais pas encore dans cet atelier. Je travaillais dans un bureau enfoui dans le noir. Et je crois que ça s’en ressent. Les couleurs n’auraient pas pu être plus éclatantes. Pourtant, j’en ai mis plus, vers la fin. La lumière comme le bout du tunnel. Tu dessines comme tu es au moment où tu l’es. Et je pense pouvoir dire, pour chaque planche que je revois, l’état d’esprit, le sentiment dans lequel j’étais au moment de la réaliser. Une BD, ça t’accompagne moralement, tu dois te lever, te réveiller avec. C’est du 24h non-stop. Du moins, c’était le cas avant quand je n’avais pas d’enfants. Désormais, je suis tiraillé entre le besoin de faire une grosse journée pour avancer et la nécessité de ne pas être absent pour mes enfants.

Passages secrets, j’étais bien content d’en voir le bout. Ça m’a pris deux-trois ans. L’argent ne suivait pas. À l’époque, sur une grande planche, je mettais deux jours, voire trois. Aujourd’hui, avec l’expérience, j’irais probablement plus vite. J’avais adopté un style trop complexe. À refaire, je ferais quelque chose de plus jeté.

Passages Secrets © David Boriau/Goum
Passages Secrets ©David Boriau/Goum chez Casterman

Cet album est devenu introuvable, il n’est même plus dans le catalogue de Casterman !

On en a vendus mais l’album n’a pas été réimprimé. C’est assez logique, du coup, qu’il ait disparu de la circulation. On a été au bout du truc.

Pourtant, il y avait Trump en grand méchant qui voulait bousiller un hôtel si riche pour implanter un fast-food.

C’est vrai, ça ! On était avant-gardistes ! (il rit!)

© Boriau/Le Goum chez Casterman

Puis, il y a eu Harlem.

C’est celui-là que je préfère revoir. Il est plus coloré. Avec des personnages que j’avais en tête depuis un long moment, que je voulais animer. Une histoire de famille. Normalement, ce devait être une trilogie. Malheureusement, ça a tourné court. Toujours avec David Boriau, on est arrivés au moment où Physalis, notre éditeur, coulait, malgré les efforts de Olivier Petit (ndlr. qui a depuis créé les éditions Petit à Petit). Maintenant, j’ai un goût de trop peu. Qui sait, un jour, j’aimerais bien la terminer cette trilogie !

© Boriau/Le Goum chez Physalis

Avec un pacte avec le diable ? C’est en tout cas ce qui arrive avec Harlem.

Oui, nous sommes partis de la légende de Robert Johnson. L’idée m’était personnelle et David y a amené son histoire. Cette sorte de Graal de gamin libéré qui part à l’aventure. Il y avait de quoi verser dans l’héroïc fantasy. Au départ, je voulais baser cette histoire en Nouvelle-Orléans. C’est David qui l’a ramenée à New-York en ayant à l’idée ce trajet qui emmènerait Harlem vers un final en plein festival de musique à New Orleans. Avec, toujours, non loin, le Baron Samedi qui rôderait.

© Boriau/Le Goum chez Physalis

Ce petit bonhomme dans une ville qui vit et respire la musique et qui doit sauver son frère d’un pacte avec le diable… Ça fait penser à Coco, pourtant sorti quelques années après l’album.

Oui, c’est bizarre, hein ? On a envoyé Harlem à John Lasseter de Pixar. J’avais des contacts qui m’avaient mis sur sa piste, car j’avais failli bosser sur une série avec eux. Nous sommes sûrs et certains qu’il a eu notre album entre les mains. Seulement, moi qui m’intéresse à la production de leurs films en amont, j’avais remarqué que la production de ce nouveau film qui deviendrait Coco était calée, butait sur un problème. Elle a été relancée… à peu près au moment où ils ont eu Harlem entre les mains. Avec de nouveaux éléments-clés qui avaient intégré l’histoire : l’aspect musical, totalement absent de la première version, et la guitare. Mais aussi ce squelette qui va aider le héros dans sa quête. Un peu comme le fantôme de Robert Johnson qui sort de la guitare d’Harlem, tel un génie d’une lampe magique, pour mieux l’aider. Bon, ce n’est pas identique, mais c’est similaire, il y a quelque chose de l’ordre de l’inspiration, je crois. On ne va pas attaquer Pixar en justice, hein. Ils nous ont eux aussi tellement inspirés !

© David Boriau/Goum chez Physalis

Pixar, c’est mon modèle. Ils inventent des choses plus créatives les unes que les autres, à chaque nouveau métrage ou presque. C’est osé : ils se permettent tout. Alors qu’à y regarder de plus près, tous leurs pitchs de départ sont invendables ! Ratatouille ? Un cuisinier parisien qui cuisine avec un rat qui se balade entre les plats. Ça ne fait pas forcément rêver sur papier. Et pourtant, avec leur liberté de fou, ils font rêver tout le monde à partir d’histoires pas forcément évidentes. Ce sont des virtuoses, dans l’ambiance, la poésie qu’ils inoculent.

© Boriau/Le Goum chez Physalis

Il y en a d’autres des mentors ?

Oh, il y a aussi Genndy Tartakovsky, le créateur de Samuraï Jack, qui a également participé aux Super Nana et qui a réalisé, plus récemment, les Hotel Transylvanie. Lui aussi, c’est un génie. Capable de transformer un ensemble de triangles en troupeau de chevaux. Il a amené quelque chose d’hyper-nerveux dans le monde de l’animation. Un level jamais vu, qui ne connaît pas d’équivalent. Il est parvenu à déformer la 3D, d’en faire du Tex Avery, là où ces effets se mariaient pourtant très mal.

L’animation, c’est complètement différent de la BD ?

Pour l’anecdote, sur le projet sur lequel je travaille, dans mes dessins, je ne peux pas m’empêcher de faire les flous, la focalisation dont nous parlions tout à l’heure. Je me fais engueuler par les animateurs qui, d’habitude, les font en post-production.

Pour le reste, je n’anime pas. Ça manque à ma formation. J’ai eu peur de faire l’école des Gobelins, spécialisée dans l’animation. J’étais trop jeune que pour m’éloigner de ma famille. C’est un regret? Du coup, je ratrappe mon retard.

© Boriau/Le Goum chez Physalis

Mais la BD c’est tout un travail de représentation des personnages, de dos, de face, de profil, que je fais déjà. Ça me sert donc quand je travaille sur les visuels d’un dessin animé.

La suite, c’est par là : Le Goum, enchanteur de monstres, souffleur de magie sur la BD (#2): « Le dessin et ce qu’il amène à faire sont illimités, on a besoin de la représentation graphique dans tout, ou presque. »

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