Il y a encore du pain sur la planche pour que les droits de l’homme coulent de source sur cette terre dérangée, Spirou et sa bande apportent leur pierre à l’édifice

Que les fidèles lecteurs du journal de Spirou ne s’étonnent pas : il n’y a pas d’histoire à suivre dans l’hebdomadaire de cette semaine. Ou plutôt une longue: celle des droits de l’homme qui, de 1948 à demain et dans cent ans ou plus, ont encore du chemin à faire. Les albums prépubliés sont mis en pause mais leurs héros sont bien là, soutenant de toutes leurs forces des valeurs en lesquelles ils croient, les trente articles de cette fameuse déclaration septuagénaire et pourtant tellement contemporaine. Un nouveau numéro spécial prouvant que le journal du Groom a pris cette rentrée à bras-le-corps et en faisant prospérer ces petits trésors de héros, toujours prêts à s’engager dans les plus beaux et pertinents combats.

© Bravo chez Dupuis

Ce numéro, toutes les planètes étaient alignées pour en accoucher. D’abord, parce qu’il y a Émile Bravo qui reprend son groom ingénu là où il l’avait laissé pour l’entraîner (et nous avec) dans la guerre avec L’espoir malgré tout (on revient vous en parler, très vite, promis) et l’humanisme plus fort que tout. Le moment était on ne peut mieux choisi pour que le héros de Rob-Vel, Franquin et tous les autres acquière le statut de Défenseur des droits de l’Homme conféré par le Haut-Commissariat des Nations Unies. Septante ans après leur création et leur diffusion (qui n’a pas encore été assez loin quand on voit les événements tragiques qui prennent le globe pour une cour de récré inhumaine), les Droits de l’Homme trouvent une nouvelle voix, parmi tant d’autres mais légitimes et non-négligeables : Spirou. Lui a 80 ans et tel un grand-frère bienveillant, il ouvre à ces trente principes essentiels la porte d’un Neuvième Art franco-belge au diapason. Avec un hashtag #spirou4rights et un signe de la main, amical et facile à reproduire (la preuve, tous nos héros préférés le font sur un poster).

© Dupuis

Dans ce numéro au chiffre rond (4200, ça file hein !) annoncé comme humaniste, la BD est donc investie… mais pas angélique, elle ne fonce pas tête baissée, elle donne du relief à la puissance de ces Droits… et à la difficulté de les (faire) appliquer. Car dès le départ, le Fantasio d’Émile Bravo vient nuancer, jouer le poil-à-gratter, avec un brin de jalousie de voir son groom d’ami tirer la couverture à lui mais aussi un certain fatalisme, une ironie salvatrice pour bien entamer le préambule. « Et pourtant, Spirou, certains favorisent la destruction de notre environnement et nous mènent droit dans le mur! Tu veux que je te dise : c’est dans leurs bureaux que devrait être placardée d’office cette déclaration des droits de l’homme et de la planète. Chez cette poignée de simplets irresponsables qui oublient les leçons du passé ! Rien de tel qu’un appel fort à réinvestir cette déclaration, le texte le plus traduit au monde (500 langues) et visant un idéal commun à atteindre pour tous les peuples.

© Libon chez Dupuis

Ces droits, on le sait, se sont fait une place dans les esprits mais pas forcément dans les lois nationales. Ils ne sont qu’un appel, pas un joug. On peut le regretter. Mais, dans le cas qui nous occupe, les auteurs n’ont pas dû s’y plier, faire un devoir d’école guère motivant. L’article choisi par chaque auteur ou bande d’auteurs est ainsi intégré à son originalité, son humour, sa créativité… son univers, surtout. De la guerre des Enfants de la résistance au plus profond de la jungle de Palombie, en passant par l’Histoire racontée par Ariane et Nino. Avec des héros d’aujourd’hui (FRNCK, Télémaque, La boîte à musique, Zorglub, Dad, Les Nombrils…), les intemporels (Le petit Spirou, l’Agent 212…) mais aussi ceux d’hier. Ainsi, Dany ressuscite Olivier Rameau. Plus loin, c’est Ptirou de Sente et Verron qui subit le même sort et permet d’en savoir un peu plus sur Juliette de Saintéloi, désormais journaliste, tout en crochetant les tristes sires qui voudraient bâillonner le droit à la démocratie.

© Munuera
© Delaf et Dubuc chez Dupuis

Puis, il y a aussi la présence exceptionnelle de Blake et Mortimer (par Sente et Juillard)au chevet d’un thème on ne peut plus d’actualité (le suspense de fin de page veut d’ailleurs que le lecteur trouve la réponse dans les journaux d’aujourd’hui) : les « migrants ». C’est fort et bien vu, de leur Londres vintage de la fin des 50’s. L’article 19 de Berberian sur la liberté d’opinion et d’expression est juste parfait, esquissant un surréalisme barbare à faire froid dans le dos quand les chiens du pouvoir matraquent l’indépendance. Engagés eux aussi, quelques invités ont fait une infidélité à leur éditeur pour s’incruster, à bon escient, dans les pages de Spirou, comme Cubitus, Ernest et Rebecca et… Le Chat de Geluck qui se positionne pour la création d’une déclaration universelle des devoirs de l’homme dont on vous laisse la surprise de découvrir le premier article.

© Geluck chez Dupuis

Après le passage en revue, à la fois sérieux et décontracté, de ces trente articles, le retour à la normal n’était guère pressant et le journal s’autorise encore quelques variations autour de cette déclaration, avec une interview d’Émile Bravo mais aussi une planche de Derib. Juste trois images pourtant criantes de vérité pour prouver qu’il y a encore du boulot ! Il y a encore du boulot mais certaines choses ont quand même changé. C’est ce que prouvent, par l’absurde et un voyage dans le temps qui change la donne, Olivier Bocquet et Clémence Perrault. De quoi rappeler que l’ONU a permis de créer l’Organisation Mondiale de la Santé, l’UNICEF, etc.

Bref, dans ce journal qui est une sorte de répit avant une nouvelle charge des Tuniques Bleues, la semaine prochaine, il y a plein de bonnes intentions qui n’auraient pas suffi s’il n’y avait pas eu le talent pour les porter. Il y en a à foison ! 

© Achdé chez Dupuis

PS : Pour l’occasion, une exposition a été créée, visible au siège des United Nations Human Rights mais aussi itinérante puisqu’elle… est téléchargeable par tout un chacun. Pour la lire et la faire vivre.

Le journal de Spirou, N°4200 du 10 octobre 2018, 52p. 2,50€.

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