Guillaume Gouix : « Des jeunes cinéastes français émergent, comme des guérilleros à la belge, ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont et trouvent une intensité nouvelle »

Tantôt anarchiste, tantôt néonazi, tantôt camping-cariste en panne, Guillaume Gouix peut se targuer d’avoir une filmographie aussi éclectique que riche. De passage au FIFF pour endosser la casquette de juré longs-métrages, il présentait aussi « Les Drapeaux de Papier », premier film d’un jeune réalisateur au talent prometteur, Nathan Ambrosioni.

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©Fabian Rigaux

Un jury longs-métrages, ce n’est tout de même pas rien pour un acteur… C’est un bel honneur que t’a fait le FIFF cette année. On touche à la fin du festival, le verdict est sans doute déjà rendu, comment as-tu vécu cette expérience ?

On me donne le temps de voir des films, moi je suis content ! En plus, d’habitude, on vient en festival en coup de vent, on n’a absolument pas le temps de voir des films. Un jury dans un beau festival de cinéma, c’est le pied. C’est un luxe de pouvoir découvrir des films et puis de discuter de ce qu’on a vu ensemble. Dans la vie, on ne le fait pas tout le temps, voire jamais, donc c’est un bon exercice. Je l’ai très bien vécu ce FIFF, d’autant plus que la sélection était superbe. J’étais déjà venu en tant qu’acteur, en tant que réalisateur pour montrer mes courts-métrages et maintenant je reviens comme juré, c’est une expérience complète !

Ça ne donne pas trop mauvaise conscience en tant qu’acteur ou réalisateur de juger les œuvres des collègues ?

Je ne me sens pas critique pour le coup, je me sens plus spectateur. Finalement, c’est subjectif un jury ; des films nous parviennent, d’autres non, certains vont aimer un film en particulier, les autres vont moins l’apprécier. Ce sont des échanges entre spectateurs privilégiés. Je n’ai aucun problème de légitimité à juger des films, à partir du moment où on me la donne, le problème est résolu ! En tout cas, j’essaye de ne pas me poser la question, je suis juste à l’écoute de ce que les films me font.

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©Fabian Rigaux

Une belle sélection, tu l’as dit. Ce doit-être enrichissant pour ton travail d’acteur et de réalisateur de te confronter aux univers d’autres films…

Tout à fait ! Moi je suis pour m’enrichir de tout dans la vie et pas juste du cinéma, la musique et tous les arts me passionnent. Ce qui est intéressant ici au FIFF, c’est qu’on est face à une programmation très éclectique et c’est passionnant de voir des films de tout genre.

Outre le jury, tu es ici pour présenter un film d’un tout jeune réalisateur, « Les Drapeaux de Papier » de Nathan Ambrosioni. C’est un film fort dans lequel tu interprètes un homme qui rentre en prison adolescent et qui en ressort adulte. Comment t’es-tu préparé à endosser ce rôle ?

Je ne sais pas si tu as déjà vu le film, mais c’est quelque chose ! Je l’ai vu avant de venir à Namur et j’étais ravi du rendu final parce que c’est un film qui ressemble à son réalisateur. Il a dix-huit ans, il est frontal, sans filtre, c’est énorme ce qu’il a fait ! Toutes ses émotions ont dix-huit ans… Quand il est en colère, il crie, quand il a envie de pleurer, il pleure et c’est en ça que son film lui ressemble. C’est un film plein de rage et de promesses.

Je ne me suis pas vraiment préparé pour ce film en fait. On a essayé de trouver ce visage abîmé avec ce crâne rasé puis on s’est lancé et on a tout tourné pratiquement dans l’ordre. Et puis en face, j’avais Noémie Merlant qui est un véritable cadeau pour un comédien. Il n’y avait qu’à se laisser guider…

Comment as-tu vécu ce tournage ? Ce doit-être passionnant de tourner avec un réalisateur aussi précoce, qui a à la fois l’énergie de la jeunesse et la soif de découvrir et d’apprendre…

C’est passionnant et c’est valorisant parce qu’on est aux premières loges pour assister à la naissance de quelque chose. Moi j’aime le cinéma qui secoue un peu, où il y a des expériences. Nathan me proposait une vraie expérience.

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©Fabian Rigaux

J’imagine qu’il y a des acteurs qui auraient refusé l’expérience en voyant arriver ce tout jeune gars…

Certainement, mais moi, à l’inverse, c’est ce qui me fait dire oui immédiatement ! Je me fous des certitudes au cinéma, c’est quand j’ai des doutes que ça m’intéresse.

C’est un personnage assez complexe que tu joues. Ce mec qui sort de prison sans avoir vécu sa jeunesse.

C’est un gars qui reprend le cours de sa vie alors que sa sœur est devenue une femme et que sa maturité lui a été volée.

On est en plein dans un cinéma du réel avec ce thème très actuel de la réinsertion après la prison. C’est finalement assez cruel de voir à quel point c’est compliqué pour un homme de reprendre sa place de la société.

Surtout que dans ce film, on parle d’une sortie sèche. Du jour au lendemain, on est libéré et il n’y a aucun suivi, aucune assistance sociale à part un rendez-vous chez le psy une fois par mois. C’est sûr que ce sont des sorties assez violentes, surtout quand on a passé sa jeunesse, si on peut appeler ça une « jeunesse », derrière les barreaux.

Et il y a un terme qui résume bien tout ce personnage c’est celui qu’utilise la psy pour qualifier Vincent, celui de « détenu non-accompagné ».

Tout à fait, il est lâché dans la vie après une longue pause et il a seize ans dans un corps de trente.

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©Fabian Rigaux

Et pendant que ce gars était emprisonné, le monde ne l’a pas attendu. Quelque chose de très marquant au début du film, c’est le décalage numérique que subit Vincent. Il n’a pas de smartphone, ni d’adresse mail à l’heure où on nous laisse penser que tout ça est devenu indispensable.

Ce décalage est assez marquant, c’est vrai, il voit des gens dans un parc faire des selfies et il n’a finalement aucune idée de ce que c’est. Lui, il est toujours à l’ère des téléphones où il faut taper cinq fois pour avoir une lettre, c’est sûr que c’est un fameux choc ! En fait, il évolue dans un univers parallèle, en dehors du rythme dicté par la technologie.

Pourrais-tu te détacher de toutes ces technologies dans ta vie actuelle ?

Ça devient compliqué. Un téléphone portable c’est devenu un appendice. Après, moi, j’essaye de temps en temps de le cacher, pour m’en détacher. J’essaye de faire en sorte qu’il soit plus loin que dans ma poche. Je pense qu’il faut parvenir à se préserver des moments loin de la technologie, même si de nos jours, c’est vrai, ce n’est pas facile.

Le film montre bien que c’est une nécessité d’être « connecté ». Il va remplir des formulaires et il s’aperçoit qu’il n’a pas d’adresse mail pour recevoir une confirmation à sa demande. Ça devient presque impossible de résister !

C’est vrai et c’est une folie ! C’est assez interpellant de voir qu’on commence à se raccrocher uniquement à des solutions numériques.

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©Fabian Rigaux

Ce film, « Les Drapeaux de Papier », renferme une force assez incroyable tant dans sa réalisation que dans ses deux personnages principaux, interprétés par toi et Noémie Merlant. Est-ce que vous avez senti la puissance de ce film en le tournant ?

J’ai du mal à penser comme ça, tout est tellement imprévisible quand on tourne un film. Il y a parfois quelque chose d’anodin dans un film qui va toucher le public et le rendre beau et grand. C’est toujours un peu difficile de prévoir ça à l’avance. Moi, j’essaye de ne plus me projeter et à chaque film terminé, je pense au suivant et à rien d’autre. Autrement, ce serait un yo-yo permanent pour l’ego. Par contre, ce qui est vrai aujourd’hui, c’est qu’avec « les Drapeaux de Papier », j’ai l’impression d’avoir fait le premier film d’un futur grand cinéaste, c’est déjà pas mal !

Toi qui a mis les pieds dans la réalisation, tu sais à quel point tout un film repose sur les épaules de son réalisateur. Crois-tu qu’à dix-huit ans on est prêt à sauter le pas d’un long-métrage ? 

Je crois que dans n’importe quel domaine, on n’est jamais vraiment prêt. En tout cas, c’est mon cas ! Regarde, dans la vie en général, les gens ne sont jamais prêts à faire des enfants puis la vie fait que, prêt ou non, on est obligé d’y aller. Il y a un certain lâcher-prise à avoir. Le truc c’est de ne pas avoir peur de se tromper. Si on n’a pas peur d’être mauvais, ce qui est une possibilité très probable, on peut faire plein de choses !

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« Chez Nous », de Lucas Belvaux

Le FIFF fait la part belle au cinéma francophone et c’est un bel écrin pour le cinéma belge. Tu as eu l’occasion dans ta carrière d’y faire quelques incursions. Est-ce que comme d’autres comédiens tu vois des différences entre le cinéma belge et français ?

J’ai fait « Chez Nous », le dernier film de Lucas Belvaux, un Namurois, je crois. C’était un film tellement salutaire pour la France. Il fallait que quelqu’un le fasse et Lucas Belvaux l’a fait. C’est un homme tellement fascinant d’intelligence. J’ai fait d’autres films belges aussi comme « Mobile Home » de François Pirot et « Hors les Murs » de David Lambert, un film tourné à Bruxelles.

Je pense qu’il y a dans le cinéma belge une insolence dont les Français ont peur. Même si j’ai l’impression que si c’était vrai à une époque, ça l’est de moins en moins aujourd’hui. Avant, en France, les gens avaient beaucoup d’argent et faisaient des films classiques, mais aujourd’hui, on a de jeunes cinéastes qui sont des guérilleros à la belge. Ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont et je trouve qu’on retrouve une intensité qu’il n’y avait peut-être pas avant.

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« Mobile Home », de François Pirot

C’est vrai qu’on a l’impression que le cinéma français élargit ses frontières pour aller voir dans des univers où il ne se serait pas risqué auparavant. On voit ça aussi avec la série qui ouvre pas mal de portes non plus…

C’est sûr que ça bouge et ça fait plaisir à voir. Il faut le temps de digérer la nouvelle vague et là, en France, je pense qu’elle est enfin digérée. Le cinéma français est marqué par une empreinte très classique, il a eu du mal à se défaire de cette image, mais commence à s’affranchir. C’est comme le cinéma américain qui a eu du mal à s’écarter des blockbusters pour aller vers un cinéma plus indépendant. L’Histoire du cinéma américain c’est l’âge d’or d’Hollywood; en France, l’Histoire c’est la nouvelle vague. On va plus facilement vers du cinéma d’horreur, les thrillers, les polars et ça fait plaisir pour nous aussi les acteurs.

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« Hors les murs », de David Lambert

Et dans cet avenir attractif du cinéma français, quel serait ton rôle de rêve ?

C’est celui qu’on me donnera ! Je n’ai pas de rôle de rêve, moi… J’ai du mal à fantasmer les choses, c’est horrible, je sais ! Mais ça dépend tellement des gens qui vont travailler sur le film, des cinéastes. Ce qui me passionne, c’est vraiment le travail avec un cinéaste.

Alors, on peut se demander avec quels cinéastes tu aimerais collaborer ?

Il y en a tellement… Mais je dois dire que travailler avec Claire Denis me botterait particulièrement.

C’est tout le mal qu’on peut te souhaiter alors… Merci pour tes réponses.

Avec plaisir, merci à toi !

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©Fabian Rigaux

Interview réalisée par Alizée Seny / Photos de Fabian Rigaux

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