« Le fou est l’échelle du sage », disent les Zoulous; « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », rappelait un Audiard en mode biblique et « J’ai un projet, devenir fou » étayait un Charles Bukowski qui a eu le mérite d’y arriver. Il y a peu, le Père Albert Algoud proposait une anthologie autour de tous les textes mettant en scène, et sous toutes les coutures, les fous (ou quel que soit le nom qu’on leur donne). Des fous jamais absents du paysage culturel, la preuve encore avec deux bandes dessinées : Road Therapy et Les oubliés de Prémontré.

Les oubliés de Prémontré, mieux vaut sombrer dans la folie humaine que dans la guerre inhumaine
Résumé de l’éditeur : En septembre 1914, l’asile de Prémontré, dans l’Aisne, près de Soissons, abrite quelque 1300 malades. Des aliénés, des fous, des « zinzins », comme les appelle le gardien-chef Loisel. L’armée prussienne, avec à sa tête le colonel Von Stauffenberg, qui se dirige à marche forcée vers Paris, est en vue. Le directeur se fait la malle, promptement suivi du médecin-chef adjoint et de quelques autres, abandonnant les malades à l’envahisseur. André Letombe, l’économe en fin de carrière, quelques gardiens et religieuses refusent de quitter leur poste. Avec les fous, ce sont les oubliés de Prémontré. Sous la tutelle des nouveaux maîtres prussiens, la vie, à Prémontré, devient périlleuse. Les vivres viennent à manquer, et la faim gagne. Le charbon se fait rare, et le froid mord les corps et brûlent les âmes. Au coeur de cette enceinte de misère et de désolation, les malades tombent comme des mouches.

Auteurs à la bibliographie fertile et passionnante, c’est dans une histoire vraie que s’aventurent Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. De celles qui permettent de saisir l’horreur et néanmoins le quotidien de la guerre de manière originale et anglée. Bien à l’arrière des fronts et du fracas des combats, plus près des stigmates et au coeur d’une formidable histoire humaine où la folie plus ou moins avérée n’est plus une barrière et fait place à la survie. Les circonstances font ainsi que l’on s’intéresse à cet asile, qui fait figure de refuge pour l’ennemi en territoire de plus en plus conquis, que d’aucuns préféraient éviter sur le chemin.

C’est ainsi que par le biais d’un gamin qui se veut apprenti-gardien mais recherche quelqu’un dans ses murs qui paraissent maudits malgré leur beauté et que les cris n’épargnent même pas la nuit. Il faut déjà de tout, vous savez, alors quand la famine s’invite tout comme les soldats prussiens, Prémontré doit survivre, montrer qu’il existe toujours même si ceux qui sont restés sont déjà oubliés. On aurait tendance à croire que seule l’absinthe conservée et consommée en secret aide à voir la bouteille à moitié pleine. Parce que certains médecins ont pris leurs cliques et leurs claques sans demander leur reste, tristes capitaines d’un navire échoué mais pas encore coulé. Heureusement, à bord, il y a encore quelques êtres sensés qui passeraient pour plus fous que les autres en voulant sauver ceux-ci. Tant leur abnégation semble inconsciente et force l’admiration. Des fou-dres de guerre comme l’économe Letombe.

Dans une communauté attachante et un décor qui cache tout de la misère qui en guette ses habitants assignés à résidence, prisonniers au grand air; le duo Piatzszek-Pendanx fait une nouvelle fois une fort belle union qui laisse la beauté d’un dessin et la classe des couleurs ne pas perdre de vue l’âpreté du contexte et le mystère de la fiction qui ajoute au documentaire un supplément d’âme. Visuellement, Pendanx crève l…es cases !

Titre : Les oubliés de Prémontré
Récit complet
Scénario : Stéphane Piatzszek
Dessin et couleurs : Jean-Denis Pendanx
Genre: Drame, Histoire
Éditeur: Futuropolis
Nbre de pages: 104
Prix: 21€
Date de sortie: le 17/05/2018
Extraits :
Road Therapy, château pointu… turlututu, rien ne va se passer comme prévu

Résumé de l’éditeur : Des patients d’un hôpital psychiatrique partent pour un voyage en minibus afin de visiter quelques châteaux en pays cathare. Leurs pathologies sont lourdes, mais gérables pour des personnels qualifiés, comme le sont les deux infirmiers qui les encadrent et comme semble l’être le nouveau chauffeur, haut en couleur, qui les conduit. C’est ce dernier qui va prendre une décision incroyable, folle, à l’insu de tous : emmener ces malades bien plus loin que prévu, jusqu’en Espagne.

C’est dans une aventure bien plus contemporaine, légère et souriante que le cathare-car nous promènent. Une excursion qui ne va pas pour autant être de tout repos pour les deux infirmiers accompagnant les six fous dont ils ont la charge et dont les syndromes se complètent à merveille pour créer le cauchemar éveillé. Avec un coup de pouce du chauffeur remplaçant et un brin allumé, le plan prévu va vite être sabordé et l’inconnu tendre les bras à ces malades à qui l’on faisait croire que la routine et la répétition des rituels étaient le salut dans un monde auquel ils n’étaient pas forcément adaptés.
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Deuxième collaboration entre Louis et Marty, après le chamboulant L’amour est une haine comme les autres, Road Therapy permet au premier de creuser sa veine réaliste (et comique), lui qui était souvent attaché à des projets s-f et fantaisy. Et ce revirement est appréciable tant Louis prouve une nouvelle fois qu’il a quelque chose à apporter à cette bande dessinée plus terre-à-terre (sans besoin de planètes lointaines) mais dont la richesse des âmes humaines nécessite peut-être des navettes bien plus performantes que celles qui visent la Lune. La navette de Louis, c’est le dessin de Marty qui garde la tenue de route dans les virages qui mènent aux dentelles montagneuses et autres infrastructures médiéval. Seulement, château pointu… turlututu, rien ne va se passer comme prévu et tout va donner l’occasion aux auteurs de se rapprocher de leurs personnages attachants, leur donnant du temps de parole et du temps d’écoute. Et il est là le trésor.
Récit complet
Scénario : Stéphane Louis
Dessin : Lionel Marty
Couleurs : Vera Daviet
Genre: Humour, Road-Trip
Éditeur: Grand Angle
Nbre de pages: 72
Prix: 16,90€
Date de sortie: le 02/05/2018
Extraits :