Du slam au tribal, du gipsy punk au jazz, Esperanzah! nous offre un dernier grand écart jubilatoire

Après le knockout d’un samedi sous haute tension, il est déjà venu le temps de la dernière journée d’Esperanzah!. Toujours de la partie, le soleil a brillé sur l’Abbaye de Floreffe pour une dernière fête qui a oscillé entre douceur et ardeur, des prémices de l’après-midi jusqu’au bout de la nuit. D’un extrême à l’autre, entre Grand Corps Malade et Gogol Bordello, Ghetto Kumbé et Mélanie de Biasio, le voyage fut encore une fois fascinant, éclectique, solaire, à l’image de ce festival passé maître dans l’art d’étonner.

Interview-concert de Grand Corps Malade par Alexis dans L’Avenir : Comme Grand Corps, plus jamais peur des dimanches soirs

Esperanzah ! 2018 - jour 3 - floreffe - Afuma (1)
© Benoît Demazy

14h. Dans les entrailles de l’Abbaye se déverse un flot timide de festivaliers un peu éreintés. C’est peut-être le dernier jour aujourd’hui, mais il n’est pas question de le louper, fatigue ou pas, Esperanzah! s’apprête à vibrer une ultime journée. Et c’est du côté jardin que tout commence, avec un Karim Baggili tonitruant. L’artiste offre au public un tour du monde musical jouissif avec du flamenco, un soupçon de musique tzigane, le tout baigné par la chaleur orientale : un délice pour les oreilles. La séduction s’opère vite et les festivaliers décollent du sol et des ombrages pour se déhancher devant la scène, frapper fort dans les mains et s’éclater tout simplement. Aujourd’hui, Karim Baggili a prouvé qu’il n’y avait rien d’ingrat à ouvrir les festivités.

Ce mini-festival dans le festival terminé, il est déjà temps de poursuivre la fête en bas, dans la cour écrasée d’un soleil de plomb. Le temps est idéal pour accueillir les Colombiens de Ghetto Kumbé et leur terrible répertoire tropical. Ils n’ont débuté que de quelques secondes que, portée par leurs magistrales percussions, leur incroyable énergie embrase la foule déjà bien échauffée. Les trois hommes masqués nous offrent un véritable show en pleine après-midi ; rythmes d’Afrique de l’Ouest, house caraïbéenne, percussions colombiennes, le cocktail est enivrant. Et heureusement que les lascars de Radio Bistrot passent avec leurs pulvérisateurs au milieu de festivaliers en mal de rafraîchissement. Fluo sous un soleil de plomb, le trio est ensorcelant, une magie mystique se tisse dans leur musique extatique. La découverte est magistrale et on en redemande, encore et encore.

Après cette énième découverte au compteur, nous pouvons grimper jusqu’aux jardins pour savourer la douceur d’une (grande) chanteuse, qui n’a plus besoin d’être présentée. C’est Mélanie de Biasio et son jazz enchanté qui s’apprête à nous envoûter. Le soleil tape toujours autant, les spectateurs se regroupent là où le concert peut se savourer avec quelques degrés en moins, à l’ombre. Certains en profitent pour faire la sieste, d’autres pour s’asseoir simplement, mais tous profitent de ce moment d’une rare sérénité, presque méditatif à l’écoute de cette artiste dont la subtilité est inscrite dans son ADN. Seul petit bémol, ce moment hors du temps semble un peu perdu dans la programmation de ce dimanche, on l’aurait apprécié davantage en ouverture ou en clôture

Esperanzah ! 2018 - jour 3 - floreffe - Mélanie de Biasio (2)
© Benoît Demazy

18h. Nous abandonnons les fans de Grands Corps Malade investissant déjà le premier rang pour redescendre à nouveau. Dans la cour enfin ombragée se presse une marée de spectateurs de plus en plus dense. C’est l’heure d’applaudir le groupe Her. Un an après la mort de Simon Carpentier, son comparse de toujours, Victor Solf monte sur scène et défend leur premier album éponyme. Les morceaux tournant dans mes oreilles depuis leur sortie, j’attendais cette rencontre scénique avec impatience et autant dire que je ne suis pas déçue. Si la présence fantomatique de Simon transperce la scène, elle n’en est pas moins transcendée par le charisme touchant de Victor. En cette fin d’après-midi, nous assistons à un concert qui fait du bien. Lascive et inspirante, la musique imprègne les âmes, fait même frisonner par moments, comme à l’écoute du magnifique We Choose. Le ravissement est bel et bien présent et le public est conquis.

Esperanzah ! 2018 - jour 3 - floreffe - Her (4)
© Benoît Demazy

19h30. Le cœur tout émotionné, le temps est désormais au slam avec Fabien Marsaud, a.k.a. Grand Corps Malade. Il vient nous parler de son Plan B avec toute la simplicité qu’on lui connaît. Une heure durant, on redécouvre ces textes plus ou moins mélancoliques, derrière lesquels se cache un homme au charisme redoutable et à l’humour dramatique lorsqu’il remue la plaie ouverte d’un fameux match Belgique-France. Dans la lumière dorée de ce début de soirée, Grands Corps Malade se dévoile, convainc et rassemble petits et grands. Tout seul je vais vite, ensemble on va loin. L’esprit d’équipe, comme un besoin, nous invite-t-il à reprendre en chœur. Entre simplicité et ferveur, il raconte la vérité, juste la vérité, rien que la vérité. Parfois, elle fait mal, souvent, elle est belle.

Grand Corps Malade @Esperanzah! - Benoit Demazy (2)
© Benoît Demazy

À lire aussi | Grand Corps Malade fait son plan B, B comme Big Bang, la collision des univers par la force des rencontres

Comme son magnifique Dimanche Soir qui fait frissonner et briller les yeux en cette fin de festival. D’ailleurs, au milieu de la foule comme dans l’aéroport d’Orly que chantait Brel (« Ils sont plus de deux mille et je ne vois qu’eux deux » mais avec une issue heureuse ici), il y avait ce couple qui s’est serré, serré tellement fort qu’on a bien vu qu’entre eux deux, il se passait quelque chose de beau, de grand, de fort. Une heureuse nouvelle dont le secret n’appartient qu’à eux, qui les gênait un peu, et nous avec… mais qui nous a fait vibrer un peu plus. Le public est conquis, il le fait savoir en ovationnant ce grand artiste et ses musiciens tout aussi grandioses. L’ovation dure jusqu’à sa sortie de scène où le public s’amasse et chante encore un peu sous le regard touché du slameur. Tout seul je vais vite, ensemble on va loin. L’esprit d’équipe, comme un besoin. Un bien beau moment, encore un !

Grand Corps Malade @Esperanzah! - Benoit Demazy (5)
© Benoît Demazy

La nuit tombe sur l’Abbaye de Floreffe, alors qu’en bas, la Soldiers of Jah Army (SOJA) déverse son flow de paix et d’amour; en haut, d’autres Ricains s’apprêtent à monter sur scène. Initiateur du mouvement « gypsy punk », voilà dix ans que Gogol Bordello est attendu à Esperanzah! avec son mélange de punk new-yorkais et de musiques balkaniques. Il est 22h30, dans l’ombre, sur le côté de la scène, on peut apercevoir la silhouette d’Eugene Hütz, leader du groupe et véritable légende scénique. Le show ne va pas tarder à démarrer. Il sera explosif, il ne faut pas quatre secondes pour s’en apercevoir. Sergey Ryabstev nous offre un solo de violon épique et voilà déjà que ce diable d’Eugene débarque en trombe, tout de rouge vêtu. Il bouge et court sur scène à en donner tournis, il n’en faut pas plus pour rendre fou le public amassé devant la scène. Les bras se lèvent, les sauts s’enchaînent et les cris résonnent, jubilatoires. Complètement barré, Hütz n’hésite pas à ouvrir une bouteille de vin sur scène tout en sautant sur les rythmes effrénés du groupe. Un vrai show, unique en son genre ; ça valait la peine d’attendre dix ans !

Après 1h15 de folie pure pour Gogol Bordello comme pour les festivaliers, le concert se termine. Le festival aussi touche tout doucement à sa fin, encore quelques instants de fête avant de voir les portes de l’Abbaye se fermer pour de bon. En cette fin de soirée, deux options s’offrent encore à nous : un DJ set en compagnie de la Fine Équipe ou bien les bacchanales de Radio Bistrot. Nous nous laisserons d’abord happer par le quatuor de la Fine Équipe, mais peu convaincues, nous nous laisserons guider jusqu’au Village des Saltimbanques où l’after très eighties de Radio Bistrot bat son plein. Dans cette institution d’Esperanzah!, la fête est continue portée par Sangdor, le coiffeur un peu fou, et Hafid, le passeur de disques inspiré. L’ambiance est bien là, comme toujours ! Ici, on danse et on chante du Brel, du Prince, du Bowie, du Queen ou même du Boney M. Tout est bon pour faire la fête dans une ambiance décalée qui fait tellement de bien, une belle manière de mettre un point final à trois jours intenses.

Esperanzah ! 2018 - jour 3 - floreffe (3)
© Benoît Demazy

Cette année encore, Esperanzah! a tenu toutes ses promesses. Les trois jours furent  à la fois riches en combats (contre l’empire du mâle), intenses en révélations et éreintant en montées et en descentes. Le festival se termine et nous laisse des souvenirs plein la tête, des couleurs plein les yeux, des musiques plein les oreilles et des milliers de sourires. Nous l’aurons entendu plusieurs fois dans la bouche des festivaliers, adeptes ou petits nouveaux : Esperanzah! c’est magique et ça ne ressemble à rien d’autre. C’est bien vrai ! Notre festival floreffois est unique et chaque année, il nous ravit un peu plus par ce qu’il propose au-delà d’une programmation musicale variée.

Esperanzah ! 2018 - jour 3 - floreffe (2)
© Benoît Demazy

Impossible de quitter le festival sans en dresser le bilan. Cette année encore fut abondante, en rencontres artistiques ou humaines, en découvertes musicales ou gustatives, en confirmation et en consécration. Quelques souvenirs, quelques artistes vont avoir du mal à s’effacer, c’est ceux-là qui resteront et dont on se souviendra encore l’année prochaine à l’approche du tant attendu premier weekend d’août. Pour ma part, un nom se détache de toute cette programmation, celui de Médine qui nous aura livré un concert unique sous haute tension, truffé de punchlines et de messages intelligents. Je m’en souviendrai encore longtemps de ce moment qui a mis le feu à mes tripes, indélébile, comme ce concert d’un certain Kery James en 2014. Il y a un autre mâle dont je me souviendrai aussi pour longtemps, Grand Corps Malade et du côté des découvertes mémorables, je classerais sans aucun doute Meute et Ghetto Kumbé.

Et voilà, Esperanzah!, c’est terminé et c’était magique ! C’est lundi et nous voilà recrachés dans la dure réalité de la vie réelle, avec une gueule de bois pour certains et pour d’autres un fameux spleen post-festival (remarquez, les deux ne sont pas incompatibles). Un peu de repos, une bonne réhydratation et tout rentrera dans l’ordre. En attendant, je te dis merci Esperanzah! et à l’année prochaine , j’ai déjà hâte de te retrouver !

Esperanzah! 2018 Jour 2 - Benoit Demazy (15)
© Benoît Demazy

Photos : Benoit Demazy

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.