Il y a peu, nous étions très heureux de découvrir Johann Corgié, pour ses couleurs dans la non-adaptation BD du film Spirou et Fantasio, et de lui céder la parole. Et voilà déjà qu’on le redécouvre avec le premier album qu’il dessine sur un scénario d’Aurélien Ducoudray. Et un sujet phare, bien plus loin que le titre de ce one-shot : Les lumières de l’aérotrain. Une machine qui n’a pas fait longtemps fantasmer, qui n’a même pas eu le temps de dérailler et regarde passer à toute vitesse les Paris-Nice à des heures très précises. Ce train-là qui voulait toucher la Lune, il s’est fait oublier au dépôt avec seulement les bris de vitres et les tags pour lui donner un soupçon de vie. Ce train-là, c’est tout un symbole, en bien ou en mal, pour la jeunesse de cette ville de seconde zone où l’on fabrique l’aventure avec pas grand-chose.

Résumé de l’éditeur : Sur le côté droit de la ligne Paris-Toulouse, une structure en béton file sur une dizaine de kilomètres. Elle était destinée dans les années 1970 à accueillir l’aérotrain, projet avorté de train à grande vitesse. Sous un pilier de cette ruine moderne, Hervé, 17 ans, et Romuald, 12 ans, n’ont pas réussi à décoller, eux non plus. Lucie va apporter pas mal de nouveauté dans leur vie monotone. À 16 ans, avec un père conducteur de train au Japon et une mère richissime, elle a des arguments pour les séduire et leur faire tourner la tête… Mais Lucie ment beaucoup aussi…


Quand on est jeune dans un coin qui n’a plus d’avenir, tout au plus une routine qui risque de gangréner les rêves d’enfants plus vite que leur concrétisation, tous les challenges sont bons à prendre, toutes les bulles d’air aussi. C’est ainsi qu’Hervé, Romuald et Mathilde écoulent leur journée, d’un lac aux bords des voies, en passant par quelques soirées où ils testent leur cote de (im)popularité. Rien de bien neuf ni trépidant sous ce soleil de province où la nature à proximité leur permet tout de même un brin d’évasion.

Tout comme la passion de Romuald pour les trains en tous genres et en maquettes… jusqu’à la découverte d’un modèle grandeur nature tel un secret bien gardé et qui malgré lui et sa carcasse rouillée, et avec l’arrivée de cette Lucie qui cache bien son jeu, va tout faire dérailler un peu plus. Jusqu’au terminus et le point de non-retour.

Car, pour un album jeunesse (car c’en est un qui ne se voile pas la face et va au bout des choses et de ses propositions osées et en dessous de la ceinture), celui-ci n’a pas voulu lisser son propos et préfère aller au choc, à la confrontation entre ces moments de turpitudes, de désoeuvrement, dont on aurait juré qu’ils auraient mené à une conclusion positive à moins qu’inoffensive, et le choc d’un final tranchant et redoutable. Car, dans la vraie vie, même pour des gosses, la conclusion n’est pas toujours aussi joyeuse et fanfaronnante que le laissent penser les belles histoires de père Castor ou d’un autre.

Avec des signes avant-coureurs mais sans crier gare, sans sifflet de train pour prévenir ces ados à contre-voie, les deux auteurs les emmènent sur les chemins de fer et d’enfer. Puisque, à un moment, il faut qu’ils ne soient plus maîtres de leur destin et que celui-ci s’échappe.


Johann Corgié assouvit ainsi sa soif de dessin moins timide qu’affirmé en compagnie de héros qui ne sont pas des top models (Hervė ressemble d’ailleurs un peu à un des deux affreux des séries Il était une fois…), ils puent le vécu. Il y a du tact même dans les scènes crues que lui a soumis Ducoudray. Corgié prouve sa place dans le monde de la couleur mais aussi du dessin en proposant un style propre et déjà mature plutôt que les traits ronds et sans aspérités de trop de gamins de Bd. Il y a ici une gravité irrémédiable qui coupe le souffle.

Titre : Les lumières de l’aérotrain
Récit complet
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessin et couleurs : Johann Corgié
Genre : Drame
Éditeur : Grand Angle
Nbre de pages : 84
Prix : 16,90 €
Date de sortie : le 06/06/2018
Extraits :