Arrêt de jeu : de simulation en machination, business as usual plutôt que carton rouge quand les book-makers et -masters arbitrent le foot

Oh qu’il est joli le monde du foot. Bien sûr, il y a les mauvais perdants et les mauvais gagnants, les gestes pas très catholiques et ceux pas très cathodiques (hein, Diégo et ton doigt de Dieu?), etc. mais, pour le reste, quelle beauté du geste. À tel point que quand siffle l’heure de la coupe du monde, la planète entière (bien plus que ceux qui forment la planète foot) oublie tout pour avoir les yeux en ballons ronds. Étrange manipulation. Mais Matz et Lem (dont c’est le premier album) ne se sont pas laissé duper et proposent une incursion au-delà de l’écran, bien plus loin que les terrains, là où la balle sort et dérive toujours plus.

© Matz/Lem/Sauvêtre chez Casterman

Résumé de l’éditeur : Devenir joueur de foot professionnel, c’est d’abord un rêve. Mais lorsqu’on arrive enfin à être sélectionné par un grand club et qu’on devient une star comme Lucas DiLucca, il faut savoir garder la tête sur les épaules. Car la fortune et la célébrité excitent les jalousies, suscitent les convoitises… Et peuvent pousser à la faute.

© Matz/Lem/Sauvêtre chez Casterman

Arrivé bien à propos en ces temps de Coupe du monde à fond les ballons et à l’heure où Platini n’éprouve nulle gêne à évoquer ses petites magouilles « sans conséquence », on aimerait tant qu’Arrêt de jeu signe l’arrêt de mort de certaines pratiques mafieuses qui imposent l’anti-jeu et la loi des gros sous. On aimerait tant que le foot redevienne purement et simplement du foot et, plus largement, que le sport redevienne du sport au-delà des enjeux financiers.

© Matz/Lem/Sauvêtre chez Casterman

Car si le salaire des plus grandes vedettes se comptent en millions (là où d’autres footballeurs gagnent péniblement 300€ par mois), ils ne sont pas pour autant toujours maîtres de leurs destins et sont soumis à des enjeux qui les dépassent. Notre ami Lucas va en faire l’amère expérience. « Qui, quoi, quand », vous dites-vous ? Un début de réponse se trouve sous vos yeux quand le temps de la mi-temps vous êtes bombardé de pubs pour des sites de paris. Vous pouvez gagner gros qu’on vous dit… mais faites quand même attention vous avertit la campagne de prévention. La question que posent Matz et Lem (et à laquelle ils vont répondre dans un polar glaçant tant il semble si proche de la réalité) n’est pas là. La question se pose dès qu’un match à enjeux se présente, que les forces sont disproportionnés entre les équipes qui s’affrontent et que les marionnettistes pourris de l’usine à paris ont tout intérêt à créer la surprise et à voir terrassée l’équipe la plus forte sur papier. Terrassée ou se couchant non pas sous l’effort mais sous le magot. Et si certains joueurs peu scrupuleux et un brin crapuleux s’adonnent facilement à empocher cette prime conférée pour faire… de mauvais résultats; d’autres ont trop d’éthique que pour se laisser engloutir par la spirale infernale… mais n’auront pourtant pas le choix. C’est le cas de notre joueur qui est la figure de proue du PCFC, propre et réfléchi, loin des petites frappes qui jouent plus la comédie que le foot,… et n’est pourtant qu’un vulgaire soldat de plomb dans les mains des puissants qui font et défont le foot et ses champions sans l’aimer vraiment.

© Matz/Lem/Sauvêtre chez Casterman

Avec Arrêt de jeu, Matz livre une oeuvre bavarde, n’ayant de cesse de nous mettre dans la tête de son tragique héros, nous livrant son ressenti et apportant un propos très documentaire et réfléchi sur le monde du foot. Si vous vous attendiez à un album fait de prouesses footballistiques, vous risquez d’être déçu : le voyage est immersif, psychologique, au bord de l’abîme. Il y a moins de coups francs que de coups de téléphone passés par un homme qui, sans besoin de masque, aurait tout pour faire le Ghostface de Scream. Car les moyens employés par les hommes d’affaires véreux pour faire plier Lucas dépassent l’entendement… et sont pourtant tellement réalistes. Horrifiants. Quitte à faire couler le sang et à ameuter les médias en manque de scoops dégoulinant de mensonges.

© Matz/Lem/Sauvêtre chez Casterman

Lem (alias Lemur Gomez), de son côté, livre un album au graphisme très efficace et transcendant, faisant monter la pression que le texte assène. On ne comprend pourtant pas pourquoi les visages sont rendus imprécis, des zones d’ombres gommant les yeux dans des mises en scène qui ne l’exigent pas. Comme si le dessin était inabouti alors que le dessinateur fait valoir une belle palette et une énergie de trait, entre ombre et lumière. Les couleurs d’Annelise Sauvêtre sont d’ailleurs très à propos pour donner à l’ensemble du voyage du peps et des ambiances diversifiées (notamment, dans les scènes plus mondaines et festives). Reste aussi que ce témoignage accablant et ébranlant trouve une fin un peu trop facile au vu des dégâts collatéraux semés sur le chemin des embrouilles. Une fin qui arrange tout le monde là où le lecteur non-averti aura sans doute été dérangé. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne saurait être purement fortuite, il faut dire. Allez, bonne fin de Coupe du monde !

Titre : Arrêt de jeu

Récit complet

Scénario  : Matz

Dessin : Lem

Couleurs : Annelise Sauvêtre

Genre: Drame, Sport, Thriller

Éditeur : Casterman

Nbre de pages: 96

Prix: 16,50 €

Date de sortie: le 20/06/2018

Extraits : 

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