Cinq (pas si) petits tours et puis s’en va. C’est clair, elle était impitoyable, Zarla, pour nous laisser en plan comme ça, alors qu’on l’aurait bien vu continuer un peu à défoncer des brigands lorsque la colère l’aveugle. La vie en a voulu autrement non sans un dernier coup d’épée : une intégrale des cinq albums concoctés par Janssens, Guilhem et Cesano vient de sortir.

Résumé de l’éditeur : Zarla est la fille de deux redoutables chasseurs de dragons mystérieusement disparus. Cette adorable gamine tient à se montrer digne de ses valeureux parents et se lance dans toutes sortes de défis. Mais elle ne sait pas que c’est son vieux chien Hydromel qui combat à sa place. Elle ignore sa face cachée de bull-guerrier (mi-chien, mi-guerrier) doué d’une force et d’une science des armes prodigieuses.

À bien y réfléchir, Zarla et son chien Hydromel, c’est un peu la variante héroïc-fantasy de ce que Godard et Blesteau imaginaient avec Toupet, le bébé casse-cou, qui évoluait sous le regard bienfaisant et salvateur (parfois) du boxer Binette. Le boxer, chien de famille par excellence, constamment joueur, brute, impétueux aussi, constamment adorable (et généreux en bave, aussi).


Hasard ou hommage appuyé à la série à quatre pattes de leurs prédécesseurs, c’est un peu le même duo qu’ont repris à leur compte Janssens et Guilhem même si Zarla marche (et même plutôt vite, une vraie pile électrique) et peut porter une armure et un glaive sans problème et que la quiétude du boxer est réveillée par un pouvoir ancestral : celui des bull-guerriers, capable de faire jaillir la tempête des eaux calmes et paresseuses qui semblent bercer Hydromel et de le transformer en combattant rouge de colère. Et ce, dès que Zarla, petite orpheline mais pas en manque d’aventures, est en danger.

Une amulette reçue de ses parents lui permet ainsi d’être connectée à cet ange gardien et canin dont elle ignore tout de la férocité. Si bien qu’Hydromel doit toujours veiller à intervenir (au risque de ne pas le pouvoir) quand Zarla ne se doute de rien et croit qu’elle réalise elle-même ces exploits sanguinaires qui terrassent les ennemis, même les plus accomplis. Tout le piment et le ressort gag-dramatique sont là, aidés par un univers médiéval et fantastique dans lequel les challenges sont à portée d’épée.


Si on a parlé de Toupet, dont l’influence (si tant est qu’il y en ait une) est sans doute inconscience, les deux auteurs ne peuvent nier qu’ils ont beaucoup lu Goscinny, Uderzo et Astérix (comme d’autres, regardez Munuera) et c’est loin d’être un reproche. Que du contraire. Quitte à être influencé, autant l’être par des génies.

Et le duo Janssens-Guilhem semble, en particulier, avoir adoré les scènes de baston entre les deux Gaulois et les pirates. Au point d’en faire un runninggag forestier à chaque fois que le meilleur ami de l’héroïne et celle-ci croisent des brigands. Mais aussi de faire intervenir en Molfrig, le mercenaire borgne et peu scrupuleux, qui a tout du parfait héritier de Barbe-Rouge. Et tant qu’à parler de marins, n’ayons pas peur de retrouver un peu de Haddock dans les jurons de cette petite fille aux limites du syndrome de Gilles de la Tourette, sous les yeux ébahis de son grand-père infirme et de sa nourrice de géante.

Au-delà de ces clins d’yeux maîtrisés pour ne pas phagocyter ce qui se passe autour d’eux (et il s’en passe des choses), les auteurs sont suffisamment solidaires que pour poser les pierres d’un style bien à eux. Bien avant que Les trois fantômes de Tesla nous explose magnifiquement à la figure, le trop rare Guilhem montrait toute l’étendue de son talent dans ces péripéties énergiques, bourrées d’humour graphique (pas si loin de Tex Avery) et d’un bestiaire faramineux (apprenez-vous à vous méfier, il n’est pas si sûr que les petites bêtes ne mangeront pas les grosses) aussi hilarant qu’effrayant et redoutable.

En cinq tomes (un triptyque des « origines » avec peut-être quelques longueurs et deux tomes plus indépendants plus page-turners), sous les couleurs lumineuses d’Angélique Cesano, Janssens et Guilhem marquaient l’heroic-fantasy de leurs poings et de sujets toujours actuels (que le dernier tome, dont le sujet n’est autre que la haine et l’exil de l’étranger, poussait à son paroxysme) et inventaient une grammaire.

Bref, voilà un univers qui nous a bien manqués avant que cette intégrale ne vienne réveiller quelques souvenirs de grande aventure taille XXS et même Z tout en ravivant des questions auxquelles on n’aura jamais la réponse, et il faudra s’en contenter ou leur donner voie dans les aventures de Zarla que nous nous inventerons seul dans notre coin. N’empêche qu’est-ce que c’était bien et ça poutre toujours autant.

Ah oui, encore une chose, pour ceux qui auraient loupé des épisodes, un dossier d’Arnaud Hilmarcher encadre cette intégrale en reprenant la genèse de ce projet et quelques dessins et planches parus dans Spirou.
L’intégrale impitoyable
Scénario : Janssens
Dessin : Guilhem
Couleurs : Angélique Cesano
Genre: Héroïc Fantasy, Aventure, Humour
Éditeur: Dupuis
Nbre de pages: 272
Prix: 28€
Date de sortie: le 19/01/2018
Extraits :
« pour ceux qui auraient loupé des épisodes » : oh, il n’y a pas eu beaucoup d’épisodes à louper. Après une dizaine d’années à dessiner pour des publications diverses, j’écris depuis 2012 les articles qui ponctuent les Trésors de Picsou. Guilhem a eu la gentillesse de me demander de rédiger le dossier de cette intégrale, et le résultat semble avoir convenu à tout le monde. C’était très agréable d’écrire à propos d’une série de cette qualité. Merci pour ce papier
Bonjour Arnaud, merci pour votre commentaire 🙂 par le « pour ceux qui auraient loupé des épisodes », je parlais de ceux de la série 🙂 Il est clair que votre intervention dans cette intégrale arrive bien à propos 🙂 C’est chouette !