Il n’est sans doute plus nécessaire de présenter Benjamin Lacombe… Après s’être frotté à l’univers ambigu de Lewis Carroll, avoir exploré le Paris de Frollo et Quasimodo ou encore s’être immergé dans les Contes Macabres d’Egar Allan Poe, le dessinateur est revenu nous livrer un autre classique parmi les classique : Carmen de Prosper Mérimée. Comme à chaque fois, la magie a opéré, nous plongeant cette fois dans un univers hispanico-gothique tout simplement divin.
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Cette fois encore, Benjamin Lacombe et les éditions Soleil se sont surpassés (un peu plus chaque fois, en fait, pour nous offrir un objet livre d’une rare beauté, à faire pâlir les plus beaux ouvrages de nos bibliothèques. Un seul regard sur cette couverture sombre et l’ambiance est déjà fixée ; gothique, nous voilà ! Le visage de l’héroïne séculaire se dévoile peu à peu au lecteur, entremêlé au cœur d’une toile d’araignée. Un thème récurrent dans les dessins de Lacombe qui tisse sa toile tout au long des pages pour former une bien belle métaphore filée autour de l’icône qu’est cette Carmen, femme fatale piégeant les hommes dans ses filets.

Faut-il encore présenter Carmen ? Tout le monde a déjà fredonné un air chanté par cette grande héroïne d’opéra, mais l’histoire même de Carmen, telle que l’a écrite Prosper Mérimée, mérite que l’on s’y attarde. Carmen est donc née en 1845 dans une nouvelle de Mérimée dont l’opéra éponyme a été tiré, porté par une musique de Georges Bizet et un livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy.
L’histoire nous emmène à Séville où la belle Carmencita a été arrêtée à la suite d’une querelle. La bohémienne au tempérament de feu séduit le brigadier Don José et lui promet son amour s’il l’aide à s’évader. Le charme foudroyant de Carmen le fera tomber amoureux fou, un amour tourmenté qui le conduira jusqu’à sa mort. Femme fatale par excellence, Carmen est passée maîtresse dans l’art du jeu et de la séduction. Mante religieuse ou veuve noire, elle manipule les hommes, leur cœur et leur esprit, pour les détruire ou les dévorer. Si je t’aime prends garde à toi, chante-t-elle dans l’opéra.

« Oeil de bohémien, oeil de loup, c’est un dicton espagnol qui dénote une bonne observation. Si vous n’avez pas le temps d’aller au Jardin des plantes pour étudier le regard du loup, considérez votre chat quand il guette un moineau. »
Au gré de ses dessins hypnotiques, Benjamin Lacombe cerne le caractère de cette femme aux pouvoirs presque démoniaques. Son regard charbonneux traverse le papier glacé pour harponner directement le lecteur, tandis que son ombre plane partout. Ses yeux habitent le ciel étoilé ou même la lune veillant sur les flots. Au-delà du texte de Mérimée et de l’histoire, le dessinateur nous offre une véritable aventure visuelle en clair-obscur. Le travail de la couleur est subtil, traduisant la chaleur de l’Espagne tout en ajoutant à l’image le filtre ténébreux de la mort et de la fatalité.

Au final, lorsqu’on referme ce magnifique ouvrage, on est aussi conquis que possédé par le génie de l’illustrateur. Benjamin Lacombe a encore frappé fort en nous présentant une Carmen, sa Carmen, tout au long d’un travail artistique abouti et sans faille. Qu’on soit adepte de Bizet ou de Mérimée, qu’on soit déjà charmé par Carmen ou non, se plonger dans ce livre est une formidable aventure addictive, qui tisse sa toile autour de nous, nous piège à l’intérieur de cette histoire au venin subtil, à la merci d’une héroïne qui pourrait bien venir hanter nos nuits.
« Je n’en voyais pas une seule qui valût cette diable de fille-là. »

Titre : Carmen
Texte : Prosper Mérimée (1845)
Dessin : Benjamin Lacombe
Genre: Roman illustré
Éditeur : Éditions Soleil
Collection : Métamorphoses
Nbre de pages: 173
Prix: 32,50
Date de sortie: 13/12/2017
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