Il y’a des pièces qu’il est difficile de décrire tant elles vous perturbent et s’insèrent en vous par le biais d’un ressenti difficilement explicable. L.F. Céline Fragmentation 1 de Damien De Dobbeleer est de celles là. Pour la reprise de sa première mise en scène, Damien De Dobbeleer nous présente une version singulière du Voyage au Bout de la Nuit de Louis Ferdinand Céline passant sans cesse de la gravité au burlesque, bousculant les codes dans une mise en scène libre et sans concessions. Une formidable claque en pleine face dont on se remet difficilement mais qui procure une joie théâtrale évidente.

Avec son Voyage au bout de la Nuit, Louis Ferdinand Céline a écrit un chef d’oeuvre, une oeuvre dense et magistrale qui nous emmène des tranchées sanglantes aux côtes africaines, de la découverte de l’Amérique capitaliste à l’exercice de la médecine dans la banlieue parisienne des années 20. On entre pas à pas dans ce cauchemar où s’entrechoquent la guerre, le racisme, le capitalisme et la pauvreté. Céline nous décrit l’humanité sans complaisance, froide et noire où même l’amour violent et passionné s’effondre lui aussi confronté à l’absurdité du monde.

C’est à l’égard de l’humanité entière que Céline exprime explicitement son mépris et personne n’est épargné, ni les braves ni les lâches, ni les peuples colonisateurs ni les colonisés, ni les blancs ni les noirs, ni les américains ni les européens, ni les pauvres ni les riches. Damien De Dobbeleer parvient à extirper de cette oeuvre la quintessence ultime par ces fragments et nous confronte à des scènes très actuelles, à des tableaux inspirés du livre original d’une force et d’une violence inouïe.
Dès les premiers moments de la pièce on est confronté à la noirceur de l’univers de Céline. Un homme à tête de cheval, surnommé l’homme à la basse, apparaît sur un piédestal alors que Damien nous lance à la face des mots violents et affolés sur une musique vrombissante et percutante. D’emblée, le spectateur se sent bousculé et collé à son siège. Le jeu des acteurs est formidable et l’utilisation des lumières particulièrement inventive avec des jeux d’ombres étonnants et une utilisation optimale de l’espace théâtral.
Malgré une économie de moyens évidente, la magie opère et les trouvailles sont légions comme cette scène où un simple pneu sert de balançoire à deux êtres féminisés à outrance dialoguant avec un des protagonistes. Le corps aussi sert de moyen d’expression ultime à égale importance avec le texte.

Alors, si vous aimez les expériences inédites, vous apprécierez cette première réalisation de Damien De Dobbeleer qui rend un formidable hommage à Louis Ferdinand Céline par le biais d’une mise en scène plus que prometteuse.
Maintenant on n’attend plus qu’une chose, c’est qu’il s’attaque à L.F. Céline Fragmentation 2 !
Jean-Pierre Vanderlinden
L.F. CELINE FRAGMENTATION 1
Avec : Benoît Van Dorslaer, Pierre Haezaert, Alexandre Tissot, Baptiste Sornin, Louise Manteau, Damien De Dobbeleer / Conception et mise en scène: Damien De Dobbeleer / Assistanat: Louise Manteau / Collaboration artistique: Selma Alaoui /
