Gijé, des premiers pas qui marquent déjà la BD : « La mélodie de La boîte à musique ? Le lecteur ne risque pas d’en être déçu puisqu’il va imaginer la plus belle qui soit, plus que si ça avait été du cinéma »

Pourvu que la magie des boîtes à musique et des boules à neige dure éternellement, aurait-on pu souhaiter à Noël. Le rêve s’est réalisé quelques jours plus tard avec la parution du premier tome de La boîte à musique et l’invitation, qu’on a eu vite fait d’accepter, de découvrir Pandorient et ses habitants magiques et étranges. Gijé y a été happé et a pu ainsi découvrir le monde de la BD, lui qui l’observait jusque-là de bien loin. Nous avons rencontré ce jeune auteur très prometteur, dont le dessin ne reste jamais longtemps figé et rappelle les splendides créatures de Pixar.

Photo : Chloé Vollmer-Lo

Bonjour Gijé, c’est avec un fameux premier album que nous faisons votre connaissance. Si mes informations sont bonnes, la bande dessinée, ce n’était pas la voie la plus évidente.

Gijé : En effet, avant, je travaillais dans l’animation, dans un studio pour lequel je faisais des storyboards, j’avais des casquettes différentes. Avant de faire une formation en animation traditionnelle avec un BTS (brevet de technicien supérieur) au Luxembourg, j’avais suivi trois ans d’illustration à Saint-Luc Liège. Je faisais de la peinture, j’apprenais à raconter une histoire en une image mais sans formation spécifique en termes de BD.

© Gijé

Peut-on dès lors dire que vous êtes un touche-à-tout ?

Gijé : Ça me convient ! En tout cas, j’aime être polyvalent. La raison première, c’est ce milieu artistique dans lequel il est bien difficile de trouver du travail. Alors, pour moins galérer, mieux vaut avoir plusieurs cordes à son arc. Mais la BD, j’y suis vraiment arrivé par surprise !

© Gijé

C’est-à-dire ?

Gijé : Un dessin posté sur les réseaux sociaux. Un gâteau d’anniversaire sur une table et que se partageaient un père et sa fille. Et sur le mur, le portrait d’une femme. L’imagination nous faisait dire que c’était la femme de cet homme, la mère de cette petite fille, trop tôt disparue. Les partages aidant, cette illustration est tombée dans les mains de Bénédicte, alias Carbone. Elle était de Perpignan, moi de Paris, on ne se connaissait pas du tout.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Mais son imagination a été titillée et il n’a pas fallu longtemps pour qu’elle me contacte avec un projet BD. Sur un monde fantastique. J’ai réalisé quelques essais, on a monté un dossier de présentation à quelques maisons d’édition et Dupuis s’est montré très intéressé et enthousiaste. Ensuite, tout a été vite, le contrat et la réalisation de l’album. J’avais encore un pied dans l’animation, j’ai eu du mal à l’en retirer. J’ai continué à mi-temps au studio avant de me consacrer intégralement au dessin, les derniers mois. Là, j’ai encore un pied dans chaque monde, avec quelques missions quand j’ai le temps.

Laurence : C’était le début d’une grande aventure. Quand Carbone – à qui j’avais refusé un projet – m’a envoyé ce projet avec les illustrations de Gijé, j’ai complètement craqué, tout de suite. Mes maîtres ultimes en matière d’histoires, c’est Pixar, avec ces fables à double-lecture, des thèmes très forts où émerge la poésie. Et ça rejoint l’ADN de Dupuis, de ce qu’on considère être du tout public. Et cette histoire correspondait à ça. Il y a du Pixar chez Gijé, c’est beau mais il garde sa vivacité. Et c’est renforcé par sa technique particulière sans encrage.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Gijé : Je ne fais pas d’encrage, je ne sais absolument pas en faire. Du coup, j’ai trouvé la parade et j’utilise le storyboard comme un repère pour placer mes formes et mes couleurs quand je peins. Après quoi, je supprime mon calque storyboard pour qu’il ne reste que la couleur, au final. J’esquive les problèmes mais, finalement, ça me permet d’être plus spontané dans ma mise en couleur. Ça me donne aussi l’impression que le dessin est plus vivant. Aussi par ces imperfections ou son imprécision.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Et la transition ?

Gijé : Ce sont des modes de fonctionnement totalement différents. Réaliser une BD, je ne m’en sentais pas du tout capable. Ce n’est pas mon milieu, ni mes codes et références. Mais, finalement, le passage s’est fait en douceur et je me suis rendu compte que certaines tâches, je les réalisais déjà dans l’animation. Le storyboard, c’était un peu le découpage, finalement. Pareil pour les couleurs, les ambiances. J’avais le bagage pour que la transition s’opère délicatement.

Et votre dessin ne demande qu’à s’animer !

Gijé : Ah, c’est gentil ! Mais, il y avait une constante, j’avais tendance à trop découper les planches, comme si des petits fantômes d’animation me hantaient, des tics face à un dessin condamné à se figer.

© Gijé

Se figer, mais pas de trop. Avec des traces de cinéma dans la gestion des plans. Dans cette alternance de grandes illustrations et de plein de petites cases.

Gijé : C’est sûr, j’éprouve beaucoup de plaisir à imaginer des grandes images, ce qui permet de bien les travailler. Comme la séquence où le lecteur découvre l’herboriste de Pandorient dans son atelier, une jungle emplie de plantes et papillons. C’est certain, je bosse plus sur ces rares cases pour leur donner de l’expression, du mouvement, que le rendu soit « impressionnant ». Après, j’ai essayé de faire un chemin de cases, de plans, pour aider au maximum le lecteur à entrer dans ce monde parallèle.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Et dans votre dessin, vous gardez les échafaudages, les traits de construction. On voit le boulot.

Gijé : Oui, puis, je me suis souvent vu reprocher lors de mes études de ne pas toujours être propre et précis. Avec cet album, je voulais faire ce que je voulais, sans contrainte et cultiver quelque chose d’un peu crado, de spontané en tout cas. D’éloigner la perfection.

Avant d’entrer un peu plus dans l’histoire de cet album, que vous évoque le terme « boîte à musique » ?

Gijé : De la poésie. C’est le genre d’objet dont se dégage une musique mélodieuse, un peu triste peut-être. Et je trouve que Carbone a vraiment trouvé un nom qui corresponde bien à l’histoire, un côté triste mais aussi une douceur, une légèreté, du merveilleux.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Et une manière d’évoquer des sujets graves et parfois vus comme tabous pour les enfants en jeune âge.

Gijé : Et, finalement, ce n’est pas une mauvaise chose de les aborder. Il faut juste trouver une manière de raconter qui change le rapport face à ses sujets sensibles et en adéquation avec l’âge du lecteur.

Vous avez parfois dû freiner pour ne pas être entraîné dans quelque chose de trop sombre ?

Gijé : Pas tant que ça, c’est resté très spontané avec, comme je le disais, l’objectif que tout ne soit pas tout brillant, tout propre. Qu’il y ait un côté crasseux, une patte.

Après, c’est sûr que Pandorient, ce n’est pas juste un monde magnifique. Même si les plus moches ne sont pas forcément les plus méchants.

© Gijé

Le fantastique, c’était déjà votre dada avant cette histoire ?

Gijé : C’est l’un des thèmes qui me parlent le plus, j’ai grandi avec ces histoires. C’est ce que j’aime le plus : créer des personnages atypiques, étranges. Des animaux avec des corps humains. Ne pas rester terre à terre.

Au Pays d’Eden, fresque réalisée pour un centre de soins pour enfant à Redange au Luxembourg ©Gijé
Au Pays d’Eden, fresque réalisée pour un centre de soins pour enfant à Redange au Luxembourg © Gijé

Et ça a influencé l’histoire de Carbone ?

Gijé : Disons qu’à la base, Pandorient devait être une copie du monde réel, sans rien de fantastique. J’ai donc proposé à Bénédicte d’y allier un côté fantasy. Elle ne s’en sentait pas capable mais au final, elle y a réussi.

Avec un côté Alice qui, il me semble, fait son grand retour dans pas mal de récits ces derniers temps, non ?

Gijé : Je ne sais pas. Mais, cela s’explique sans doute, notamment, par le fait que tout le monde aime se rappeler les contes, les premiers rêves. Ça fonctionne sur moi en tout cas. Après, en dessiner une histoire, c’était un coup de poker. Mais les retours sont bons donc je suis encore plus content.

© Carbone/Gijé

Et le fait d’avoir fait du charac-design, ça aide dans la création et les mouvements des personnages de BD ?

Gijé : Assurément ! Quand je crée un personnage, mes réflexes d’animateur reviennent à la charge. Il ne s’agit pas juste de savoir si un personnage sera gentil ou méchant. C’est plus profond. J’ai ce besoin de les enrichir même si ça ne sautera pas aux yeux dans la bande dessinée ou même que ça ne se verra pas. Mais je dois creuser et créer leur personnalité. Un personnage méchant qui, au fond de lui, est en réalité gentil, je pars du fait que cela doit se voir au fond de lui, dans son regard, ça manière de bouge.

© Gijé

Vous remerciez Laurence, votre éditrice, pour son optimisme, c’est-à-dire qu’il y a eu des passages plus compliqués ?

Laurence Van Tricht (l’éditrice): Gijé maîtrise son art. Mais le plus dur fut de respecter les délais. Il a cru qu’il n’y arriverait pas.

Y’a-t-il pour autant eu des frustrations, une fois arrivé dans la BD ?

Gijé : Non, bien au contraire. Ce travail me correspond. Dans l’animation, on a beau faire partie intégrante du processus, on est membre d’une équipe, et le travail final n’est pas complètement nous. Ici, le résultat du travail, du dessin, de la couleur, même s’ils sont figés, c’est nous.

La force de la BD ?

Gijé : L’imagination à laquelle elle donne toute sa puissance. La musique de la Boite à musique, par exemple, elle est cent fois plus belle en bande dessinée, même sans le son. On joue avec les codes, le lecteur comprend qu’elle magnifique et ne risque pas d’être déçu puisqu’il va imaginer la plus belle mélodie qui soit. Le langage est différent. Ce qu’on décide ou pas de montrer, également.

Autre grande première, le festival d’Angoulême !

Gijé : Ah oui, une grande première pour le tout neuf auteur de BD que je suis. Mon regard s’enrichit dans un milieu que je ne connais pas vraiment. Maintenant que je suis rentré dans cette chaîne, j’apprends plus qu’autre chose, ce monde s’ouvre à moi.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Laurence : Gijé est bien trop modeste pour le dire, mais face à de gros concurrents, c’est La boîte à musique qui a fait les meilleures ventes du stand Dupuis. On y croit beaucoup, tout fonctionne et on a envie d’aller loin.

Et votre culture bd, alors, de quoi se compose-t-elle ?

Gijé : Des mangas de ma jeunesse, par exemple, les Dragon Ball qui furent mes premiers livres. Urasawa et ses découpages magnifiques. J’essaie d’apprendre par les grands maîtres, en fait, tout en étant un peu en oppositions, l’efficacité de certains passe par la simplicité, moi, j’ai l’impression de toujours devoir rajouter énormément de choses pour faire passer tout ce que je veux.

Illustration © Gijé

Quelle est la suite, maintenant ?

Gijé : Le tome 2, en novembre. Avec ce besoin d’être plus ambitieux : il y a des promesses à ne pas trahir.Le lecteur va en savoir plus sur Pandorient.

Y’a-t-il déjà un nombre de tomes prévus ?

Gijé : Il y a du travail, en tout cas, et je me laisse aller. Il y aura des fins ouvertes et ambigües, laissant la porte ouverte. Carbone a déjà des idées pour le tome 6, en tout cas. Pour le reste, on verra, cela dépendra du succès de la série.

© Carbone/Gijé chez Dupuis

Avec déjà une réimpression, c’est plutôt bien parti !

Gijé : C’est incroyable, on ne s’y attendait absolument pas.

Laurence : Mais on y croyait dur comme fer, Dupuis était à fond derrière le projet, avec un gros boulot marketing, un suivi dès les work in progress. Notre carte de voeux, c’était la Boîte à musique. C’est génial et mérité face à un auteur qui s’émerveille de tout et possède autant de fraîcheur par rapport à d’autres qui, après pas mal d’albums, ont tendance à ronchonner.

Série : La boîte à musique

Tome : 1 – Bienvenue à Pandorient

Scénario : Carbone

Dessin et couleurs : Gijé (Page Facebook)

Genre : Aventure, Fantasy

Éditeur : Dupuis

Nbre de pages : 56

Prix : 12 €

Date de sortie : le 26/01/2018

Extraits : 

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