Alignez ces quatre mots et vous ferez trembler l’Angleterre entière. Le souvenir de la Dame de Fer est encore trop frais que pour en parler avec humour. Qui sait, peut-être pourrait-elle revenir. À plein gaz, d’ailleurs ! La Dame de Fer de Béatrice et Michel Constant, c’est une moto de légende, une Norton Manx qui va faire le lien et les retrouvailles de trois amis d’enfance qui se sont un peu perdu de vue et ont tous eu des déconvenues liées à Thatcher et sa politique. Nous avons rencontré Michel Constant, gardien de la joie et de la bonne humeur.

Bonjour Michel. Dites donc, avant toute chose, vous ne nous auriez pas un peu menti sur la marchandise ? Moi qui pensait lire un biopic sur Thatcher !
(Il rit) Il fallait éviter ça. Des biographies de Thatcher ou la morosité en Angleterre, il y en a plein et des bien mieux que ce que je pourrais faire sur ce sujet. Je voulais opter pour un sujet optimiste. Trois vies qui vont se reconstruire dans l’optimisme.
Et cela passe par la dame de fer, une moto !
Une Norton Manx, une moto modifiée pour les compétitions sur l’ïle de Man. Une vraie charogne, difficile à conduire, qui tire à droite quand on veut aller à gauche. Un symbole politique, un peu. Je ne suis jamais monté sur une telle moto mais des personnes qui pratiquent la moto anglaise m’ont confirmé que sa légende, ce n’était pas de la blague.

Les véhicules, qu’ils soient sur quatre ou deux roues, c’est un peu le fil rouge de votre oeuvre, non ?
J’aime transformer leur mécanique et en faire des personnages. Quand je dessine Mauro Caldi, je dessine sa voiture pour ce qu’elle représente, toute la passion qu’il y met. Dans La dame de fer, sans doute cela va-t-il plus loin : la Norton Manx est un substitut mécanique, une parabole, un masque de Thatcher. Une fantaisie d’un scénariste que le romanesque intéresse.
Jusqu’où poussez-vous la précision ?
Avec mon dessin semi-réaliste, il m’est impossible d’être réaliste à 100%. Si la moto est à l’arrêt, j’y vais à fond pour la représenter au mieux. Si elle est en mouvement, je me permets plus d’effets graphiques. Une chose est certaine, je me refuse de faire une case parce qu’elle pourrait être ratée, je ne fais pas de la BD pour les collectionneurs de motos et je ne classifie pas mes dessins.

Quelle est la genèse de cet album ?
Je suis tombé sous le charme du Kent, lors de vacances, frappé par le côté désuet de ce village toujours bien marqué par les signes du passage d’une Thatcher qui voulait redresser la barre mais n’a rien su redresser. Mes personnages ont commencé à m’apparaître petit à petit à l’esprit. Il faut dire qu’avec ma femme, nous nous sommes rendus six ou sept fois dans cet endroit que j’ai tenté de représenter aux limites du réalisme de mon dessin.

Ces trois personnages, un qui y habite, les deux autres qui y reviennent, qui sont-ils ?
Ils sont fort différents. Ils étaient super-potes quand ils avaient six ou sept ans, ont grandi, avec tous les espoirs plombés que cela a pu susciter dans cette Angleterre-là. Il y a donc Owen, le plus sombre, le plus violent. Abby, sans doute la plus courageuse et volontaire du groupe, la plus stressée aussi. Et Donald, celui qui s’est laissé aller, qui est resté dans son village et son bar, jugeant que de toute façon, où qu’il aille, il n’y aurait pas d’échappatoire. Pour créer ces personnages, forcément, on regarde autour de nous.

Et un festival de seconds-rôles !
Oui, de Béatrice, la gamine qui passe sa vie tête à l’envers, au maire qui est sans doute le plus caricatural. Il y a un côté pièce de théâtre, chacun a son truc à faire et donne lieu à des situations rocambolesques. J’ai pas mal travaillé sur Béa, qui souffre du syndrome de Gilles de la Tourette. Il y a aussi une vieille qui intervient moins mais qui a tout de même des choses à dire.

La maladie de Gilles de la Tourette vous est familière ?
Hélas, non (il rit). Mais je trouvais ce personnage tellement bien adapté pour représenter les séquelles des années Thatcher, les dégâts sur l’économie, les usines désaffectées mais aussi dans la tête des gens. Le fil rouge était évidemment de ne pas se moquer de ce personnage à qui on va finalement rendre ses lettres de noblesse, car Béatrice n’est pas bonne-à-rien, elle a un don. Elle suppose cette idée de renouveau du peuple. Elle bénéficie d’une lueur d’espoir…

… et de l’idée que, peu importe l’âge, on peut refaire sa vie. Peu importe l’âge, pourquoi devrait-on se laisser aller ? L’idée de la réaction, du sursaut est omniprésente. Je crois que rien n’est jamais foutu et qu’entre potes il y a toujours une solution. Par les temps qui courent, je voulais une histoire qui se termine bien, qui soit légère sans que le lecteur en décroche.
Dans une critique, il était question de faire revivre leur jeunesse aux personnages. N’est-ce pas plutôt la prolonger ?
Oui, je ne pense pas avoir envie de revivre ma jeunesse. Par contre, retrouver le sentiment de bien-être, ensemble, avec des potes, ça me plait. Revivre, je ne pense pas que ce soit utile. Le message de mon bouquin, c’est le futur, l’envie de remettre sur les rails ces personnages éraillés.

Ces personnages, au-delà de l’album, dans le processus de création, en savez-vous plus sur eux que le lecteur ?
Disons, qu’au moment du découpage, de la création des dialogues, il faut faire de l’élagage. C’est ma femme qui s’en occupe. Vous savez, on en dit toujours trop, dans un premier temps. Il faut que ce soit limpide, clair, quitte à perdre en complexité.

C’est la première fois que votre femme fait non seulement les couleurs mais participe aussi au scénario.
C’est vrai, dans la trame, le rythme, elle a mis le grillage, le treillis. Je n’avais plus qu’à venir me poser.
Et ces flashbacks, comment les avez-vous conçus ?
De la manière la plus simple possible. Il fallait changer un peu les couleurs, pour ne pas que ce soit tout brun ou tout gris. Il fallait ruser, amener le voyage dans le temps en douceur mais clairement. Sans briser le rythme mais en ne laissant planer aucun doute sur l’époque dans laquelle le lecteur est.

Dans cet album, vous nous mettez quelques morceaux de musiques engagés dans les oreilles. Si vous deviez concocter une BO pour tout accompagner la lecture, qu’y mettriez-vous ?
Je pense que je me plongerais d’office dans ce qu’a pu produire le label Trojam, spécialiste du rock anglais. Mais je ne me priverais pas de glisser vers le reggae ska. Il y aurait du Jam, du Clash, un côté plus punk avec les Stranglers, les Sex Pistols. Dans un style moins britpop, il y aurait eu Iron Maiden. Vous vous souvenez de cette pochette avec ce squelette étranglant Thatcher ?
Pink Floyd a aussi fait quelques chansons anti-Thatcher? Puis, Billy Bragg, un chanteur de folk à tendance rock avec sa guitare sèche. Revendiqué de gauche. Dans ce bande-son idéale, sans doute mettrais-je beaucoup de morceaux de ma jeunesse. Je suis originaire de Seraing, les usines métallurgiques ont été propices à l’émergence du rock et du punk.

On arrose ça d’une bière ?
Volontiers. C’est vrai que je suis pote avec le Libraire de La Parenthèse à Nancy. Ils me suivent et ont eu l’idée de créer une bière au nom tout trouvé : … La dame de fer. Un mix de trois malts et trois houblons qui lui donne de la personnalité, du goût, végétal notamment. Cela dit, elle est violente. (Il rit).

La suite, toujours sur les routes ?
Le tome 8 de Mauro Caldi arrive, il est à moitié dessiné, toujours avec Denis Lapière au scénario. Avec le tome 7, nous ramenions le personnage à l’avant-plan, après plus de vingt ans d’absence. C’était un opus plus sombre, on revenait sur la mort du père de Mauro, sur son tuteur. Avec ce nouveau tome en préparation, on retrouve franchement la comédie, les gangsters, les italiens, un ridicule de situation qui invite à ne pas se prendre la tête.
Puis, après la Dame de Fer, avec ma femme, nous planchons sur un nouveau projet pour Futuropolis.
Titre : La Dame de Fer
Scénario : Béatrice et Michel Constant
Dessin : Michel Constant
Couleurs : Béatrice Constant
Genre : Comédie sociale, Humour
Éditeur : Futuropolis
Nbre de planches : 72
Prix : 15€
Date de sortie : le 25/08/2017
Extraits :
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