On continue dans notre liste de livres à lire durant cet été, en vacances où qu’elles se passent. Les deux albums dont nous vous parlons aujourd’hui n’ont a priori rien à voir entre eux. Prends soin de toi se passe ici et maintenant, tandis que La guerre de Catherine se passe sur les chemins de la guerre 40-45. Le premier est une oeuvre avant tout solitaire, le deuxième fait la part belle aux rencontres et à l’entraide. S’ils ont quelque chose en commun, outre cet instinct qui les pousse à traverser la France, c’est bien ce regard posé sur la vie et l’histoire qu’elle soit majuscule ou intérieure. Deux livres à voir avec les yeux, à écouter avec le coeur.


Prends soin de toi : inattendue aventure

Résumé de l’éditeur: À la suite d’une rupture amoureuse, un homme emménage seul dans un nouvel appartement qu’il entreprend de rénover. En déchirant la moquette usée, il trouve une lettre d’amour destinée à la précédente occupante, disparue. Dans l’espoir qu’elle ne reste pas lettre morte, il décide d’entreprendre le voyage pour remettre la précieuse missive à son expéditeur supposé vivre à Marseille.

Vacances en approche et vous dressez petit à petit la liste des livres que vous emporterez sur la plage ou à la montagne, dans vos valises quoiqu’il en soit. Dans celle-ci, on ne peut que vous conseiller de glisser le dernier album de Grégory Mardon, Prends soin de toi. Pour l’y mettre, vous pouvez y aller les yeux fermés. Mais quand vous commencerez votre lecture, veillez à les ouvrir bien grand. Tout comme vos oreilles, à l’écoute du texte fort de cet album.

Un peu comme le récent Guide mondial des records, mais dans un autre genre, Prends soin de toi n’est pas ce qu’on pense être au premier abord. Mais bien plus, et on ne l’apprend qu’au fil du déroulé de cet album. Ainsi, la quête de l’inconnu qui a envoyé cette lettre qui n’a jamais atteint sa destinataire n’est qu’un prétexte. À bouger, à s’échapper sur les routes de France, au bruit d’un scooter lancé à vitesse de croisière entre Paris et Marseille. Pourtant, dans ces paysages changeant au fil des kilomètres, le voyage le plus palpitant est… intérieur, dans un mal-être latent dans lequel cet homme ne se retrouve plus.

C’est à la recherche de lui-même qu’il est parti, sur les quelques mots laissés, arrivés à destination eux, par une personne chère qui a pris la fuite pour le laisser seul avec cet inconnu qu’il… est, en fait. À travers la simplicité et ses envolées philosophiques (certains passages sont finalement très proches d’un essai existentiel, d’une remise en question fondamentale), c’est un témoignage sublime (dans sa forme et son fond) que nous offre Grégory Mardon, chassant les doutes, touchant le fond phocéen pour reprendre sa respiration et faire un grand bond vers le jour d’après. Pour trouver le salut et reprendre le contrôle. L’auteur a trouvé les mots, les gestes, les traits et les couleurs pour nous ranimer. Un véritable incontournable !

Récit complet
Scénario, dessin et couleurs : Grégory Mardon
Genre : Road-trip, Initiatique
Éditeur : Futuropolis
Nbre de pages : 136
Prix : 22€
Date de sortie : le 18/05/2017
Extraits :
La guerre de Catherine : un appareil photo pour un nouveau regard sur la guerre

Résumé de l’éditeur : 1941. Rachel étudie à l’internat de la maison de Sèvres, où ses parents l’ont placée par sécurité. Elle y noue de belles amitiés mais y découvre surtout sa passion, la photographie. Bientôt, les lois contre les Juifs s’intensifient, il n’y a plus de sécurité nulle part en zone occupée. Un réseau de résistants organise la fuite des enfants juifs. Du jour au lendemain, ils quittent tout et doivent oublier, le temps de la guerre, tout de leur vie d’avant, à commencer par leurs prénoms. Rachel devient Catherine. Raconte, lui intiment ses professeurs en l’envoyant sur les routes de la zone libre, un appareil photo à la main.

Non, malgré les tonnes de livres qui y ont été dédiés, tout n’a pas encore été dit sur la Seconde Guerre Mondiale. La guerre de Catherine vient le prouver une nouvelle fois, en se servant du point de vue d’une petite fille pour traverser ces années troubles et dures. Bon, c’est loin d’être la première fois qu’un enfant sert de prisme sur la guerre, mais, cette fois, dans le récit de Julia Billet aujourd’hui perpétué par les dessins et la sensibilité de Claire Fauvel, cette gamine a un appareil photo. Et puisqu’elle ne le quitte jamais, graine de reporter de guerre malgré elle, ça change tout.

Ça change tout, parce que cet appareil photo n’est pas qu’un accessoire et va réellement conditionner le regard que Catherine, alias Rachel, va porter sur cette guerre invisible (matérialisée sur seulement quelques planches, l’occasion de croiser un jeune photographe nazi ou un officier rallié à Pétain et venant vérifier que les chants de propagande sont bien appris dans son école) mais dont elle saisit la violence par les flashs qu’elle en a. Un résistant devenu manchot, des amies dont elle n’a plus de nouvelles, des parents déportés et une fuite toujours plus en avant, à un souffle de l’ennemi.

Partie de la Maison de Sèvres (qui a réellement existé et très bien documenté par Julia Billet, en 1941, jusqu’à un Paris tout juste libéré, Catherine va traverser la guerre, son Rolleiflex harnaché à son cou et saisi le plus souvent possible pour capter la vie qui ne s’arrête pas et se donner la chance de nouer des contacts qu’elle n’aurait peut-être pas eu sans son appareil, sa mémoire. Car sur les clichés développés, c’est tout un monde de souvenirs, d’insouciance, de chagrin aussi, face à une époque révolue qui se donne à voir. Un mélange de mines réjouies et de mines graves, figées comme autant de moments sauvés avant que le pire ne s’en saisisse.

« Soleil au zénith. Inutile d’insister. À cette heure-ci, je ne ferai rien de bon. L’heure du midi n’offre aucune ombre, aucune place aux demi-teintes ni aux clairs-obscurs ». Plus loin que la première planche, plus loin que l’heure du midi, la guerre de Catherine laisse aussi la place pour l’entre-deux. Et le dessin chaleureux, utilement rayonnant malgré les drôles d’événements qu’il décrit, de Claire Fauvel (son premier album, Une saison en Égypte, était une sublime découverte graphique) incarne magnifiquement les écrits de Julia Billet. Sans artifice mais avec ce sens du savoir, de la mémoire, transmis au lecteur, quel que soit son âge. Sans larme mais avec la conscience.

Titre : La guerre de Catherine
Récit complet
D’après le roman de Julia Billet
Scénario : Julia Billet et Claire Fauvel
Dessin et couleurs : Claire Fauvel (Page Facebook)
Genre : Guerre, Drame
Éditeur : Rue de Sèvres
Nbre de pages : 166
Prix : 16€
Date de sortie : le 10/05/2017
Extraits :
Un commentaire