Des super-héros, c’est un fait, il y en a de trop. Pourtant, des z’héros comme les Captainz, on en redemande. Et dire que ce team de bras cassés dormait depuis une décennie attendant le jour où elle se révélerait à la face du monde. Tremblez mortels, le jour est arrivé et Olivier Texier et Yoann n’ont pas lésiné sur le délire et l’humour foudroyant dans une aventure totalement folle. Nous avons rencontré Yoann à qui Spirou a laissé un peu de répit avant un programme très chargé.
Chronique à lire ici | Marre des héros trop parfaits, avec les Captainz en Fantastic Four « du pauvre », vous allez vous marrer !

Bonjour Yoann, vous avez surpris tout le monde avec Les Captainz ! On ne s’y attendait pas. Mais vous, ça faisait dix ans que vous attendiez de mettre le dernier trait à cette histoire ! Vous avez des envies de super-héros depuis longtemps ?
Les Captainz, c’est la volonté d’une BD de super-héros. C’est ce que j’aime, c’est ma culture. Bien sûr, je suis fan de Spirou qui m’a beaucoup concerné dans ma jeunesse et ma pré-adolescence. Mais après, j’ai eu d’autres lectures, au fil des échanges avec des copains. Je me suis ouvert aux comics, old-school à l’époque. À Spiderman, notamment, nous étions dans les 70’s-80’s.
Mais j’ai aussi été bercé par le manga, et comme beaucoup de mon âge, j’en suis arrivé à croiser ces trois influences. Et j’ai commencé à être publié dans Deadline, une revue de bd alternative anglaise dans laquelle paraissait Jamie Hewlett notamment, avec Phil Kaos, une sorte de parodie punk de Tintin. Et cette envie ne m’a jamais quitté, j’avais cette envie d’un univers débridé, fou-fou quoi.

Mais que s’est-il passé il y a dix ans.
À l’époque, je terminais Toto l’ornithorynque, j’avais fait la Voleuse du père-fauteuil dans la collection Poisson-Pilote. Puis, un passage dans Fluide Glacial m’avait permis de toucher à l’humour. Surtout, j’avais du temps… ce que je n’ai plus maintenant. Et je me réunissais avec des copains sur des terrasses à Nantes. Depuis le café, nous observions les passants tout en faisant nos commentaires sur leur look, leur dégaine… Un gars semblait danser en marchant, nous le surnommions Captain Michael Jackson; un autre n’était pas remis des folies de la veille, c’était Captain Vomi. Tout est parti de là et l’idée a fait son chemin dans mon esprit. L’idée d’avoir affaire à des héros ayant des pouvoirs nuls, qui seraient autant de handicaps. Comment le monde et l’humanité pourraient-ils être sauvés par des héros qui seraient uniquement capables de tordre une petite cuillère avec leur esprit.

Notez que pour les rendre plus forts, vous les associez… Pas bonne idée.
Oui, les Captainz, c’est ça, une sorte de crossover entre un reality show style Le Loft et les X-Men. Ainsi, ils se retrouveraient dans un vrai QG de super-héros, sauf que dans cette intimité, cette contiguïté, ils seraient incapables de s’entendre. Il y aurait des conflits d’intérêts. Comme ce personnage au sex-appeal ébouriffant qui ne peut pas embrasser de femme sous peine de se transformer en monstre et qui va se retrouver face à une nana folle de lui.
Et Olivier Texier est arrivé dans l’aventure.
J’avais déjà des bases, des personnages, un univers, mais mon humour était assez conventionnel. Du coup, j’ai fait appel à un ami, en l’occurrence Olivier. Je savais qu’il serait capable d’amener l’inattendu, de réfléchir cet univers, d’y amener l’humour adéquatement et détonnant. D’autant plus qu’il avait déjà tâté du super-héros dans des petites BDs de son côté. Je lui ai dit : « Formons une équipe, nous serons plus forts ». Et il a accepté.
C’était l’époque où Fluide Glacial changeait de direction, les temps étaient durs et ça ne plaisait pas trop. Du coup, Julien Solé, Maëster ou encore Coyote ont quitté Fluide pour d’autres horizons. Coyote est allé chez Le Lombard, qui cherchait à rénover son écurie et son image, et il m’a proposé de le suivre. Pôl Scorteccia y oeuvrait et voulait proposer un nouveau magazine, Le Strip. Notre idée de super-héros barrés lui plaisait assez bien. On s’est mis en route, avons bossé sur plusieurs chapitres des Captainz, jusqu’au quatrième et là…

… ça s’est interrompu…
Oui, Fabien Vehlmann m’a sonné. On venait de lui proposer la reprise de Spirou. Nous avions déjà fait quelques essais et j’ai accepté. Jurant que les Captainz attendraient « un peu plus tard ».
Et donc le compteur est resté bloqué à une trentaine de pages ?
C’est ça, toutes colorisées par Marie Huet, avec qui je m’impliquais beaucoup pour ramener des éléments, des touches en avant. Marie a depuis changé d’orientation et je me suis tourné vers Laurence Croix qui a achevé les couleurs une fois que j’ai eu fini la vingtaine de planches restante. Je suis moins intervenu, alors. Parfois sur les ombres des visages.
Mais le scénario était écrit de A à Z et les 20 dernières planches entièrement storyboardées. J’espère que mon trait n’a pas trop changé. Mon lettrage s’est amélioré, en tout cas.


Sauf que…
Sauf que Spirou, c’est quand même une machine. Il faut y mettre 200% de ses forces. C’est un package plus lourd que ce que nous nous imaginions. Avec non seulement l’album à faire mais aussi la présence dans le Journal de Spirou, les couvertures de celui-ci, les affiches de festival, le merchandising. Ce qui laisse difficilement de la place pour autre chose.
Et Le Lombard l’a bien compris. Bon, étant donné qu’ils appartiennent au même groupe que Dupuis, ils ne nous ont pas mis la pression. Mais bon, moi j’y pensais tout le temps. À la faveur d’Angoulême, l’éditeur me relançait. Puis, moi, je déteste laisser des choses en plan. Alors, je disais : « Promis, après le prochain Spirou. »
Qu’est-ce qui a changé la donne ?
L’arrivée d’une nouvelle éditrice au Lombard, Clémentine De Lannoy. Elle m’a appelé, un jour, survoltée. Elle venait de trouver les planches, trouvait ça « génial » et était « pétée de rire. » La question fatidique est arrivée. Pourquoi j’avais arrêté ? Elle a trouvé les mots, l’énergie, la machine est repartie.
D’autant plus qu’avec le changement de directeur général chez Dupuis, certaines choses ont changé autour du personnage de Spirou. Il y a eu un battement, et j’ai pris le temps de terminer, d’arriver au bout de ce projet et d’avoir la conscience enfin tranquille.

C’était sans compter le lecteur qui, je crois et de ce que j’ai lu, en redemande.
Bien sûr qu’il y a la possibilité d’une suite. Mais, à côté, il y a un gros gros gros programme pour Spirou. Donc, ou je vais devoir travailler plus ou alors j’accepte de déléguer le dessin. C’est délicat. Mais la question ne se pose pas encore. On verra si le succès est au rendez-vous. On peut avoir un succès d’estime, un bon accueil, mais encore faut-il que la loi des chiffres les confirme. On verra le frémissement… Mais, en tout cas, je prends énormément de plaisir avec Les Captainz.
Différemment que dans Spirou qui permet moins de place à la spontanéité.
Avec Spirou, il y a l’éternelle question du personnage repris. Franquin a arrêté parce qu’il ne savait plus quoi faire de ce personnage qu’il n’avait pas créé. Mine de rien, on est des employés de Dupuis, la liberté est restreinte, il y a un cahier des charges, un aval à avoir. Cela n’empêche bien sûr pas de prendre du plaisir. Loin de là, que du contraire. Mais Les Captainz, ce fut libérateur.

Ne fut-ce qu’au niveau des personnages. Comment avez-vous fait votre casting ?
Je me suis inspiré de mon entourage, d’amis. Mais on ne va pas s’étendre là-dessus car s’ils l’apprennent, ils risquent de mal le prendre (rire). Mais je pense notamment à cette copine qui, en pleine séparation, passait me voir. Après chaque discussion, je sortais avec le moral complètement dans les chaussettes. Ça a donné cette « Captain » qui à la force de ses idées noires, pousse les gens qui la rencontrent d’un peu trop près à se suicider.
Puis pour Captain Bisou, il y a ce copain playboy pour qui je me suis demandé quelle tare pourrait bien lui arriver. Un sex-appeal de fou qui ne lui permettrait pourtant pas d’embrasser une fille sous peine de se changer en monstre.
Des idées de personnages n’ont pas été retenues ?
Oui, certains ne sont pas apparus et sont gardés pour un hypothétique deuxième tome. Comme l’enfant porc-épic ou un autre extra-terrestre.
Puis, il y a ce super-héros décomplexé, qui fait payer ses services. Jolie trouvaille, aussi.
Un Bruce Wayne de droite, sans pouvoir mais se servant de l’hi-tech pour être un super-héros et en faire son business. Un Tony Stark – Bolloré, quoi !

De manière totalement imprévisible, il y a la créature de Frankenstein qui intervient dans un rôle-clé.
Là aussi, je réserve un gros programme pour ce personnage. Son apparition dans Les Captainz est un peu la conclusion d’une longue saga qu’il me reste à réaliser. J’envisage de suivre la créature de Frankenstein de la fin du roman de Mary Shelley jusqu’à son arrivée dans notre époque.

Un personnage auquel vous êtes attaché ?
Et ce personnage lettré, capable de poésie, je veux dès lors le suivre dans son rapport à l’humanité ou à l’inhumanité, dans son empathie ou son mépris, dans son contact avec les cultures, les civilisations. Dans son questionnement, dans ce qu’il peut bien faire s’il ne sait et ne peut pas mourir. Il y a matière à 20 albums dont Les Captainz sont la suite logique. Même si la saga sera beaucoup moins humoristique.

En attendant, Les Captainz arrivent au moment où une armada de super-héros fait bloc commun (et blockbusters) au cinéma, que ce soit dans les Avengers ou Justice League.
Il y a quelques années, je me suis remis à lire des comics, c’était l’époque de Civil War. Un certain renouveau. J’ai assez bien accroché, suis resté assidu. Puis, je me suis rendu compte qu’à chaque fois, c’était du recyclage : une surenchère nihiliste et glauque. Loin des premiers Spiderman de Lee et Ditko. Là, c’était marrant, on avait vraiment envie d’être à la place de Peter Parker.
Du coup, j’étais content de retrouver Les Captainz, leur légèreté, leur drôlerie, leur innocence.

Vous vous êtes aussi laissé aller à quelques superbes illustrations, visible en fin d’album.
Comme nous pensions l’aventure en chapitres de huit pages, j’ai voulu jouer le jeu jusqu’au bout et faire une fausse illustration de comics pour chaque chapitre. Vous savez ces illustrations pas vraiment dessinées pareil. Il y aura un tirage de luxe en noir et blanc chez Black and White, elles seront toutes dedans.

Justement, plutôt couleurs ou noir et blanc ?
J’ai besoin des couleurs. Je suis en train de faire un album pour les vingt ans de Toto l’ornithorynque. Retrouver la peinture, ça m’a fait un bien fou. J’aime bien l’encre de Chine et la plume, aussi, cela dit. Mais, de plus en plus, pour les couvertures, je me mets aux couleurs directes.
Sinon, qu’est-ce qui fait votre ADN « super-héroïque », vos lectures ?
Les X-Men de la fin des années 70’s avec John Byrne dans les Special Strange. Ironman, aussi. J’étais moins de l’école DC Comics que je trouvais plus désuet. Puis, en grandissant, j’ai perçu les super-héros à travers Moebius et L’incal. Puis, le Mort Cinder d’Hector Hoesterheld et Alberto Breccia, l’histoire d’un immortel dont le cerveau est convoité et qui va devoir traverser plusieurs époques, plusieurs vies. Sans oublier Lucha Libre de Jerry Frissen et Bill publié aux Humanoïdes Associés et qui racontent les péripéties de catcheurs mexicains qui vont tenter de s’imposer en héros. Une série Z très fraîche, j’ai adoré.
Si on part du côté du cinéma, j’ai été assez surpris par Doctor Strange qui tient plus à son acteur, Benedict Cumberbatch qu’au reste. Ce n’est pas le héros le plus folichon mais ils ont réussi à en faire un chouette truc. Puis, il y a Netflix et la série des Wachowski Sense8. Dirk Gently, aussi. Puis Daredevil. Et là, je veux aller voir le dernier Desplechin et le nouveau Alien. Je suis très grand public, j’avoue, j’aime le spectacle.

Des coups de coeur récent en BD ?
Pour des exemples plus récents, je dois bien avouer que je n’ai plus lu de bande dessinée depuis cinq ans. Je n’y arrive plus. J’en achète régulièrement chez mon libraire, mais rien à faire. Je ne sais pas l’expliquer. Peut-être parce que je ne retrouve plus la fraîcheur. Après, je ne dis pas que je ne fais pas du recyclage, hein ! Je suis quand même le mec qui dessine Spirou (rires).
Ce qui est marrant, c’est que je vois une répétition dans mon histoire personnelle. Quand j’ai rencontré Jean-Claude Mézières, un rapport élève-maître qui s’est imposé. Dans son atelier, il y avait une pile de bandes dessinées,envoyées par les éditeurs. Il m’a vite dit qu’il ne les lisait pas. J’étais choqué et voilà que c’est mon tour.
Autre super-héros, votre Spirou en collant, Super-Groom.
Ah, ça, c’est totalement différent des Captainz. C’est le nouveau gros projet. Avec Fabien, on a réalisé deux histoires, on s’est bien marrés et l’éditeur et le public, aussi. Du coup, Dupuis souhaite qu’on continue. On va faire les X-Men franco-belge !

Titre : Les CaptainZ
Récit complet
Scénario : Olivier Texier (Facebook) et Yoann (Facebook)
Dessin : Yoann
Couleurs : Marie Huet puis Laurence Croix
Genre : Aventure, Fantastique, Action
Éditeur : Le Lombard
Nbre de pages : 56
Prix : 12€
Date de sortie : le 26/05/2017
Extraits :
Un commentaire