À l’approche des élections françaises dont le résultat demeure bien incertain (n’en déplaise aux sondages dont certains événements récents ont prouvé qu’ils avaient de moins en moins raison), la cadence de parution des livres consacrés de près ou de loin à la politique s’est accélérée. En tête de gondole, le Front National est traité sous toutes les coutures, tantôt flingué, tantôt aimé. Et si les Editions Les Arènes ont déjà publié les deux premiers volumes du très ambitieux et prévisionniste La Présidente de François Durpaire et Farid Boudjellal, c’est dans un tout autre registre qu’elles nous reviennent avec un roman-photo bédéifié : L’illusion nationale du photojournaliste Vincent Jarousseau et de l’historienne et spécialiste de l’extrême-droite Valérie Igounet. Pendant un couple d’année, tous deux ont écumé et se sont immiscé dans la vie de trois municipalités passées sous pavillon FN (Hayange, Beaucaire et Hénin-Beaumont). Sans juger mais en essayant de comprendre le pourquoi du comment.

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Résumé de l’éditeur : Partis à la rencontre des élus et de la population, ils les ont écoutés, entendus et photographiés. Le résultat est inédit : un reportage en forme de roman-photo. Sauf que rien n’est inventé. Chaque propos a été enregistré, retranscrit à la virgule près. Les photos saisissent des scènes quotidiennes — des échanges entre une mère et sa fille, entre une épouse et son mari, un maire et son conseiller — et restituent une France que l’on ne voit pas. Ce documentaire photographique est un témoignage unique. Le constat est sans appel, le Front national progresse là où les partis majoritaires ont abdiqué. Il comble le vide en menant une gestion de proximité qui se matérialise par un peu plus de propreté, quelques fleurs, des animations à Noël, une fête du cochon, une police municipale renforcée… et en tenant un discours anxiogène sur les migrants, l’Islam, l’Europe.

Au moment de commencer la lecture de L’illusion nationale, c’est sûr, je ne m’attendais pas à lire un ouvrage aussi bien fait et documenté, un livre qui sortirait du lot des attaques en règle et laissait le temps faire son oeuvre et les gens se livrer. L’illusion nationale, qui trouve son titre dans les derniers mots de cette enquête sérieuse et sans approximations, c’est un alliage entre le fond et la forme. Ainsi pourrait-on le lire plusieurs fois, à plusieurs degrés. D’abord, en n’en regardant que les images, ces magnifiques photos noir et blanc de Vincent Jarousseau, sans compromis, mélangeant le beau et le laid, oscillant entre les réjouissances et une vie bien trop souvent dure et monotone. Des clichés faisant la part belle par-dessus tout aux visages, qu’ils soient d’homme ou de femmes, souvent martyrisés par la pauvreté, à l’ombre d’une vie rêvée, mais n’ayant pas renoncé à se battre et à trouver des solutions.

Pourtant, dieu sait que c’est dur dans ces villes où le chômage a explosé suite à la fermeture des fleurons industriels qui faisaient la fierté du pays, il n’y a pas si longtemps. La descente aux enfers en a touché plus d’un et le réconfort escompté de la part des partis politiques traditionnels n’a pas été à la hauteur. À Beaucaire, Hénin-Beaumont ou Hayange, si la situation territoriale change, ce sont les mêmes problèmes qui guettent et, à chaque fois, ce sentiment que les précédents élus ont pris le beurre et l’argent du beurre et l’ont emporté dans leur mairie – tour d’ivoire. Insensibles ou bien trop conscients des travaux colossaux à entreprendre pour rendre aux citoyens leur dignité perdue, sacrifiée ?

Au-delà des images, il y a le texte placé sous forme de phylactères, tantôt le pari de l’hybridation entre BD et roman-photo. Et tout ça a beau être couché sur papier, la formule épatante trouvée par Valérie Igounet et Vincent Jarousseau fait mouche, tout semble si vivant. Pas besoin de chercher les fioritures, ici c’est du vrai, du dur, de l’humain, retranscrit mot pour mot et en dépit d’une syntaxe parfois approximative. C’est la parole du peuple, fidèle, qui guide cet ouvrage, tout comme la sincérité des intervenants. Et le duo d’enquêteurs n’a pas lésiné sur la quantité. Si on ne sait combien de personnes ont été interrogées, au départ, la sélection finale donne voix à des dizaines de personnes de tous horizons : des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes, des retraités, des chômeurs longue-durée, des opposants, des soutiens du FN… Et autant de dimensions apportées…

Avec des avis tranchés et argumentés, mais aussi, d’autres (la majorité) faits d’idées reçues totalement faussées mais crues dur comme fer. L’opposition entre les SDF et les migrants revient ainsi souvent, témoin de l’incompréhension d’une thématique qui les dépasse mais aussi d’une « insécurité » créée de toutes pièces qui fait toujours autant recette. Plus loin, dans les trois municipalités visitées, on apprend que la politique menée par le FN n’est faite que de bric et de broc, d’un peu de peinture sur une réalité qui demanderait qu’on y travaille en profondeur. Mais la réaction des électeurs est là : « Il fait plus propre, c’est plus joli« . En surface, du moins.

Aussi, le FN de Fabien Engelmann, Steeve Briois ou Julien Sanchez sait y faire pour relancer les rendez-vous populaires : une fête du cochon par-ci, une convention rock, belles voitures et pin-ups par-là. Et mine de rien, ça compte dans l’esprit des gens. D’autant plus que le parti de Marine (qui se prête volontiers aux selfies à la pelle, prouvant un peu plus que, désormais, on fait le choix du FN de manière assumée et avec fierté) soigne aux petits oignons ses soutiens et potentiels électeurs (une aide à un club de boxe jamais soutenu auparavant pourtant, s’assurant ainsi les louanges d’une bonne partie de ses membres), remplaçant ainsi le clientélisme des anciens partis au pouvoir par un autre, à peine voilé mais ressuscitant l’espoir d’une population laissée pour compte et bernant même ses affiliés. Comme Aurélia, adjointe aux affaires sociales, au logement et à la petite enfance à Hénin-Beaumont, qui explique : « Étiquette FN ou pas, ça ne change rien. On fait pas une politique politicienne. Les gens qui viennent et me disent : « Vous savez, sis vous me trouvez un logement, je suis prêt à prendre la carte », je leur réponds : « Vous sortez. On n’est pas au PS, ici. Il y a des arrangements qui se sont faits dans le passé. Nous, on n’est pas comme ça. » Ou si peu, si insidieux, si déguisé. Mais quitte à attirer le regard dans un coin pour faire des coups en douce, de l’autre, on se rend vite compte de la mise à mal de projets comme un café multiculturel qui voulait réconcilier migrants et citoyen ou le Secours Populaire qui vient en aide à des dizaines de personnes.

Mais ce qui marque finalement plus dans les éléments qui ont favorisé le vote du FN, ces dernières années, il y a incontestablement la proximité du parti. Et pour prendre un exemple personnel de ma jeune carrière de journaliste : durant les stages que j’ai pu faire, je me suis toujours étonné du manque de politesse de certains stagiaires, capables de traverser une rédaction sans dire un seul « bonjour ». C’est naturel et essentiel, pourtant, un salut souriant de début de journée, non ? Ça permet aussi, sans calcul, de se faire bien voir avant même d’avoir fait ses preuves. Et je ne croyais pas si bien dire, je ne pensais pas qu’un simple « bonjour » pouvait vous amener aussi facilement à exercer une fonction politique en vue. Ainsi, à Hénin-Beaumont, Hayange ou Beaucaire, les témoignages affluent sur la sympathie et l’intérêt du maire porté à leur petite personne, alors que « l’ancien maire » ne disait bonjour et ne serrait les mains qu’en période d’élections. C’est dingue mais ça marche, et les représentants du FN font bien plus qu’acte de présence, constamment au contact.

Bâtie sur la désillusion de ces populations qui vivent un cauchemar éveillé et jouent le tout pour le tout, L’illusion nationale est une mine d’information qui trouve sa richesse dans celle des intervenants. Bien plus loin que les exemples cités ici, si on n’excuse pas le choix du FN qui surfe sur le ras-le-bol et les idées toutes faites, les slogans menteurs mais forts, on comprend que le parti de Marine (plus que celui de Jean-Marie) séduise et exerce une irrésistible attraction sur des électeurs qui n’ont plus rien à perdre et tout à gagner. Car on ne peut pas leur en vouloir d’essayer d’exister et de survivre. Et si le FN s’en sert allègrement, visant désormais la banalisation plus que la dédiabolisation, le livre de Valérie Igounet et Vincent Jarousseau prouve que bien plus loin que la couleur des photos utilisées, rien n’est tout noir ou tout blanc, et la nuance est de mise.
Titre : L’illusion nationale (Page Facebook)
Auteurs : Valérie Igounet et Vincent Jarousseau
Genre : Enquête, Société, Roman-photo, Bande… photographiée
Éditeur : Les Arènes
Nbre de pages : 168
Prix : 22,90€
Date de sortie : le 08/02/2017
Extraits :
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