Après plus de trente ans dans le monde du Neuvième art, Zep fait partie de ces auteurs qu’on a pris l’habitude de ne plus attendre au tournant mais qui, pourtant, tentent régulièrement de quitter leur zone de confort pour nous surprendre. C’était le cas l’année passée avec une histoire pornographique « Esmera » qu’il laissait au soin du dessin de Vince. Pour 2016, le papa de Titeuf nous livre une histoire bien dans l’air du temps, qui nous plonge dans l’eau de la Seine, le temps d’une baignade. À l’abri de la ville et de ses bruits incessants? Que du contraire.

Résumé de l’éditeur: Où est la valeur d’une vie? Dans le bruit et la fureur ou dans le recueillement du silence? Dans ses batailles ou ses renoncements? William, lui, a choisi la solitude et le silence il y a 25 ans en intégrant l’ordre religieux des chartreux. Quand un héritage le contraint à quitter le monastère pour Paris, c’est tout un monde nouveau qu’il doit apprivoiser, des certitudes longuement forgées à interroger et surtout, son ancienne vie, laissée là, qu’il va retrouver…

Dans cette histoire étrange, si la couverture nous emmène déjà à Paris, c’est pourtant bien plus loin et plus haut que Zep nous emmène. Au pays des rocailles et des chamois, quelque part en Suisse. Deux hommes avancent inlassablement malgré la montagne qui s’effrite. Sans un mot, ils marchent. Ils ont laissé leurs vies, il y a bien longtemps en bas, et Zep se sépare de son style « gros nez » pour retrouver le réalisme qui nous avait tellement plus dans Une histoire d’hommes (chez le même éditeur, Rue de Sèvres). Et comme les deux hommes arrivent à la source, le temps de se mirer et de retrouver un bref instant leur visage, oublié depuis longtemps, dans le reflet aquatique; il est déjà temps de rentrer, pressé par la pluie.

Pour Marcus (William, dans une autre vie), peut-être est-ce la fin de son insouciance et de sa quiétude monacale. Un courrier est arrivé à la chartreuse et le père supérieur le convoque. Une tante parisienne a eu la bonne (et embêtante) idée de mettre William sur la liste de ses héritiers. Le pactole, quoi! Pas vraiment pour William qui a fait vœu autant de silence que de pauvreté mais pour la chartreuse. Problème? Pas de procuration possible, le moine, qui a tôt fait de se qualifier comme un revenant, doit monter jusqu’à Paris.

Même en tentant de dire le moins de mots possible, l’homme encapuchonné et anachronique devra revivre le passé qu’il a fui, saisir le présent et ses bonheurs fugaces et faire un choix, arrivé à la croisée des chemins, qui déterminera son futur. Une nouvelle fois, Zep n’a pas son pareil pour construire ses histoires avec des petits bouts de personnages. On ne sait pas grand-chose d’eux mais on en sait suffisamment et, peu à peu, l’histoire se construit, simple et pure à la fois. Forcément il y a une femme qui va faire douter notre ecclésiastique. Pas une femme fatale, une femme qui doute et qui a ses problèmes, dont un gros qui vient obscurcir ses beaux horizons, mais qui ne lâche rien. Une rencontre et aussi une leçon pour le moine qui doit à présent accepter tout de sa propre vie et non uniquement celle qu’il a condamnée et murée dans le silence.

Coule la Seine et coulent nos vies, voilà un sujet bien contemporain (et universel) que Zep nous apporte avec finesse et simplicité. Comme ses couleurs minimalistes que l’auteur utilise comme des filtres sur les différents passages de son récit. Comme un dieu mais tout en questionnant les croyances, religieuses ou pas, et leurs conséquences, Zep fait face aux existences qui font « zip » et glisse vers la douleur pour en tirer le meilleur, la douceur et le recueillement bénéfique, ne fût-ce que quelques moments, le temps de faire trempette dans la Seine. C’est beau, chaud, tellement inspirant. Cerise sur le gâteau, Zep laisse vivre son récit sans regard inquisiteur, sans jugement, et c’est encore mieux!
Titre: Un bruit étrange et beau
Récit complet
Scénario, dessin et couleurs: Zep (et son blog)
Genre: Drame
Éditeur: Rue de Sèvres
Nbre de pages: 88
Prix: 19€
Date de sortie: le 05/10/2016
Extraits: