Le Ciel Attendra… s’il n’est pas trop tard…

Il y a quelques jours, se clôturait déjà la 31ème édition du Festival International du Film Francophone de Namur. Au programme de cette très belle édition, le gratin du cinéma francophone finement sélectionné par les programmateurs. Il y avait du très bon, du plus mauvais, mais il y a aussi eu quelques véritables claques ! Comme face au nouveau film de Marie-Castille Mention-Schaar, Le Ciel Attendra. Après Les Héritiers la réalisatrice s’attaque au sujet de la radicalisation et du djihadisme. Un film qui laisse des séquelles.

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Sonia (Noémie Merlant), 17 ans, a failli commettre l’irréparable pour « garantir » à sa famille une place au paradis. Mélanie (Naomi Amarger), 16 ans, vit avec sa mère, aime l’école et ses copines, joue du violoncelle et veut changer le monde. Elle tombe amoureuse d’un « prince » sur internet. Elles pourraient s’appeler Anaïs, Manon, Leila ou Clara, et comme elles, croiser un jour la route de l’embrigadement… Pourraient-elles en revenir?

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Il existe des films qui nous marquent plus que d’autre, qui prennent aux tripes et bousculent nos pensées, nos opinions. Le Ciel Attendra fait sans aucun doute partie de ces films qui bouleversent du début à la fin. Il faut avouer qu’avec ce film, Marie-Castille Mention-Schaar s’attaquait à un sujet pour le moins épineux et délicat : l’embrigadement des jeunes femmes pour le djihad. L’embrigadement… Cette nébuleuse que l’on redoute sans vraiment la comprendre. La réalisatrice semble bien l’avoir comprise grâce à un travail de recherche titanesque en amont de l’écriture. Elle a d’ailleurs travaillé en étroite collaboration avec « Madame Désembrigadement » en personne, Dounia Bouzar. La directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) qui confie avoir déradicalisé près de 1000 jeunes.

L’anthropologue apparaît d’ailleurs à l’écran (comme le rescapé de la déportation, Léon Zyguel, dans Les Héritiers, Marie-Castille Mention-Schaar semble aimer intégrer quelques figures fortes et emblématiques à ses films), endossant son propre rôle et dévoilant au grand public son travail, avec sincérité. Dounia Bouzar apparaît dans des scènes presque documentaires du film. On assiste aux groupes de parole de parents de jeunes radicalisés, on participe à ses séances de désembrigadement. Très vite, le film, par sa profondeur d’enquête et sa justesse, apporte un nouvel éclairage sur le sujet. Et peu à peu, en étant confronté, sans filtre, avec ces personnages, le voile de l’incompréhension tombe définitivement.

Des films sur le djihad il y en a eu quelques uns ces derniers temps: on pense évidemment à La Route d’Istanbul de Rachid Bouchareb et  Les Cowboys de Thomas Bidegain.  Mais Le Ciel Attendra va encore plus loin, en explorant l’embrigadement des femmes par internet. On suit donc Sonia et Mélanie, deux jeunes femmes de 16 ans dans ces chemins sombres et tortueux. L’une, après avoir été arrêtée par la police, prend, contre son plein gré, la voie du désembrigadement tandis que l’autre, après l’ajout d’un inconnu sur Facebook, bascule dans l’Islam radical. Les deux parcours de ces adolescentes sont parfaitement retracés, à tel point que c’en devient vite frustrant. Au fur et à mesure que Sonia revient à la raison, Mélanie, elle, s’enferme, chaque jour un peu plus, dans sa radicalisation. Outre les deux jeunes femmes, la cinéaste explore également la vision des parents. D’un côté Catherine (Sandrine Bonnaire) et Samir (Zinedine Soualem) accompagnent leur fille vers la déradicalisation. De l’autre, Sylvie (Clotilde Coureau) ne se doute de rien, jusqu’au jour où…

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Que dire de ces acteurs admirables, colossaux même, qui portent le film à bras le corps, se livrant corps et âme à la psychologie ambiguë et parfois destructrice de ces personnages. Dans le rôle de Sonia, Noémie Merlant est incroyable. La folie qui transperce son regard noir, la violence qui imprègne ses paroles, la colère sans limite qui l’habite, tous ces éléments la rende impressionnante. On peut parler de véritable performance. Quant à Naomi Amarger, elle aussi, dans une toute autre dimension, est renversante. Son jeu tout en finesse dévoile un personnage doux et lumineux sombrant peu à peu dans les ténèbres. On s’attache à cette jeune fille plein de bon sens qui pourtant se retrouve bien vite aveuglée. Pour les rôles des parents, Marie-Castille Mention-Schaar a frappé fort. Sandrine Bonnaire et Clotilde Courau sont toutes deux bouleversantes, Zinedine Soualem tout simplement bluffant, et Yvan Attal pour le peu qu’il apparaît à l’écran offre quelques répliques d’une justesse imparable. C’est à un vrai film de personnages auquel nous avons affaire. Des personnages universels qui pourraient se fondre en n’importe qui autour de nous.

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Intense du début à la fin, Le Ciel Attendra laisse à peine le temps au spectateur de respirer. Lui aussi se retrouve rapidement embrigadé dans la mécanique huilée de justesse de ce film. Impuissant, il ne peut qu’observer et comprendre. Une chose est sûre, on en ressort pas indemne. On est chamboulé, on est frustré et on se pose des questions, énormément de questions. Le film expose la réalité, désormais, c’est à nous de prolonger la réflexion, de trouver les bonnes réponses. Au sortir de la salle, on vacillerait presque. L’émotion était intense, la soupape restait sous pression sans jamais exploser et là, enfin, elle relâche la pression. Il faudra un peu de temps pour digérer ce grand film…

Par Alizée Seny

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Le Ciel Attendra, de Marie-Castile Mention Schaar

Avec : Noémie Merlant, Naomi Amarger, Sandrine Bonnaire, Clotilde Courau, Zinedine Soualem, Yvan Attal et Dounia Bouzar

Willow Films

Sortie le 2 novembre 2016

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