La valse du temps est Irréversible

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crédit : unfilmparjour.fr

Certains films dépassent le statut d’oeuvre audiovisuelle, ils sortent de leur rôle comme un acteur qui, en rentrant chez lui, tombe le masque après avoir passé la journée à jouer la comédie. Dès lors, le film n’est plus un simple long-métrage mais une mosaïque, une facette  où un miroir de l’être humain qu’un réalisateur est parvenu à réifié. Irréversible est au-delà de son rôle. Ni orgueilleux, ni prétentieux, le film de Gaspar Noé n’est à saisir seulement pour son ambition de démontrer que si le temps n’est pas cruel, il est certainement tragique.

Il y a d’abord les mouvements de la caméra, incertains, tremblants et tourbillonnants. Elle flotte dans les airs puis redescend vers le sol, cette caméra c’est le temps qui démarre sa valse d’1h 39. Le temps objectivé par Noé se concentre sur trois personnages, Marcus, Alex et Pierre (Vincent Cassel, Monica Belluci et Albert Dupontel) et suit leurs destins brisés. Il y a le couple, l’infidélité et la provocation. Les personnages apparaissent dépouillés, on ne connait pas leur histoire ni leur vécu, on les surprend dans leur présent et peu d’éléments sont offerts au spectateur. On sait seulement que Marcus et Alex vivent une relation passionnelle contrebalancée par les écarts de Marcus qui veut aussi trouver son compte ailleurs. Pierre c’est l’abandonné, celui qu’Alex a quitté pour son ami mais qui s’inflige l’honneur d’accompagner le couple dans une soirée arrosée. La séquence du métro est équivoque à ce propos, le triptyque discute de sexualité dans une atmosphère presque grotesque tant le discours est malsain.

Puis il y a le temps. Ce temps dont les plus éminents scientifiques ne savent toujours pas aujourd’hui donner la définition. Souvent, on considère qu’on ne peut expliquer le temps que par les phénomènes qui s’y déroulent, ou que son écoulement n’est que le résultat d’une illusion provoquée par la trajectoire de l’individu dans l’espace-temps comme le pensait Einstein. Le temps a t-il un moteur ou est-il autonome ? Nul ne le sait vraiment. Irréversible est dotée d’une temporalité propre, remontant scène après scène le fil de la narration vers le passé, mais un passé sélectionné. Le réalisateur se rapproche de la théorie bergsonienne de la durée réelle, ou le temps est abordé d’un point de vue qualitatif. Les séquences sont une mémoire qui rembobine, et où chaque souvenir a son importance.

Et puis il y a le choc. La séquence du viol d’Alex filmée en plan fixe pendant 9 longues minutes. On suit le personnage quitter la soirée mondaine pour se glisser dans un passage souterrain, probablement un raccourci, et finir entre les griffes du diable. En descendant sous la ville, Alex descend aussi en dessous de toute morale et de toute humanité. Violentée et sodomisée, le réalisateur brise son personnage en moins de dix minutes, et le spectateur y assiste dans une forme de passivité qui peut faire réfléchir. Nous subissons la même rage, nous sommes cette caméra, ce temps présent à l’endroit ou la tragédie survient sans qu’on puisse rien y faire. C’est le véritable catalyseur du long métrage, et tout le reste se diffuse à partir de ce point. D’un côté, les conséquences de l’agression, la colère de Marcus qui cherche à se faire justice lui-même en retrouvant le violeur, ce qui le mène droit à la chute. De l’autre côté, tout ce qu’il y a avant. Les caresses des deux compagnons, leur intimité et les étranges prémices de ce qu’il va arriver, le rêve prémonitoire d’Alex.

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Crédits : Allociné

Irréversible n’est ni une construction ni une déconstruction. Gaspar Noé nous fait bondir dans les mémoires du monde, focalise les scènes sur quelques hommes, observe leurs contradictions et la façon dont ils s’aiment, se perdent et se retrouvent. Il filme le tragique, le traumatisme et le fantasme, un panorama contemporain de nos rapports parfois doux et parfois morbides.

Comment parler d’une telle oeuvre ? Quand le film a été projeté au festival de Cannes en 2002, les réactions ont été hétérogènes et certains ont crié au génie quand d’autres parlaient d’un honteux navet. À mon sens, Irréversible est un récit important. Pas parce qu’il choque ou qu’il fait polémique, mais ce qu’il nous dit est juste et sans filtre. Dans la danse ou nous entraine le temps, on voit ce qui existe en réalité mais qu’il est difficilement acceptable de reconnaître. Futur, passé, présent s’entremêlent si bien que le spectateur est amené à s’interroger. Finalement, l’avenir est-il déterminé ?

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