Une journée au TW Classic, c’est toujours la certitude du mal de pieds, d’une affiche qui nous rappelle à nos beaux souvenirs, un public noir-jaune-rouge peu importe la langue de la fraternité musicale et une attente toujours intenable durant laquelle il faut faire avec la soif, la main sur l’estomac criant famine et sous un franc soleil (comme celui d’hier). Mais quand vient le concert final, tout est oublié, ragaillardi sous les coups de semonces des plus grandes stars.
13h15, après une petite marche campagnarde, le passage du check-in renforcé et le premier ravitaillement au bar avant la cohue, le nez enduit de crème solaire, nous voilà prêts pour une journée démente. Dément comme le groupe anglais CC Smugglers qui a la lourde tâche d’ouvrir le feu devant les quelques milliers de spectateurs déjà présentes. Banjo, dobro, harmonica et guitare sèche, ça fleure bon le roots et la voix de Richie Prynne remporte une totale adhésion. Trois ans plus tard, ça commence tout aussi bien. Le groupe s’est fait des amis, et quand il passera quelques heures plus tard dans les tranchées scindant le public et menant de la scène à la tente des ingés sons, nombreux seront les nouveaux fans à tailler une bavette avec ce groupe décidément bien sympathique.
La fraîcheur d’un bain de foule pour les Van Jets
Après quoi, c’est un groupe cette fois bien connu de la plaine werchtérienne (on n’a pas dit wagnérienne, mais d’ici quelques heures, ça se pourrait), les Van Jets. Costauds dans leur rock au grand coeur et aux claviers omniprésents, le quatuor gagnant livre des morceaux stridents qui n’en finissent plus de réveiller les nouveaux arrivants, peut-être encore un peu engourdi. On pense notamment aux Hoosiers dans ce mélange de sons massifs munis pourtant de l’insouciance et du second-degré grimaçant de Johannes, le frontman. Cerise sur le gâteau, le chanteur vient faire un tour dans le public, surfant sur la foule à deux pas de la plage constituée pour pallier aux intempéries. Bain de foule et de joie, on se met à rêver que le BOSS fera pareil, ce soir.
Pas Red dingue, mais Simply the best
Quarante minutes plus tard, on monte d’un cran dans la programmation. Vous savez celle qui peut tout promettre comme rien, en fonction de l’état de fraîcheur de ses invités prestigieux. On avait eu le cas avec la désenchantée Debbie Harry il y a trois ans. Et, avouons-le, on était peut-être sceptique par rapport à la prestation que pouvait nous offrir le groupe anglais Simply Red. On a vite pu s’apercevoir de la grande forme de Mick Hucknall, groove incarné, tout en blondeur vénitienne. Traversant ses plus grands tubes, on s’attendait à un ringard, on a droit à un phénix, formidable gourou d’une foule plus que séduite. C’est un peu la folie sur Stars, Angel et quelques autres tubes qu’on avait oubliés mais qui reviennent en force portés par d’excellents musiciens.
Lionel Richie, le voir pour la voix
Un peu plus tard, on a cru au pire. Lionel Richie a raté son entrée. Après un trailer le présentant en Mohammed Ali des scènes, le chanteur de 67 ans est apparu un peu boursouflé mais il nous a surtout semblé totalement à côté de la plaque pour sa première chanson. Absent, trop loin du micro, on a même cru à du playback. Variant autour du thème du soleil qui se lève, se couche ou est dans les coeurs (images à l’appui sur l’écran guère alléchantes, on croirait aux images projetées habituellement lors des… karaokés). Mais le coeur y est d’ailleurs et Lionel Richie fait oublier son début de tour de chant multipliant les hits intemporels d’une voix toujours aussi chaude et forte. Ses musiciens soutiennent le tout et notamment son saxophoniste complètement déjanté!
Lana del rien
Seule femme de l’affiche, Lana Del Rey avait la mission délicate de chauffer une dernière fois le public avant que celui-ci ne soit saisi par le Spirit in the night. Une tâche difficile à assumer quand on a la froideur d’un glaçon et l’insolence d’un poupée pimbêche, d’une diva poids plume. Bon, c’est vrai, on avait cru à ses débuts et au vu des performances (sic) relayées sur Youtube que Lana ne chantait bien qu’en studio et faux qu’en live. Force est de constater que la chanteuse propulsée stratosphériquement par Video Games possède une voix (désormais?) sans faille. Formellement, ce spectacle filmé en noir et blanc, nous ramenant à l’époque du cinéma muet, est beau et sensuel. Ça ne suffit pas à faire un bon show, d’autant plus en plein air, sans doute pas adapté à ce genre de performance. On s’ennuie ferme. Et Lana Del Rey en donne également l’impression: elle prend des plombes entre ses morceaux préférant parler à ses musiciens qu’au public (dont certains spectateurs venus pour elle). Entre ses problèmes de star, alliant smartphones, paparazzi et faux-semblants, c’est soporifique, sans saveur, tape-à-l’œil et trompe-l’œil. Ouf, elle a enfin fini. À revoir dans d’autes circonstances sans doute.
Pas tout-puissant, Bruce surpuissant
On devait attendre une heure, on n’en attendra que 50 minutes. À 21h50, Bruce est en forme, prêt à en découdre, quitte à ce que le concert commence en avance, c’est assez rare pour le souligner. Entre-temps, le public s’est resserré. Ce n’est d’ailleurs plus un public, c’est une gueule, une mâchoire prête à dévorer d’envie le (Big) Boss.
Le fabuleux E Street Band s’avance, prend possession des instruments disposés sur la scène. La caméra se braque sur Springsteen, dernier à entre sur scène. Sur le visage du ténor du rock, une expression de surprise presque, l’air de dire: « Oh, vous étiez au courant? Vous êtes déjà là, venus si nombreux? » Ben oui, l’entièreté de cette foule humaine comptant 65 000 personnes (du fan dévoué jusqu’au bout du bandana aux curieux ne demandant qu’à se faire embarquer) n’est là que pour lui. « Prove it all night » ouvre ce bal dédié à l’énergie totale et à la ferveur du rock, sans aucun temps mort (prends-en de la graine, Lana!). Pour preuve, même pas le temps d’applaudir à la fin des morceaux, déjà le Bruce lance « one, two, three » et c’est reparti. Bruce ne pourrait rater son rendez-vous, la force et la vigueur des jeunes années.
D’ailleurs, le Boss ne vieillit pas, il rajeunit à chaque fois qu’il arpenter une scène. Son veston est déjà trempé de sueur, l’homme (le dieu?) se donne à chaque fois sans compter, à la générosité dans un élan de spontanéité mais aussi d’improvisation. Car s’il est déjà acquis que le concert aura un début et une fin, rien n’indique ce qui y mènera. Quelques titres de l’album The River, c’est certain, tant il fait office pour ses 35 ans de squelette de cette tournée mondiale. Il y aura The ties that bind, Hungry heart que le public les E-Street Fans ne se privent pas de reprendre en coeur, The river aussi et surtout. Après quinze minutes, le Boss se plaît déjà dans un bain de foule (et de jouvence) dont il a le secret. Dans le public, c’est un peu la kermesse de l’ouest (…d’Hasselt, tant pis pour le rêve américain, il est sur scène et toujours aussi bien bâti).
Un peu plus tard, l’American Hero rejoint le guitariste à la gueule impayable, Steven Van Zandt, du côté droit de la scène. Le public devient fou et dansent les pancartes des fans. Comme à chaque date depuis quelques années (et cette tournée où Springsteen demanda à ses fidèles de noter sur de grandes pancartes les titres des chansons qu’ils voulaient entendre). Du coup, pendant que les incroyables compères de l’E Street assurent le show sur scène (on pense notamment au ptit jeune Jake Clemmons au saxophone, à Patti ou Nils « la toupie guitaristique » Lofgren, et tous les autres), le boss fait son marché, n’oubliant pas de vider une bière qui lui est gracieusement offerte, et comme les fans ont toujours raison, voilà qu’il sort de sa trousse de magicien un « Thunder Road » plus qu’apprécié et appréciable. Ainsi, aussi, une petite fille se retrouve à chanter « Waitin’ on a sunny day » sans rien perdre de son aplomb.
Plus loin, voilà 41 Shots (American Skin) qui émerge avec son solo lancinant. Près de nous, un francophone lâche toute enthousiasmé « Ah, ça, c’est rare! » Les Neerlandophones approuvent. Ce qui ne fait que renforcer le plaisir qu’on a à passer cette nuit avec le Boss. N’en déplaise aux copines, aux maris, aux compagnes, on n’a d’yeux (et dieu) que pour Bruce. Sauf que pendant ce temps, lui n’a pas son pareil pour séduire les femmes, avec humour.
Et alors qu’on s’attend à un slow endiablé sur Dancing in the Dark avec une charmante inconnue choisie chanceusement dans la foule, comme d’habitude, quelle n’est pas notre surprise de voir Bruce faire son marché en se dirigeant vers des hommes. L’un qui s’est fait dérobé quelques pièces de collection lors d’un concert à Milan, un autre dont c’est le rêve de tâter de la scène avec le boss.
Puis il y a cette immense pancarte pour le moins original (parce que oui, certains avec leur message « Maman a un rêve: danser avec le Boss, ça commence à devenir du réchauffé): dessus est scotchée la pochette d’un disque du Boss et le message est sans équivoque « Si tu dédicaces ce disque, alors tu pourras danser avec ma femme. » L’oeil espiègle et taquin, le showman ne se le fait pas dire, il persiste… et signe. Enfin, il se dirige vers un petit garçon blondinet repéré au préalable. Dans ses mains une autre pancarte: « Maman m’a promis une guitare si tu nous emmènes danser », une guitare gonflable en prime, le message est remarqué et apprécié.
Allez, tout le monde en piste. C’est la folie sur scène, ils sont sept, invités et heureux, Les flashes crépitent et voilà la photo d’une belle famille. Ou peut-être n’est ce qu’une partie, celle d’un iceberg insubmersible baptisé The Boss et comptant ce soir plus de 65 000 enfants comblés, criant, riant, pleurant.
Car dans ce concert, il y a tout, sans boursouflure, du show, de l’émotion, aucun calcul, des grands succès (le diptyque formidable Born in the USA – Born to run) et des chansons plus discrètes d’un répertoire dont rien n’est à jeter. Je n’ai plus les larmes aux yeux comme la première fois que je voyais cet homme matérialiser mes rêves de gamins, mais le plaisir reste entier, peut-être encore plus fort. Car cette fois, j’ai réalisé: oui, ce monstre sacré (le dernier d’une espèce en voie d’extinction?) existe bel et bien. Et il est vraiment phénoménal! D’autant plus qu’il termine seul à la guitare avec If I should fall behind. Le roi n’a pas chut, il a assis son inégalable sens du show inoubliable. Il s’est passé 2h50 et pourtant on jurerait que le concert vient seulement de commencer. Magique.
Tracklist:
Prove It All Night
Darkness on the Edge of Town
No Surrender
The Ties That Bind
Sherry Darling
Spirit in the Night
Thunder Road
Hungry Heart
Cover Me
You Can Look (But You Better Not Touch)
Death to My Hometown
Mansion on the Hill
The River
41 Shots (American Skin)
The Promised Land
Darlington County
Waitin’ on a Sunny Day
Because the Night
The Rising
Badlands
Born in the U.S.A.
Born To Run
Dancing in the Dark
Tenth Avenue Freeze-Out
Shout
Bobby Jean
If I Should Fall Behind
Un peu dur comme critique pour Lana Del Rey je trouvé
C’est perdre de vue qu’elle s’est fait huer par des groupies du Boss dans le couloir VIP et qu’elle a été très mal accueillie. Elle aurait certaintement réagi autrement si elle avait été respectée et pour être honnête sa musique est bonne , les sonorités recherchées … Elle n’a pas encore beaucoup l’expérience des Festivals ni la bouteille des autres et c’est une très mauvaise idée de l’avoir intercallée à ce moment….