On ne se voit pas grandir. Jamais. Peu à peu, nos passions prennent d’autres horizons et délaissent nos vieux compagnons de l’enfance: gentils ou méchants, monstrueux ou adorables. Le grand méchant loup, le père Noël, Peter Pan ou le Monstre de Frankenstein et Dracula, d‘un côté du miroir comme de l’autre, le reflet n’est plus très reluisant et ça sent la mouise pour ces héros malgré eux dont on nous a conté bien des fois les exploits.
Parce que héros ou méchants, chacun a sa part sombre. Et comme c’est la règle ces derniers temps de la toile cinématographique à la littérature populaire, Batton Lash nous plonge dans le cabinet des Avocats du surnaturel tandis que Lionel Camou et Bandini nous désenchantent, Tout conte fée.
Dans quelle époque vit-on, ma pauv’dame! Tellement triste qu’on y intente des procès à tort et à travers. Y compris aux monstres d’antan qu’on avait en sainte horreur et dont on aimait pourtant les frayeurs qu’ils nous laissaient! Pourtant depuis que la société s’est fabriquée de nouveaux monstres et que les imposteurs pullulent aux coins des rues, voilà nos pauvres monstres mis en remise, laissés pour compte et désormais face à quelques problèmes. Ben oui, c’est connu, quand on est star, on n’a que des amis, mais une fois l’heure de gloire passée… prenez garde.
Heureusement, l’appareil judiciaire a très vite réagi sous les efforts conjugués (pas conjugaux hein!) d’Alanna Wolf et Jeff Byrd, brillants avocats un brin tournés vers l’occultisme! Une affaire lucrative tant il y a profusion de clients tous plus effrayants les uns que les autres. Après avoir été confrontés à la grève des zombies, à une maison-garou et à une obscure et mystique patte de singe, voilà que les deux avocats (peu appréciés de la profession, faut-il le préciser?) sont en piste pour essayer de sortir des mauvais pas un homme-arbre qui a pris la grosse tête, une pin-up boulimique, un Dracula sorti de bière pour se venger de ses usurpateurs sans oublier le démon Th’Lulu qui vient saccager le bureau des deux associés.
C’est peu dire qu’entre des amours contrariés, une concurrence acharnée et une conférence inter-barreaux, il y a du boulot pour nos deux héros dans ce tome 2. Jouant sur les gammes d’un Martin Mystère, Batton Lash insinue l’humour autant que l’horreur dans ces récits de prétoires parfaitement exécutés. Référentiel et régressif, alignant des jeux de mots bien rodés, Les avocats du surnaturel est toujours (la série a fait ses débuts en 1979 quand même) un plaisir coupable, quoi de plus normal!
Série: Les avocats du Surnaturel
Tome: 2
Scénario et dessin: Batton Lash
Couleurs: Mickl
Traduction: Xavier Kemmlein
Genre: Horreur, Fantastique, Humour, Judiciaire
Éditeur: Fluide Glacial
Nbre de pages: 96
Prix: 17€
Date de sortie: le 25/05/2016
Extraits:
Revenons de ce climat à la Hammer pour nous intéresser aux héros qui nous ont bercés dès notre plus tendre enfance. Ceux des contes, dont on ne se lassait pas… jusqu’à un certain âge. Depuis, c’est la déprime et nos si charismatiques héros sont plongés dans la torpeur de la déprime! La belle au bois réveillée n’en finit plus de toiser son miroir bel et bien muet, le père Noël a pris du bide et ne passe plus dans la cheminée, un drame a eu lieu dans les jeux innocents de cowboy et indien, Pan et Grochet vivent ensemble.
Mais, pire, un sombre dessein semble guetter le Paris de 1915, bien réel, dans lequel tout ce petit monde a trouvé refuge: le Petit Chaperon Rouge est introuvable. Et le frère tout aussi poilu du Grand Méchant Loup, M. Wolf, craint le pire. Heureusement, la police est sur les dents et entend bien résoudre l’affaire, si du moins le journaliste bicéphale Jean/Claude Alaligne ne vient pas mettre son grain de sel dans la machine!
Ils sont totalement barges, ces auteurs. Saccageant à grand coups de maestria l’univers des contes de fées et défaits, Lionel Camou et Bandini usent de toute la subversion possible et imaginable pour rendre méconnaissable cet univers si longtemps rêvés et aujourd’hui désenchanté par des vices bien insidieux. Évitant l’écueil des parodies malhonnêtes et sans originalité, Camou(lox?) et Bandini ont pris appui sur Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim (dont les plus érudits fêteront cette année les quarante ans) et sur le complexe d’Oedipe si latent dans nos lectures de gamins.
Sans oublier la rivalité entre frères et soeurs: dans Tout conte fée, on voit des frères partout (à défaut de sept nains). Même les auteurs le sont! Mais on ne va pas la faire à la Freud tant cette relecture réassaisonne sans vergogne ni complexe toutes ces histoires pour en faire un tout époustouflant de dinguerie et d’irrévérence.
Le trait rétro et réaliste de Bandini, entre le Green Manor de Bodart et l’univers de Chomet mais avec une forte dose de singularité (pour nous, a star is born!), tranche avec ce grotesque surréalisme de rigueur pour faire de ce formidable conte moderne (n’ayons plus peur des maux, ni du sexe, ni même des scabreuses affaires de famille) une totale réussite. C’est dément!
Titre: Tout conte fée
Scénario: Lionel Camou
Dessin et couleurs: Bandini
Genre: Conte, Parodie, Aventure, Fantastique
Éditeur: Casterman
Nbre de pages: 134
Prix: 20€
Date de sortie: le 25/05/2016
Extraits:
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