Pour sa deuxième fournée après un départ de feu, la Petite Bédéthèque des Savoirs du Lombard se consacre au pouvoir de l’image et à ce qu’elle véhicule dans deux domaines totalement différents mais usant chacun de leur force narrative autant que graphique: le cinéma et le tatouage. Deux ouvrages, une nouvelle fois passionnants et emmenés sous la baguette et le crayon de chefs d’orchestre hors-pair.
Le Nouvel Hollywood par Jean-Baptiste Thoret et Brüno: au coeur du « dernier âge d’or » du cinéma
Alors, ça, c’est Noël avant l’heure. Voilà un album qui, à coup sûr, va provoquer des étincelles dans la tête des cinéphiles avertis (ou non d’ailleurs)! En s’adjoignant les services de Jean-Baptiste Thoret (le Monsieur Cinéma de Charlie Hebdo, excusez du peu) et de Brüno, ce sont les meilleurs partis possibles et imaginables que la Petite Bédéthèque des Savoirs a conviés pour un opus au coeur de la classe et de quelques films parmi les plus mythiques que le cinéma ait comptés. Ceux du Nouvel Hollywood, quand le cinéma a acquis sa pleine puissance et violence.
Ce qui marque, d’abord, c’est la couverture magique de ce septième numéro de la BDTK. Brüno réveille les mythes et épingle Easy Rider, Bonnie & Clyde ou autres Apocalypse Now. Ce n’est qu’un début mais déjà on se demande qui de mieux que ce dessinateur (qui dessine comme on fait du cinéma) pouvait à ce point saisir toute la noblesse du cinéma des années 70’s.
Un cinéma inimitable et dont l’impact se mesure encore aujourd’hui dans l’oeuvre de certains jeunes loups d’Hollywood. Et pas que. Brüno le prouve à chaque page de son oeuvre (sans doute encore plus avec Tyler Cross, son American Way of Crime), sous influence revendiquée du cinéma, le vrai, le dur, musclé déjà mais sans être encore blockbuster testostéroïné et sans âme. Car au sortir des années 60, période qualifiée de « Grande Nuit » par Thoret, quelques cinéastes, adulés désormais, mettaient quelques coups dans la fourmilière. Des coups de pied, des coups de feu, des coups de pétarades aussi. Un coup fatal à tout ce que le cinéma avait connu jusque là pour mieux entre dans une nouvelle ère.
Et « le dernier âge d’or » de naître autour d’un club d’incroyables prodiges du 7ème art: Arthur Penn, Francis Ford Coppola, Dennis Hopper, Peter Bogdanovitch, Don Siegel, Martin Scorsese, Clint Eastwood, Sam Peckinpah, Stanley Kubrick mais aussi quelques monstres de l’horreur comme John Carpenter, Wes Craven ou George A. Romero.
Méticuleux et érudit, Le Nouvel Hollywood se déguste moins comme une BD que comme un petit syllabus de poche (à la manière de l’ouvrage sur le Hard métal) où les fiches thématiques s’accompagnent de riches et puissantes (emblématiques aussi) illustrations. Bavard et passionnant, Thoret brosse le portrait d’une époque faste où tout était permis ou presque. Et parmi cette océan d’infos, on sent toute la jouissance qu’éprouve Brüno à rendre hommage à quelques uns de ses films de chevets. On s’y croirait, dans ces films cultes, grâce à ce dessin implacable. De quoi mettre l’eau et la pellicule à la bouche. Et ça tombe bien, pas avares pour un sou, les auteurs ont constitué une petite liste (une centaine tout au plus) des films inratables. Voilà qui promet des soirées toujours réussies. Monumental.
Extraits:
Le Tatouage par Jérôme Pierrat et Alfred: une BD sur la peau loin d’être un fardeau
On change de support mais on s’intéresse toujours à l’image et à ce qu’elle véhicule. Moins en action, mais plus corporelle, cette fois. Car le tatouage est devenu une véritable institution. En têtes de mort, en fleurs, en signes indiens ou chinois, à la lumière des idoles ou en signe d’appartenance à certains mouvements et gangs, ces symboles en long et en large, petits ou grands, judicieusement (ou non) placés, accompagnent des vies entières comme autant de traces d’un passé, d’expériences à ne pas oublier.
Et comme, déjà du temps de Morgane de toi, Renaud disait que « les machins qu’il se tatouait lui faisaient comme une bande dessinée sur la peau », il était bien logique que le Neuvième Art s’imprègne du sujet en compagnie des non-moins talentueux Jérôme Pierrat, historien et rédacteur en chef de Tatouage Magazine, et Alfred.
Et là, pour le coup, au contraire du Nouvel Hollywood, les deux auteurs induisent la bande dessinée dans la narration, en font le liant de cet album détonnant et n’ayant pas peur de s’éloigner du sujet, de lui apporter quelques pointes d’humour, pour s’en rapprocher un peu plus. Dès la première séquence, le ton est donné: dans une quelconque prison, un détenu est convoqué, il vient de se faire tatouer un « mort au keufs » peu avenant. Quelle n’est pas la surprise du bonhomme de voir le directeur de la prison se délester de son veston et lui montrer, entre autres, ce grand dragon qui s’étale sur son torse bien plus loin qu’une ligne de vie. Les apparences sont trompeuses et depuis longtemps le tatouage n’est plus l’apanage et l’exclusivité des truands. D’ailleurs, l’a-t-il déjà été?
Le temps d’une cinquantaine de planches, Pierrat et Alfred nous entraînent ainsi dans un voyage à travers les époques (Ötzi est connu comme le premier tatoué, il y a 5300 ans) et les continents, au fil des attributions données à ces signes extérieurs d’identité. Cela passe par l’horreur des têtes réduites aux souvenirs ramenés par les marins à même leurs peaux, sans oublier les bandes de l’East L.A. Sans oublier le côté freak des hommes-phénomènes de la fin des années 1800.
En osmose avec son sujet, le dessin d’Alfred épate une nouvelle fois par sa précision, jouant à fond la carte de la narrativité, embarquant un peu plus le lecteur dans cette fabuleuse histoire. Car qu’on soit ou non adepte de cet art corporel, les deux auteurs nous prennent la main pour nous raconter moins l’histoire de cette pratique que celle des hommes qui se trouvent par elle maquillés. Loin des préjugés et des idées reçues, scotchant.
Extraits:
À noter, dans cette deuxième salve (parue le 20 mai), deux autres ouvrages tout aussi intrigants; Le Hasard (d’Ivar Ekeland et Étienne Lecroart) et le Droit d’Auteur (d’Emmanuel Pierrat et Fabrice Néaud). Chaque album est vendu à 10€.
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