Un maillot pour l’Algérie: le tir dans l’Histoire superbement cadré par Kris, Galic et Rey

Encore un livre sur la guerre d’Algérie! Comme s’il n’y avait pas déjà assez de films, de romans et autres témoignages de cette atrocité. Oui, mais non, minute papillon, avec Un maillot pour l’Algérie, Kris, Bertrand Galic et Javi Rey détournent le regard sur un sujet plus léger pour mieux parler de la guerre et de ses conséquences. Ou comment, malgré elle, l’Algérie a vu naître sa première équipe nationale de football.

Résumé de l’éditeur: En 1958, à la veille de la Coupe du monde en Suède, douze footballeurs de Première Division quittent clandestinement la France et rejoignent les rangs du FLN. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie et leur but est de créer la première équipe nationale algérienne de football et d’en faire l’ambassadrice de l’indépendance à travers le monde… Parcourant le monde souvent clandestinement, cette équipe de champions devenus des va-nu-pieds, devant parfois accomplir plusieurs milliers de kilomètres en minibus à travers le désert pour jouer un match, sans remplaçants, va accomplir exploit sur exploit au fil de plus de 80 matches. Ils s’appellent Zitouni, Arribi, Kermali, Mekhloufi… et ils sont devenus des légendes du sport.

En Belgique, dernièrement, on a eu les Héros du Gazon. Dans un tout autre genre, l’Algérie a eu ses héros de la poussière, bien avant. En pleine guerre, on est bien souvent étonné de la fraternité et l’humanité que fait surgir un coup vers l’avant dans un ballon rond (bien plus rond que la Terre, parfois). La trêve de Noël lors de la première guerre mondiale reste dans les mémoires et en est un exemple célèbre. L’histoire de l’équipe nationale algérienne en est un autre que, personnellement, je ne connaissais pas.

Ce n’est pas grave, l’ignorance est réparée avec ce magnifique ouvrage qui a toute sa place dans la collection Aire Libre des Éditions Dupuis. Bon, ne vous méprenez pas, il s’agit d’un récit fictionnalisé, ne le croyez pas dur comme fer, ce n’est pas le but des trois auteurs. Mais le fond est véridique et l’essence en est encore plus belle. Car Kris est un baroudeur de la bande dessinée du réel (tout le monde a encore en tête Un homme est mort ou Notre mère la guerre) et Bertrand Galic, historien de formation, vient de marquer les esprits avec Le cheval d’orgueil, émouvant témoignage qui fait survivre la culture et le patrimoine régional breton. C’est peu dire que ces deux-là n’ont pas peur de dribbler la réalité et de concrétiser les assists fournis par les petites histoires de la Grande Histoire qui ont pourtant toute leur importance. C’est le cas avec Un maillot pour l’Algérie, précis et documenté tout en laissant place à l’imagination des deux scénaristes qui donnent peps et humanité à cette histoire incroyable et terriblement humaine.

Sur le chemin de ce qui est en fait un « road-comics » (de pays en pays, pour gagner force et crédibilité alors que jusque là, cette équipe algérienne fait figure de « joyeux zozos »), les deux scénaristes ont embarqué l’excellent Javi Rey. Personnellement c’est avec Groom que j’ai fait la connaissance de ce dessinateur ô combien talentueux. Et quel n’est pas mon bonheur de retrouver son trait et l’incroyable force d’évocation qu’il charrie. Car du bout du crayon, dans sa course vers le goal, Javi Rey véhicule du bout de son crayon une incroyable puissance tout en proposant un dessin abordable et doux, rond et se débarrassant sans concession de la dureté du réalisme (trop souvent à l’oeuvre dans la BD réaliste). C’est simple, les dessins de Javi Rey, on les verrait bien s’animer sur l’un ou l’autre grand écran. Et cela contribue sans doute à rendre cette bande dessinée fascinante, accessible et totalement passionnante. Tout en assurant le spectacle lors des scènes de sport.

Dans le match opposant le petit bout de la lorgnette à la Grande et terrible histoire qui heurta l’Algérie, Un maillot pour l’Algérie gagne à coup sûr le championnat. Un album qui doit absolument butter en pleine lucarne de votre bédéthèque!