Si Zazie achetait en son temps un Hôtel rue de la paix, on serait tentés, nous, d’acheter un Café à Jérusalem. Un Café Budapest, du nom de l’oeuvre subtile de l’Espagnol Alfonso Zapico, qui nous conte un temps révolu mais durant lequel les Juifs comme les Arabes et n’importe quel autre étranger pouvaient s’entendre. Sorti en 2008, voilà que Café Budapest bénéficie enfin d’une traduction qu’une phrase d’Isaac Newton conclut admirablement: « Les hommes construisent trop de murs et pas assez de ponts. C’est encore plus vrai après avoir lu Café Budapest, sorte d’Hotel Rwanda de la BD, récit malgré lui d’un paradis devenu l’enfer des bombes.
Résumé de l’éditeur: Budapest, 1947. Jeune violoniste juif, Yechezkel vit chichement avec sa mère. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre de son oncle Yosef qui les invite à le rejoindre à Jérusalem. Yechezkel fera désormais résonner ses notes au Café Budapest que régente gaiement l’oncle Yosef. Mais les événements politiques rattrapent cette belle harmonie…
D’une vie à l’autre, il n’y a qu’un pas, qu’une volonté et quand on tente de vivre sur les débris de la guerre en Hongrie, on ne peut s’empêcher de rêver (tout en se serrant la ceinture) à mieux. Et, en cette période bizarre, l’espoir est au Sud, en Palestine. Sous l’impulsion d’un oncle voilà Yechezkel qui emmène sa mère dans un voyage sans retour, sur la piste du territoire des origines. Un pays qui, une fois passé un petit accroc à l’arrivée, fleure encore bon le bien-être et la complicité entre les peuples. Oui oui, ça a existé même si depuis longtemps le vent a tourné et les flashes médiatiques qui nous arrivent de là-bas sont d’une violence inhumaine.
Loin de jouer au jeu du « Qui est responsable? », Alfonso Zapico nous plonge dans cette très courte période d’harmonie et de rire entre humains plus qu’entre membres d’une quelconque confession religieuse. Et le Café Budapest cristallise cette bonne humeur ambiante et cette retrouvaille avec le goût de la vie, perdu lors de la deuxième Guerre Mondiale. Livrant un véritable portrait de ces personnages après la guerre (mais aussi avant une autre), Zapico laisse la naïveté et l’insouciance s’inviter. L’amour aussi et la volupté de ce violon et de toutes ses mélodies du bonheur qui n’auraient jamais du se taire.
Puis, les Juifs ont leur propre état, c’est la joie mais déjà la blessure guette. La fêlure qui, par un jeu de propagande, va grossir pour mieux déchirer le beau tableau. D’abord il y a des regards de frères amis devenus ennemis et qui ne se saluent plus, puis c’est l’escalade. Chacun chez soi, de son plein gré, ou contraint et forcé. Et voilà comment la belle histoire se termine en cauchemar. Et même si le récit raconté par l’auteur espagnol s’arrête avant les bombes et les coups de mortier, Zapico ne se prive pas d’éviter le manichéisme et de montrer les vipères de chaque camp qui vont envenimer la dispute (au pire, un énorme malentendu) en conflit. Sans oublier de pointer la responsabilité de la Grande-Bretagne, totalement démissionnaire (un peu comme les Belges avec le Rwanda) alors qu’elle devait veiller au bon déroulement et à la courtoisie entre les peuples.
Bien loin de toute polémique (alimentée sur le web par nombre de pages nauséabondes), Café Budapest ne fait pas dans le discours de comptoir et retrace avec finesse et beaucoup d’éclat (un noir et blanc des plus vivants) un des plus beaux gâchis du XXème siècle. Dommage que le violon de Yechezkel n’ait pas eu droit à sa symphonie promise. La musique adoucirait les moeurs, paraît-il, ce n’est malheureusement pas le cas ici (au contraire du récent Piano Oriental de Zeina Abirached). Reste un roman graphique qui ne colmate pas l’histoire mais l’explique avec douceur et délicatesse, sans froisser. Une tranche de vie touchante, avant qu’on ne la tranche sous le joug de la manipulation et des armes.
Titre: Café Budapest
Récit complet
Scénario et dessin: Alfonso Zapico
Traduction: Amaia Garmendia
Noir et blanc
Genre: Fiction historique, drame
Éditeur: Steinkis
Nbre de pages: 164
Prix: 18€
Date de sortie: le 09/03/2016
Extraits: